4.2.3. Critique de la
société patriarcale
La critique de la société qui transparaît
dans le roman de Djaïli Amadou Amal s'inscrit dans le discours dominant et
a l'effet d'en mettre à nu les suppositions traditionnelles avec
acceptation des conséquences. Son écriture va à l'encontre
des règles ancestrales qui tentent d'enfermer la femme dans les liens
traditionnels du patriarcat, malgré la désapprobation, voire
l'opposition de des personnages femmes, représentantes et garantes de la
perpétuation des principes coutumiers dans la famille. Agissant presque
seules contre tous, puisque ne bénéficiant ni de
complicité, ni même de sympathie pour leurs causes, certaines
femmes suivent de manière imperturbable la voie qu'elles se sont
tracée, sans que cela n'altère, de façon significative,
leur identité féminine.
D'emblée, on peut remarquer de part et d'autre une
dénonciation de la mentalité rétrograde que
possèdent les pères de famille comme Alhadji Issa et Oncle
Hayatou dans Munyal ou AlhadjiOumarou et l'Imam de la mosquée
dans Walaandé. Il semble que ces derniers aient tendance
à s'appuyer sur des principes traditionnels et religieux qui
s'apparentent de près à ceux d'un « régime
liberticide ». Ces hommes sont des croyants qui détiennent une
attitude particulièrement répressive à l'égard de
leurs jeunes filles. Se dévouant à l'Islam, AlhadjiOumarou prend
au pied de la lettre toutes règles que lui dicte le coran. Il les
applique notamment dans ses manières d'éduquer et de
châtier ses épouses et ses filles, puisque celles-ci
s'avèrent assez strictes. En vérité, cet homme ne manque
pas seulement de souplesse, mais peine également à comprendre la
détresse vécue par sa concession. On dirait qu'il
considère la période de l'adolescence telle une phase de
perversion où séduction, envies sexuelles, éveil à
la féminité et plaisir sont synonymes de provocation, voire de
délits. Outre les regards condescendants et les reproches incessants que
ce commerçant respectable manifeste à ses épouses, on
perçoit son puritanisme lorsqu'elle apprend que l'une d'entre elles lui
a adressé une parole qui ne rentre pas dans les règles de l'art.
De l'autre côté se présente Moubarak,
jeune homme colérique et qui lui aussi ne cesse de réprimander sa
cousine épouse Hindou pour ses moindres faits et gestes. Reclus dans une
situation précaire du fait de ses multiples échecs dans les
affaires, ce dernier vit au milieu des gens attachées aux valeurs
traditionnelles et islamiques, mais ne les respecte aucunement. Il tient des
discours conservateurs sur les droits et libertés des femmes en estimant
que ces dernières ne sont utiles que pour servir, cuisiner, nettoyer et
enfanter.
Le fil de lecturedes deux romans amène à lire
dans le même temps des récits de viesde femmes peules racontant
comment les personnages féminins bataillent pour échapper
à un avenir de soumission totale promis par la tradition et la religion,
pour accéder au droit la parole et, donc, à la dignité
féminine. Les romans de Djaïli Amadou Amal rappellent bien, sans
emphase, quelle énergie il a fallu hier et faut encore aujourd'hui
à une jeune fille peule sahélienne pour s'extirper du sort commun
promis par le patriarcat coutumier à toutes les femmes en Afrique :
obéir et se taire.Forte de cette conviction, Djaïli se lance dans
un projet de récit un peu « fou » :
révéler l'intérieur de la culture peule,les
procédés qui permettent aux hommes de maintenir en
captivité la femme avec la complicité des religieux et des femmes
même.
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