La victimisation du personnage féminin dans Walaandé, l'art de partager un mari et Munyal, les larmes de la patience de Djaili Amadou Amalpar Germaine DANGA MOUDA Université de Maroua - Master2 2021 |
1.1.2. L'illettrisme et le mutisme complice de la femme et de la sociétéQualifiées de fameuses « silencieuses de l'Histoire » (Perrot, 1998), les femmes représentées dans le texte de Djaïli Amadou Amal ont des difficultés à rendre compte de la précarité de leur situation, à s'insurger contre le système patriarcal en place. Cette situation est redoublée par un processus d'invisibilisation des femmes. Elles sont cantonnées en seconde zone. En effet, l'éducation ou la culture, en l'occurrence peule, dans laquelle évoluent les personnages femmes exclut toute possibilité d'une réponse. Ils sont conditionnés en sorte que leur situation, la plus inconfortable qu'elle soit, les plonge dans le mutisme. Plus précisément, la condition dans laquelle vit le personnage féminin n'émeut en rien son entourage. Bien plus, elle est ignorée. L'angoisse insoutenable plonge les personnages dans un « sommeil ». Il n'y a plus dès lors aucun stimulus qui permette de faire comprendre et de nommer ce qui advient. Subir la violence, marquée à la fois par l'excès et par l'irruption d'une étrangeté radicale, devient précisément une expérience, un vécu quotidien dont les femmes représentées dans le corpus s'accommodent. Ainsi, dans Munyal, les larmes de la patience, Hindou, l'une des filles d'AlhadjiOumarou, est maltraitée au vu et au su de tous. Cette situation ne reçoit aucune dénonciation de la part du personnage féminin. Bien plus, raconte la narratrice, « le pire est de savoir que son infortune fera le plaisir de ses coépouses qui n'hésiteront pas à en rajouter. » (MLP : 100). Elles sont contentes de voir l'une des leurs traverser une situation inconfortable, humiliante voire dégradante. En fait ce phénomène banalisé par les femmes du corpus contribue à encourager les hommes dans cette lancée. La victime raconte son infortune dans l'extrait suivant : Mon époux entretient des aventures multiples, boit, use de stupéfiants et regagne toujours le foyer à une heure tardive. Il continue de me brutaliser, de m'abreuver d'insultes aussi dégradantes qu'humiliantes. On ne compte plus les hématomes, égratignures et ecchymoses que ses coups laissent sur mon corps et ce dans la plus grande indifférence des membres de la famille. On sait que Moubarak me frappe, et c'est dans l'ordre des choses. (MLP : 100). Le silence de la femme, et plus largement de la société qui range la violence à l'égard d'une épouse dans l'ordre des choses normales fait empirer la situation de la victime. L'absence de réaction de la part de la femme est imputable à une éducation discriminatoire. En effet, la conduite discriminatoire de la famille et du parent qui a tendance à cantonner les jeunes filles dans la cour intérieur, coupé de la sphère réservée aux hommes. Bien plus, la conduite du chef de famille ne nourrit également des comportements qui rétrogradent la femme. Ainsi, l'une des protagonistes raconte : « je ne sais pas si mon père m'a déjà portée dans ses bras, tenue par la main. Il garde une distance infranchissable avec ses filles. Et il ne m'est jamais venu à l'esprit de m'en plaindre. C'était ainsi, et ça ne pouvait être autrement. Seuls les garçons pouvaient voir mon père plus souvent. » (MLP : 25). Cette éducation inculque à la fois aux jeunes filles et garçons l'idée de supériorité de la gent masculine. De ce fait, cette dernière s'arroge tous les droits, mêmes les plus avilissants à l'égard de la femme. Et les jeunes filles grandissent ayant à l'idée le fait de ne pas se plaindre des actes discriminatoires à leur égard. Elles ne sont incapables de les dénoncer. L'on peut également expliquer que cette absence de réactivité retard est due à une scolarité défavorable des filles représentées dans le corpus et liée au poids de la culture et de la religion. En effet, « peu instruites, leur univers se limite à la famille » (Milolo, 1986 : 26) et ainsi l'illettrisme ralentit les transformations sociales : analphabètes, personnages féminins ne voient pas les avantages de l'instruction pour la jeune fille. Dans Munyal. Les larmes de la patience, la narratrice explique : Quand mes soeurs abandonnaient leurs études le plus tôt possible, sans chercher à désobéir à mon père, et quand elles acceptaient d'épouser l'homme que mon père ou l'un de mes oncles avaient choisi pour elles, [...] je m'obstinais à aller au collège. Et j'expliquais aux femmes de ma famille mon ambition de devenir pharmacienne, ce qui les faisait rire aux éclats. Elles me traitaient de folle et vantaient les vertus du mariage et de la vie de femme au foyer. Quand je réfléchissais sur l'épanouissement qu'une femme trouverait dans le plaisir d'avoir un emploi, de conduire une voiture, de gérer son patrimoine, elles interrompaient brutalement la conversation en me conseillant de redescendre sur terre et de vivre dans la vraie vie. (MLP : 29-30) L'enseignement traditionnel qui est pratiqué et qui inculque aux jeunes filles les vertus familiales, du respect des parents, de la soumission, et de l'obéissance, ainsi que les vertus domestiques semble être une priorité. Cet extrait nous décrit clairement la vision de la femme mariée, dans la culture islamopeule. Elle ne doit être instruite. Le critique MiloloKembe renchérit en notant que « les seuls souhaits de son entourage sont de la voir s'occupant du ménage, de l'éducation, de l'accueil de la famille et des amis de son conjoint. Et cette forme de vie spécifique à la femme africaine, ce n'est pas à l'école des Blancs qu'elle doit l'apprendre » (Milolo, 1986 : 28). La lecture des textes de Djaïli Amadou Amal donne l'impression que ces pauvres femmes, tout au long des récits, sont humbles envers leurs familles et soumises aux hommes « tyranniques ». Par exemple, la loyale femme, la Dada saaré2(*) dans Walaandé. L'art de partager un mari, est douce et soumise à son mari, alors l'athmosphère dans laquelle elle vit est caractérisée par l'arrogance, la violence verbale de l'époux. Sa loyauté et l'obéissance inconditionnelle à son mari sont devenues un emblème de la culture peule. À y regarder de près, le souhait des personnages de ces romans, surtout les femmes est de se contenter d'obéir à leurs époux; principe dont la scolarisation les éloigne en les faisant se sentir plus libre. De plus, comme cela est constaté dans le passage ci-dessus, le fait de recevoir une éducation scolaire fait l'objet de railleries de la part de la gent féminine. Et l'instruction des femmes effraient les hommes « l'école française est un lieu où le savoir acquis diffère de l'enseignement de la mère. [...] Et le résultat est souvent négatif. Le savoir, tel que la mère l'a reçu, est dévalorisé, voire ridiculisé. La fille est préparée à tourner le dos à son passé, à ses réalités. Le processus de l'aliénation est amorcé » (Milolo, 1986 : 27). C'est pour cette raison que de nombreux comportements déviants sont attribués à la gent féminine : révoltée, irrespectueuse, sans retenu... La discrimination envers les filles en matière d'éducation va être remise à bout du jour. De manière générale, maintenir le lien de famille est une des raisons récurrentes qui empêchent les femmes violentées de se révolter et souvent, lorsqu'elles le font, il est trop tard. C'est ce qui est observable dans le corpus. Les personnages femmes agissent comme si toute leur énergie devait viser à maintenir le lien quel qu'en soit le prix. Or, leur souci pour le lien va de pair avec celui du partenaire maltraitant. Régulièrement, en effet, ce dernier déverse toutes les angoisses suscitées par le milieu des affaires. Aïssatou, la première femme d'Alhadji, dans Walaandé. L'art de partager un mari, s'est évertuée à maintenir l'unité au sein de son foyer pendant ses trente années de mariage. Elle a subit à la fois les humeurs massacrantes de son époux et des proches de la famille. Son époux agissait envers elle selon que ses affaires marchaient ou pas. La volonté de cette femme pour sauver le lien s'est accompagnée d'une mise à l'avant de l'affect. Cela peut se comprendre : l'amour chez cette femme a ceci de spécifique qu'elle pourrait tout donner ou consentir à tout pour le conserver. « Il n'y a pas de limites aux concessions que chacune fait pour unhomme : de son corps, de son âme, de ses biens », notait Lacan (1974 : 540). Ainsi, ces femmes se taisent par amour pour leur homme ou afin d'être aimée de lui et reconnue par l'entourage ou encore pour le séduire et le reconquérir. La séparation et la perte sont impensables. Le lien semble représenter illusoirement une certaine sécurité affective et elles conservent longtemps l'espoir de changer leur partenaire. S'il est violent, c'est qu'il a manqué d'amour, c'est en effet fréquemment le cas. Elles peuvent aussi attendre. Djaïli présente une situation où les femmes répondent aux attentes de leur environnement en servant leur mari, mais il n'y a aucune attente de la part du mari de servir sa femme. En outre, l'utilisation des mots « règle », « servir », « soumission » et « munyal » suggère qu'il y a plus à attendre de la femme, son dévouement personnel. Le lecteur se rend vite compte du pouvoir des hommes sur toute la gent féminine. Une règle stricte (sans réserve) est observée dans les concessions et toute la famille la respecte mais aussi, les femmes vivent dans une peur considérable des hommes, en lieu et place du respect. Hindou, l'une des protagonistes de Munyal. Les larmes de la patiencerelate son infortune: La terreur me serre la gorge, m'étouffe et m'empêche de respirer. « Je fais vite ! Je me dépêche. » Quand il se rapproche de moi, je tremble tellement que, pour la seconde fois de la soirée, je fais sur moi. Le liquide tiède mouille le pagne déjà humide, dégouline le long de mes jambes et laisse une trace sur le sol poussiéreux. Un vide s'installe dans mon esprit. Tout mon corps se contracte de peur des coups. Je suis terrorisée. (MLP : 95) Ici, l'époux, le bourreau inspire de la terreur à son épouse. Il ressort de cet extrait que l'épouse est obligée de rester dans ce foyer pour sauver les apparences. Les femmes mariées présentées dans la société peule sont « emprisonnées » par leurs maris trop protecteurs. Il ressort de cette analyse qu'il y a priorisation du droit des hommes et des aînés et la justification de ce droit dans les valeurs de parenté qui sont généralement soutenues par la religion, car, les personnages masculins justifient leurs agissements en évoquant les privilèges accordés par le Coran. Il est clair que dans l'univers islamopeul représenté dans le corpus, l'illettrisme et la soumission sans faille est un obstacle pour les femmes, les enfants, la famille et elle touche à la santé, à l'éducation, au travail. D'un autre côté, nous y retrouvons l'image d'une figure féminine traditionnelle, la douce et soumise femme qui reste éveillée tous les soirs ou du moins lorsque le tour de chacune arrive en attendant que son mari revienne de son « vagabondage » ou de ses interminables discussions avec les connaissances; au moins pour tenir la lampe pour lui pendant qu'il monte l'escalier et pour l'aider à se déshabiller avant qu'elle continue de dormir. Le narrateur révèle que : Habitude l'a réveillée à cette heure. C'était une vieille habitude qu'elle avait développée quand elle était jeune. Et elle était restée avec elle pendant qu'elle mûrissait. Elle l'avait appris avec les autres règles de la vie conjugale. Elle s'est réveillée à minuit pour attendre le retour de son mari depuis elle le servait jusqu'à ce qu'il s'endorme. Elle s'assit sur son lit résolument pour vaincre la tentation du sommeil. Après avoir invoqué le nom de Dieu, elle a glissé sous les couvertures et sur le sol. (MLP : 82). Malgré le fait que les épouses subissent très souvent certaines situations difficiles, elles n'osent pas faire connaître leurs pensées aux époux ou aux proches. Sakina ne va jamais oublier ce qu'elle a enduré lorsqu'elle a osé tenir tête à son époux par rapport aux promesses non tenues. Juste au cours de leur première année de mariage quand elle s'est plainte de ses nombreuses nuits de sortie. La réponse de son époux avait été claire : Par les oreilles et lui dire péremptoirement d'une voix forte. Je suis l'homme. C'est moi qui commande et interdit. Je n'accepterai aucune critique de mon comportement. Tout ce que je te demande, c'est de m'obéir. Ne me forcez pas à vous discipliner. Elle a tiré de cela et des autres leçons qui ont suivi, pour s'adapter à tout, même en vivant avec les djinns, afin d'échapper à l'éclat de sa colère aux yeux (WAPM : 102). Les épouses sont dépeintes comme des femmes exceptionnellement patientes et dévouées, qui trouvent normal de sacrifier un peu de sommeil afin de s'assurer qu'elle fournit à son mari l'assistance nécessaire dont il a besoin. Elle croit que, le rôle de l'épouse est censé être une extension pour le rôle de la mère ; la femme s'occupe du mari comme de sa mère. * 2Première épouse régente et administratrice du saaré |
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