4.2.2. Conscientisation des hommes
et des femmes
Djaïli Amadou Amal est l'une des écrivaines qui
jouent un rôle important dans l'émancipation de la femme
africaine. On peut déduire à travers ses oeuvres que
l'école est un moyen indispensable pour susciter la prise de conscience.
Les femmes instruites mettent toujours en cause leur état et refusent la
place à laquelle la société les relègue. Dans
Walaandé. L'art de partager un mari, Sakina prouve à ses
coépouses que les différentes interprétations du coran
données par les hommes sont fausses. Elles visent à les conforter
dans leurs positions dominantes au sein de la famille tout simplement. Les
jeunes enfants des différentes familles représentés dans
le corpus, des collégiens, se rebellent contre la décision prise
unilatéralement par leurs parents de les marier, ceci est dû au
mépris de leurs ambitions.
Djaïli Amadou Amal se sert également de sa plume
pour créer des héroïnes qui, à travers les
évènements prennent conscience de leur état et finissent
par se révolter. Par exemple dans le roman ci-dessus cité, Hadja
Aïssatouqui a toujours été taciturne et soumise durant ses
deux décennies de mariage est devenue une révoltée par la
force des souffrances et des mépris. Ses propos démontrent
clairement sa prise de conscience et elle se révolte :
« Cette fois, tu vas m'écouter, car j'en ai marre de tes
bêtises. J'ai toujours tout supporté en silence. Tes mariages, tes
répudiations, tes ordres. Tu détruis tout sur ton passage, tu te
prends pour Allah ? » (WAPM : 141).
Les femmes dans Munyal. Les larmes de la patience
font montre d'une prise de conscience assez claire de l'injustice, du manque
d'équité et de la violence que charrient la polygamie et le
masochisme masculin, tels qu'elles les vivent dans leurs foyers et autour
d'elles. Il faut dire tout que cette prise de conscience s'est notamment
manifestée par un acte qui récuse la tradition en même
temps que la morale religieuse :
Je ne dis rien mais je soulevai juste mon corsage dénudant
mon dos, dévoilant les grandes ecchymoses que l'on pouvait encore voir.
Avec le temps, elles avaient pris une couleur plus foncée, ce qui
arracha à ma mère un cri de stupeur.
-« Oh ! Hindou, avec quoi t'a-t-il fait ça ? Pourquoi
ne m'as-tu rien dit ?
- Qu'as-tu fait à Moubarak pour qu'il abatte sur toi une
telle fureur ? fit froidement ma tante. Qu'Allah nous préserve.
Franchement, toi et ton époux, vous vous valez. Pas la peine d'entrer
dans vos histoires.
- Je ne veux plus patienter, criai-je, éclatant en
sanglots. J'en ai assez. Je suis fatiguée d'endurer, j'ai essayé
de supporter mais ce n'est plus possible. Je ne veux plus entendre patience
encore. Ne me dites plus jamais munyal ! Plus jamais ce mot !
-Tu en as trop supporté, Hindou. Plus que ce que tu aurais
dû peut-être, ajouta ma mère, me réconfortant alors
que je sanglotais de plus belle.
-Tu expliqueras cela à ton époux, Amraou !
»conclut sèchement GoggoNenné en se tournant vers ma
mère. (MLP : 115)
En effet, après s'être mariée, la jeune
Hindou subit des violences conjugales. Malheureusement elle ne trouve de
soutien ni de la part de la belle-famille encore moins de ses parents. Elle
décide d'engager une lutte suicidaire pour sa libération. Elle
fugue de son foyer conjugal. Or, jusque-là, ses parents n'ont pas pris
conscient de la gravité de la situation de leur fille. Cette
dernière décide de dévoiler finalement les marques de
violence sur son corps. Ce qui enclenche une prise de conscience. Sa
mère est d'autant plus révoltée qu'elle est entre
contradiction flagrante avec les principes moraux de silence et de soumission
qui sont censés être à son quotidien. Tel est le cadre dans
lequel a pris corps sa prise de conscience sur la condition de vie conjugale de
sa fille; tel est également le creuset dans lequel se sont
forgées, sa révolte contenue, velléitaire contre
l'oppression et l'asservissement de sa fille par la structure polygamique ainsi
que sa détermination à combattre les abus de cette pratique, par
tous les moyens dont elle peut disposer. Aussi n'a-t-elle pas craint, dans le
légitime souci d'assumer pleinement son humanité, de subir la
colère d'un père en courroux, en contestant ouvertement la
violence dont fait preuve son gendre Moubarack à l'égard de
Hindou. Le brutal soufflet reçu du père, blessé dans son
amour propre de mâle omnipotent, contrarié dans ses prises de
position pour la première fois, mais aussi dans son orgueil de
maître absolu du domicile, humilié, voire bafoué par une
contestation « féminine » à l'interne, loin de la
réduire au silence et à la résignation, l'a davantage
enhardie et galvanisée dans son désir de poursuivre la lutte pour
plus de justice sociale et d'équité en faveur de sa fille.
La prise de conscience se réalise également du
côté des personnages masculins. À la fois individuelle et
collective, les hommes se rendent à l'évidence de leur faute et
rectifie le tir. Ils comprennent désormais leur entière
responsabilité dans la souffrance endurée par les femmes dans
l'univers familial.
Toi aussi, je suis au courant de ton comportement. Fais
attention à toi, Moubarak ! Ça ne te servira à rien de te
comporter comme un voyou. On a appris que tu maltraites ton épouse, que
tu te drogues et que tu bois. Ce n'est pas sensé. Au-delà du fait
qu'elle est ton épouse, c'est quand même ta cousine, et tu lui
dois protection. Que ce soit la dernière fois que j'apprends que tu l'as
frappée. Quand on épouse une inconnue, on lui doit des
égards. Quand on épouse un membre de sa famille, on lui en doit
deux fois plus. Tu veux diviser la famille ou quoi ? Tu n'es pas innocent dans
ce qui s'est passé. (MLP : 118)
Comme nous pouvons le constater dans cet extrait, les hommes
prennent la défense de la gent féminine. Bien que
profondément ancrés dans le patriarcat, ils avouent timidement
leur responsabilité. Désormais, la jeune Hindou peut compter sur
le soutien parental, face à son époux.
Notons aussi que la louange et la valorisation des femmes
martyres occupe une place importante. Aissatou a sacrifié son mariage
pour libérer ses coépouses et par ricochet, toutes les femmes
qui, comme elles vivent dans l'étau de la polygamie. Yasmine a
sacrifié sa vie pour libérer ses frères et soeur, et par
la même occasion la nouvelle génèration de la
communauté peule qui se trouve coincée entre les griffes de la
tradition ; et qui les empêche de prendre l'envol, de s'assumer en
tant qu élément du monde. C'est grâce à la mort
de Yasmine que Mustapha, Fayza et Amadou octroient la capacité
d'être eux même.
Somme toute, il faut retenir qu'en l'état
actuel de la société représentée dans les deux
romans, avec une forte prédominance du mode de vie traditionnelle, il
n'est pas aisé pour la gent féminine de trouver une solution
toute faite aux problèmes liés au patriarcat, bref la tradition.
Dans les deux textes, les personnages féminins visent une
société qui soit un modèle d'équilibre dynamique
entre les solides valeurs traditionnelles qui ont fait leurs preuves et
l'adaptation judicieuse aux réalités actuelles. La
réalisation d'un tel objectif passe par une véritable
reconversion des mentalités obtenue à travers des efforts
significatifs de mis en scène des personnages et d'éducation de
toute la société et des femmes en particulier.
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