1.1.1. Les préjugés
et clichés sur le personnage féminin
Ce sont des croyances ancrées et simplistes qui
attribuent des traits de caractère et des activités
spécifiques à la femme. Ils essaient de justifier la domination
des hommes sur les femmes, non pas à partir du mode d'organisation de la
société, mais comme une situation relevant des caractères
naturels des femmes. Amossy et Herschberg (2021 : 60) notent que les
études littéraires ont accordé une place importante
à la notion de cliché. Objet de la stylistique puis de la
poétique, le cliché est considéré dans ses effets
esthétiques, puis dans ses fonctions et son rôle dans la
production du texte. Au-delà des formes langagières
figées, la critique du XXe siècle s'est
intéressée aussi aux représentations sociales à
l'oeuvre dans la fiction. Des écrits de Barthes à la
sociocritique et à l'imagologie, elle analyse l'expression de la
doxa et des idées reçues,l'exploitation des
stéréotypes culturels et ethniques dans le texte
littéraire.
Les sociétés africaines sont dominées par
des pratiques différentes. Ces pratiques sont liées
essentiellement à des vieilles religions africaines. « Toute
la société est en proie à ces croyances qui dirigent la
vie quotidienne. Selon la croyance certains actes ont toujours une
conséquence positive ou négative. » (IklasSidig,
2011 : 105). La discrimination de la femme dans la société
se prolonge dans les oeuvres et au-delà puisque tout en étant
dénoncée, cette image véhicule un stéréotype
qui stigmatise. Le stéréotype reflète une
réalité sociale qu'il contribue à entretenir. Dans ce
sens, les allusions faites aux personnages féminins dans le corpus
peuvent se lire en tant qu'écriture de la victimisation.
En fait, la lecture des textes de Djaïli Amadou Amal
laisse entrevoir des traits de caractères protéiformes
attribués à la femme. Ils relèvent de l'imaginaire du
peuple en présence. Ces images attribuées à la femme
telsques( la femme qui travaille commenderait son époux ; le
paradis de la femme depend de sa soumission envers son mari ; une femme
intéllectuelle est cataloguée par la famille comme un danger pour
leur fils ...)se transforment en des règles communément
admises au sein de la société textuelle. Dans un échange
entre Alhadji et sa fiancée dans Walandé.L'art de partager un
mari sur les conditions de vie dans le mariage et le fait de Sakina
veuille continuer à travailler, l'homme tranche nettement en se basant
sur les idées reçues en circulation dans la
société : « -Je ne veux pas que ma femme
soit exposée à tous les regards. N'importe quel homme se
permettre de te parler, à commencer par ton patron qui te commandera
comme s'il était ton mari ». (WAPM : 23).
Comme on peut l'observer dans cet extrait, la femme et par
ricochet toutes celles qui travaillent fricoteraient avec leurs patrons. Et ce
seul motif, qui n'est d'ailleurs pas prouvé, encore moins
étayé d'exemples par Alhadji, justifie l'interdiction pour la
femme mariée de travailler. C'est un argument avancé par le futur
époux pour maintenir l'épouse sous sa dépendance. Une
femme au foyer ne dispose pas de son autonomie. Elle reste dépendante de
l'homme qui à son tour se permet tous les traitements les plus
dégradants à l'égard de cette dernière. Ce
cliché n'est d'ailleurs pas le seul attribué à la femme
travailleuse.
Toujours dans Walaandé. L'art de partager un mari,
la femme est qualifiée d'irrespectueuse. En fait, dans les
sociétés peules, le respect de l'époux par sa femme passe
pour un principe cardinal qui régit la vie de couple. C'est pour cette
raison que l'homme peul est intransigeant sur ce principe. Il n'admet aucun
écart de comportement de la part de sa femme. Pour lui, tout geste
déplacé est susceptible d'édulcorer ce respect qu'il tient
en estime. Dans une discussion entre les deux époux cités
ci-dessus, il ressort clairement l'intolérance de l'outrage à
cette règle : « -Alhadji tu m'as menti. Quand on s'est
marié, tu m'as fait des promesses et tu ne les as pas tenues. -C'est moi
que tu viens de traiter de menteur ? C'est le petit travail que tu avais
qui te rend si impolie envers moi ? » (WAPM : 25).
Selon la culture peule, certains écarts de langage ou
de comportement sont intolérables. Dans cet extrait, le franc
parlé de la femme est assimilé à du manque de respect.
Toutefois, cet écart est selon Alhadji à mettre à l'actif
de l'autonomie de la femme (femme employée dans le service public) et
non du manquement dans le processus d'éducation qu'elle aurait
reçue. Et de ce fait, l'époux s'emploie à tout mettre en
oeuvre pour empêcher sa promise à effectuer, en dehors des
tâches ménagères, des travaux relevant du service public.).
Les principales fonctions de la femme dans la société
sont : se marier, procréer et éduquer ses enfants. Sakina
l'illustre en ces termes :
Le mari est celui qui commande, ton maître, ton
seigneur tout puisant. Et s'il était permis à un être
humain de se prosterner devant un autre alors, la femme devrait se prosterner
devant son époux. Depuis le plus jeune âge, on nous l'a appris.
Nous l'avons assimilé, de telle sorte que nous méprisons
même nos soeurs qui osent en dire le contraire (WAPM :
60).
La situation professionnelle de l'épouse fait
échos et inquiète dans la sphère familiale. C'est dans
cette logique que lors d'un conseil familial, de fermes recommandations ont
été adressées à AlhadjiOumarou par la fratrie de
prendre garde, au risque de perdre le contrôle de sa concession au profit
de cette femme intellectuelle : « -Fais attention à toi
Oumarou ! Recommanda le deuxième frère Daouda. Les femmes
qui ont fait les études veulent commander les hommes. Si tu laisses une
femme prendre le dessus sur toi et diriger ta vie, tu es fini... »
(WAPM : 67).
La femme intellectuelle est cataloguée par la famille
comme un danger pour leur fils. Il perdrait toute autonomie face à elle.
Pour la famille, l'épouse idéale se montre donc avant tout
soumise et respectueuse envers son mari. Elle doit aussi être
fidèle, bonne ménagère et de caractère doucereuse.
Cependant, pour la fratrie, ces caractères ne seraient pas l'apanage des
femmes scolarisées. Ce cliché attribuée à la femme
scolarisée se trouve évoqué dans la seconde oeuvre du
corpus.Munyal. Les larmes de la patiencetraite des idées
reçues par rapport aux jeunes filles ayant fait des études. Pour
les personnages masculins, toute fille qui a mis les pieds au sein de
l'institution scolaire aurait un comportement irrévérencieux
envers les siens, voire à l'égard de toute la
société. Ce roman construit autour de la thématique du
mariage forcé, ôte à toutes les jeunes filles toute
possibilité de défendre leur intérêt ou leurs
droits. Ramla, l'une des protagonistes, dans sa tentative
désespérée de faire comprendre à sa famille qu'elle
souhaite continuer ses études se voit réprimander et son
comportement fiché : « -Voilà le résultat
de laisser des filles trop longtemps sur les bancs de l'école. Elles se
sentent pousser des ailes et se mêlent de tout. »
(MLP : 42).
Pour son père, son attitude (lui dire ouvertement ne
pas vouloir du mariage à elle imposé) est la conséquence
de la scolarisation de sa jeune fille. Comme pour dire l'école est
source de dépravation des jeunes filles. À y regarder de
près, tous ces stéréotypes rentrent dans une logique qui
vise à imposer à la jeune fille toute volonté jugée
bonne par l'homme. Ils ont pour but de maintenir la femme sous le joug de la
gent masculine. Pour les hommes, une épouse ne doit échapper au
contrôle de l'homme. Pour ce faire, il doit rester en éveil, et
mettre sur pied des stratégies permettant de circonscrire ses
velléités d'émancipation.
Les fausses images attribuées à la femme
concernent également celles qui ne sont pas scolarisées. C'est
dire qu'il n'y a pas d'issue pour la gent féminine à
échapper à ces appréhensions qui la cataloguent. Dans
l'oeuvre citée ici, l'une des protagonistes, Hindou, après un
mariage forcé et à la suite de violences conjugales
répétées, sombre dans la solitude et la dépression.
Elle délire. Son état est tout de suite attribué à
« un djinn malveillant » (ML: 8). Pour la
communauté et sa famille, « ce genre de pathologie survient
généralement chez les jeunes mariés ainsi que les
nouvelles mamans. [Et] Hindou est dans les deux états. »
(MLP: 8). Cette calque se base sur des appréhensions, sur des
conclusions élaborées sur la base des idées reçues.
Selon l'opinion, une jeune mariée serait susceptible d'être
possédée par de mauvais esprits. Or, une lecture du roman montre
que le comportement délirant de la jeune femme est imputable à
l'oppression qu'elle a subit à la fois de la figure paternelle que
maritale. Ces deux « autorités » constituent ses
bourreaux. Ce cliché ouvre ainsi la voie à toute sorte de
traitement, voire de récriminations, sous le fallacieux prétexte
que le personnage serait hanté par des esprits malicieux. Il permet
également de voiler la bestialité de l'époux. Tous ses
actes de violence sur Hindou passent pour une réponse au comportement
malsain de cette dernière. Il rationalise le traitement affligeant de
l'homme, Moubarak, avec la complicité de la famille.
En outre, l'imaginaire peule présente le
côté inférieur de la femme et le fait qu'elle soit
considérée comme un être dépourvu de toute
réflexion parce qu'elle est tiré de la côte de l'homme.
Selon le mythe de la création peule, elle est venue au monde
courbée. Dans Walaandé. L'art de partager un mari, le
grand imam de la mosquée rappelle ce stéréotype. Il dit :
« Allah, qui dans sa grande Sagesse les a créées d'une
côte, les a faites aussi courbées dans leurs réflexions que
cette côte. Si tu essayes de la redresser, elle se brise. »
(WAPM: 140) Selon les dires de l'Iman, la femme est inapte à
l'activité intellectuelle à cause de sa nature incomplète.
Elle n'est façonnée qu'à partir d'une côte de
l'homme. C'est aussi une et raison valable pour qu'elle lui doive soumission.
De ce fait, il est normal qu'on lui « [...] dénie toute
capacité de réflexion et d'initiative, toute personnalité.
» (Ndinda, 2002: 110).
L'analyse du roman fait également ressortir un
cliché attribué à la femme : elle porterait bonheur
à son époux. En effet, selon les croyances, dès
l'entrée de la jeune femme dans le foyer, la fortune de l'époux
est sensée se décupler. C'est ce qui est arrivé lorsque
AlhadjiOumarou s'est marié : « -Pour mon père,
elle est porte-bonheur. Dès leur mariage, ses affaires se sont
améliorées. Dans l'imaginaire populaire, la bonne étoile
d'une épouse détermine la prospérité de
l'homme. » (MLP: 27). Se fondant sur ces croyances,
dès le mariage, chaque époux espère de fait que sa
situation s'améliore. C'est ainsi que l'épouse est l'objet d'une
surveillance de tous les instants par les membres de la belle famille.
Plutôt que de travailler à fructifier sa fortune, l'homme serait
tenté d'espérer une manne. L'épouse est le
libérateur qu'il appelle de tous ses voeux. Grâce à elle,
il espère quitter sa situation d'au moment des noces pour devenir «
un homme fortuné ». C'est une expression qu'il aura entendue
très souvent et qui le remplit d'aise. Ne dit-on pas également de
l'épouse qu'elle « illumine la maison où elle va vivre
désormais ? N'assure-t-on pas qu'elle le fera entrer dans le monde
» ? (MLP : 122). Cette dernière formule est
peut-être celle qui parle le plus, car elle relève de l'imaginaire
commun. Tout homme qui se marie, dans l'univers peul, y voit la promesse de
vastes horizons. Marié, il aura enfin un statut flatteur, celui de
« homme respectable » (MLP : 68).
Vu sous un autre angle, ce préjugé pose
problème du moment où, toutes les femmes ne sont pas chanceuses.
Si d'aventure, un homme venait à faire faillite quelques temps
après s'être convolé en juste noces, la femme serait
considérée comme malchanceuse. Cette image ouvre la porte
à toute sorte de traitement dégradant envers la femme. Elle
expose cette dernière à des spéculations, à des
actes de violence. Toutefois, il faut considérer que les croyances ne
sont les seuls moyens de sujétion de la femme; il en est de même
de la sous scolarisation.
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