4.1.3. Une écriture du
tragique
Le tragique est le caractère de ce qui est funeste,
alarmant ou attaché à la tragédie. Un personnage tragique
semble soumis au destin, à la fatalité; il est emporté par
ses passions ou subit un conflit intérieur proche de la folie. Le
registre tragique est proche du registre pathétique parce qu'ils
suscitent l'un et l'autre la pitié, mais il s'en distingue par le
caractère terrifiant des situations dans lesquelles se trouvent les
personnages. Ainsi, dans un roman par exemple, un personnage dont le destin est
irrémédiable, souvent funeste. Une autre caractéristique
d'une « fin tragique » peut être la mort du personnage dans
d'atroces souffrances.
Que ce soit l'une ou l'autre des situations expliquées
ci-dessus, elles se retrouvent représentées dans les deux romans
de Djaïli Amadou Amal. En effet, dans Munyal. Les larmes de la
patience, le personnage de Hindou est victime de ses malheurs. Elle est
d'une manière générale responsable de ceux-ci.
D'après Paul Ricoeur, « dans la tragédie, le
héros tombe en faute comme il tombe en existence ». De fait,
le personnage/Héros tragique est rarement innocent. Même s'il
l'est, il demeure coupable de vivre. Le tragique repose souvent sur une tension
entre une norme (tradition) et une transgression (une faute). Pour le cas
précis, la faute de Hindou provient de ce qu'elle veut s'affranchir de
son époux, du mariage, de son foyer conjugal. Ce qui lui est
imposé par sa famille et ses parents, dignes représentants des
lois traditionnelles. Or, elle est sans cesse poussée par sa
volonté de reconquérir sa liberté. Ce qui constitue donc
la faute. Il y a donc tension entre ces deux pôles : se conformer ou
s'affranchir. Son malheur vient de là.
Ainsi, se déchaînent contre le personnage une
série d'évènements. Le premier élément qui
pèse sur Hindou résulte d'un châtiment que Moubarak lui
inflige en réparation ou en expiation d'une faute : « Espèce
de petite peste ! Tu m'as mordu mais tu verras. Tu ne perds rien pour attendre.
» En fait, selon les propos du personnage de Hindou, son cousin Moubarak
aurait voulu abuser d'elle. Cette dernière, en se défendant, par
un coup de hasard, l'a mordu. Cette « faute »,
considérée comme un affront par son cousin, scelle son destin.
Elle subira les conséquences dans le mariage. Arrivée dans le
foyer conjugal, Hindou en rajoute à sa faute : elle défie
l'autorité familiale, car elle fugue, tentant de s'échapper aux
violences répétées de son cousin époux. Pour elle,
« le jour où j'ai déserté la maison conjugale,
sans destination précise, je n'avais guère imaginé les
conséquences de ma fugue ni pour moi et encore moins pour le reste de la
famille. » (MLP : 132)
Le personnage a provoqué les foudres de la
société et l'a défiée avec son comportement. Le
père, irrité par ce comportement, est décidé
à lui faire subir un sort funeste : « je vais te
tuer ». À sa manière, il la punit. Elle va subir une
violence inouïe, qu'elle ne reconnaissait pas à son
géniteur. À présent, Diddi, la mère de Hindoua
l'esprit plein de remords et de culpabilité, croyant que ce malheur est
de sa faute et le fruit de son attitude envers sa fille.
L'expression du tragique dans les romans de Djaïli Amadou
Amal recourt à une expression sobre, à même de retenir
l'attention du lecteur sur la situation que vit le personnage féminin.
C'est dire que le codage du rapport émotionnel est facilité par
le recours à un style simplifié par l'auteure. Les
mécanismes à l'oeuvre employés par l'écrivaine
constituent un appât pour le lecteur par rapport à la souffrance,
à la tragédie que vivent les personnages.La représentation
des personnages impliqués dans la situation tragique (il y a ceux qui
souffre; et ceux qui font souffrir) rendle récit captivant. La
souffrance, qu'elle soit physique ou émotionnelle, augmente
considérablement l'implication émotionnelle du lecteur. Ainsi,
Walaandé. L'art de partager un mari foisonne de marques
d'écriture de ceregistre que nous allons repérer et
relever. À cause de l'état de Yasmine, les mariages furent
repoussés. La jeune fille n'allait pas bien. [...] Hadja Aïssatou,
les yeux rouges par manque de sommeil, égrenait sans cesse son chapelet.
[...] Fayza, assise sur le lit de sa soeur, tenait sa main amaigrie et essuyait
de temps à autre une larme discrète pour ne pas inquiéter
la malade. Même Alhadji ne parvenait plus à cacher son
inquiétude. (WAPM : 120). Tous les personnages
impliqués dans le récit, ressentent chacun à un
degré variable, l'intensité de la situation tragique vers
laquelle s'achemine la famille. À travers des expressions simples, elle
prend de l'ampleur chez le lecteur. Il se sent concerné par la
tragédie.
Une autre des structures de l'écriture tragique est le
personnage ou héros tragique Barthes le définit comme :
« l'enfermé qui ne peut sortir sans mourir »
(Barthes, 1963 : 22). Dans Munyal. Les larmes de la patience,
Yasmine est enfermée dans un espace tragique qui est clos (la
concession de son père) et lorsqu'elle entreprend de quitter cet espace,
c'est la mort qui la guette au détour. Ainsi, s'installe en elle une
situation d'instabilité, de confrontation entre la volonté du
père et ses propres choix. En outre l'instabilité et la division
sont caractéristiques du héros tragique: il est un être
instable et divisé, si bien que son amour et ses émotions sont
instables : « il ne se débat pas entre le bien et le mal, il se
débat c'est tout » (Barthes, 1963). Le héros
tragique est proche d'un patient atteint par le dédoublement de la
personnalité, en d'autre termes il est atteint par la scission du «
je ». C'est pourquoi le monologue intérieur est si fréquent
dans ces oeuvres tragiques. Car il est l'expression idéale de la
division.
On revient à la mort tragique pour dire que le
héros tragique cherche la mort et ce pour rompre une situation, et cette
même volonté-même si elle ne se concrétise pas, elle
est cependant considérée comme une mort. C'est la mort rupture
qui peut être la conséquence d'une découverte d'une
vérité tragique ou l'inacceptation d'une situation. Comme c'est
le cas de Yasmine qui refuse son mariage. Dans toute oeuvre tragique la figure
du père est omniprésente : le sort de tout personnage tragique,
Hindou et Yasmine est étroitement lié à leurs
pères. À ce propos et comme le souligne Barthes : « Il n'ya
pas de tragédie où il ne soit réellement où
virtuellement présent ». Les souffrances auxquelles les deux jeunes
filles sont confrontées dans les romans ne sont que les résultats
des fautes que leurs pères respectifs ont commises. Il faut aussi avouer
que concernant les pères, le moins qu'on puisse dire c'est qu'ils ne
sont pas des pères idéaux. Ils sont violents. En outre, c'est
sont eu qui ont rendu Yasmine et Hindou malheureuses pour toujours et ce en
choisissant pour elles leurs époux, qu'elles n'aiment pas.
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