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La victimisation du personnage féminin dans Walaandé, l'art de partager un mari et Munyal, les larmes de la patience de Djaili Amadou Amal


par Germaine DANGA MOUDA
Université de Maroua - Master2 2021
  

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4.2.1. La recherche de soi

La recherche de soi ou la construction de l'identité féminine se passe de façon endogène par rapport à ce qui est féminin en premier lieu, par rapport à son corps. Dans cette perspective de non différenciation, la construction identitaire paraît plus difficile pour la femme, qui doit, d'après Paré &Zouyané (2022), suivre une voie plus tortueuse : elle doit devenir elle-même ce qui était d'abord l'objet de son (premier) amour. Elle doit achever son autoréalisation en devenant l'autre terme de sa première relation. Pour mieux comprendre les mécanismes de la recherche de soi féminin, il faut observer les différentes façons d'être des personnages féminins dans l'univers romanesque, au sein d'une société dont les lois lui sont hostiles. Il faut penser l'infinie diversité des situations existantes (et qui échappe à toute tentative de définition réelle) au regard de la société, ici, peule. Il faut donc appréhender les enjeux de la transformation de la femme, analyser tout ce qui détermine le comportement des personnages, comprendre ce qui les oblige à tenir un rôle dans la société, « conformément à la culture et aux impératifs sociaux ».

Les romans de Djaïli Amadou Amal traitent de la transformation intérieure de la femme. Dans Walaandé. L'art de partager un mari, le récit montre une transformation progressive des personnages féminins. Cette métamorphose est en rapport avec leur corps. En effet, Sakina et Nafissa, deux épouses d'AlhadjiOumarou, se sont sacrifiées au nom de la loi conjugale et la volonté de l''époux. Elles ont donné naissance à plusieurs enfants. Ce qui n'est pas sans incidence sur leur physique. À peine la vingtaine entamée, elles ont l'air d'en avoir trente. Les multiples accouchements ont conduit à la dégradation de leurs corps. Ce qui les inquiète. Pour apporter une solution à cette situation, les deux jeunes femmes décident, au mépris de la tradition de suspendre les accouchements. Ceci passe par la prise des contraceptifs. C'est une pratique qui pourrait courroucer l'époux. Mais elles y tiennent. Elles tiennent à prendre le contrôle de leurs corps.

Le processus de construction identitaire est une interrogation constante de la littérature féminine africaine. Cette littérature représente les chemins possibles pour parvenir enfin à être « soi », c'est-à-dire, paradoxalement, pour « être autre ». Selon Paré Daouda (2022), la notion d'identité est inséparable de la notion d'altérité. La narration chez Djaïli rend compte de ce va-et-vient entre soi et altérité. En effet, la quête identitaire l'une des thématiques et elle fait référence à une différence ardemment souhaitée : Sakina et Nafissa souhaitent être différentes. Elles aspirent à une identité nouvelle désirée (un être au monde à inventer). Évidemment, la question de l'identité se fonde sur la relation conjugale et l'héritage transmis. Elle pose le paradoxe entre l'identique (et la reproduction du même, soit de l'épouse modèle) et la différence (et donc l'altérité ou encore de l'épouse affranchie des traditions). L'écrivaine interroge les modes d'élaboration de l'identité et en premier lieu, la relation à l'époux, comme support identificatoire primordial. Elle met en place des stratégies narratives pour dire la construction féminine. Pour se faire, elle dote les personnages de femme d'un état initial qui n'est pas figé (épouse modèle), puisqu'il va être amené à évoluer en même temps que l'intrigue et la trame narrative. Dès le départ, l'identité des personnages femme est indécise, comme un peu effacée derrière la tradition et la religion, mais toujours liée à l'époux.

La recherche de soi de la femme passe également par la reconquête de sa liberté ou son affranchissement de l'autorité masculine. En effet, mariées dès l'âge de douze ou treize ans, toutes les femmes d'AlhadjiOumarou sont durant leur vie « la chose » des hommes. Avant leurs mariages, elles sont sous l'autorité parentale. Ce qui s'est soldé par des mariages précoces et forcés. Dans le foyer conjugal, elles ont perdu toute autonomie. Elles doivent accoucher le nombre d'enfants souhaité par Alhadji. Leur mobilité reste cantonnée à l'univers familial. Le travail dans le service public ne fait plus partie de leurs projets. Bref, elles ne peuvent plus aspirer à une ambition. Pour être, les femmes du corpus disent la tradition. Pour devenir ou pour s'imaginer, les personnages de filles femmes envisagent d'abord la tradition (éducation traditionnelle transmise par la mère, respect de la volonté du père, soumission à l'époux). La femme devient une projection de la tradition. Dans la littérature produite par Djaïli Amadou Amal, les personnages féminins sont obligés de se tourner vers les personnages figures de la tradition pour tenter de trouver des repères de ce qui les attend, pour trouver leur « devenir » identitaire féminin. Et ce, quel que soit le lien qu'elles entretiennent avec les lois traditionnelles (qu'elles soient torturées (Hindou, Sakina, Nafissa) ou passionnées, plus tempérées (Djaïli, Hadja Aïssatou)... Que la femme se sente trop ou mal aimée par son époux).

Ainsi, face à cette situation qui est en grande partie inconfortable pour la femme, elles procèdent à la recherche de soi. C'est le cas de Nafissa dans Walaandé. L'art de partager un mari. En effet, après quelques années de mariage forcé, celle-ci se sent à l'étroit dans le foyer conjugal. Elle ne peut exprimer librement son amour dans un foyer polygamique et du fait du semteende, la retenue. Pour s'affranchir, elle demande le divorce :

-Je veux ma répudiation aussi.

Il ne répondit pas, continua son chemin. Elle insista :

-tu as répudié les deux autres ! Je demande aussi ma répudiation.

-Nafissa, ne me cherche pas ! En vérité, vous êtes toutes devenues folles ou quoi ?

-Je veux vraiment ma répudiation !

-D'accord tu l'auras ! je te répudie trois fois ! je te répudie, je te répudie, je te répudie. Tu es comme ma mère, ça te va ?

-Merci Alhadji ! (WAPM : 142).

Il est de coutume que l'homme demande et autorise le divorce. Or, dans cet extrait, c'est Nafissa qui demande à être répudiée. Elle harcelle à la limite son époux à cet effet. Elle a la situation en main. Elle a réussi à inverser la tendance.

Les deux romans de Djaïli analysés dans cette section racontent la construction identitaire féminine entre tradition et quête émancipatoire, à travers différentes personnalités singulières inscrites dans la trame narrative, c'est-à-dire obéissant à une logique puisqu'elles vont passer d'un état à un autre. En effet, les personnages femmes vont aller d'un état initial à un état final, grâce à un élément perturbateur entrainant des changements et des perturbations « mis en continuité à travers l'enchaînement des différentes séquences de l'intrigue » (Erman, 2006 : 10) permettant ainsi de dévoiler une vérité. Leur vérité et leur identité. À la fin des récits, les personnages femmes ont mue, comme traversés par une quête absolue d'émancipation et donc de construction autre que celle transmise par la tradition. Ainsi, elles sont, in fine, sujets de leur histoire c'est-à-dire qu'elles ne sont pas uniquement le produit de la logique narrative. « Leur humanité » reposerait à la fois sur leurs actions et sur leur manière d'être au monde, de le penser, de le réfléchir et de vivre leurs aspirations, leurs désirs. Leur possibilité d'exercer leur volonté propre.

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"Des chercheurs qui cherchent on en trouve, des chercheurs qui trouvent, on en cherche !"   Charles de Gaulle