La victimisation du personnage féminin dans Walaandé, l'art de partager un mari et Munyal, les larmes de la patience de Djaili Amadou Amalpar Germaine DANGA MOUDA Université de Maroua - Master2 2021 |
4.1.2. Une écriture du pathétiqueLe Dictionnaire fondamental du français littéraire note que le terme « pathétique » vient du grec pathêtikos« dérivé de pathos : pathétique poussé jusqu'à l'exagération », qui est « relatif à la passion ». Selon Patrice Pavis, le pathétique est une « qualité du texte [...] provoquant une vive émotion ». C'est à dire c'est le « mode de réception » du texte littéraire provoquant la compassion du lecteur avec le récit. Par le pathétique, qui consiste à manifester ou provoquer une profonde émotion soit par la représentation du malheur ou de la souffrance. Le pathétique, est l'un des éléments de l'esthétique tragique. Parce que le sentiment et l'affectivité du pathétique est un élément important de la tragédie. Comme le remarque Catherine Naugrette (2000 : 145), c'est « une nouvelle conception de l'oeuvre d'art, qui sanctionne le passage amorcé au XVIIe siècle d'une esthétique du plaisir à une esthétique du sentiment et du pathétique moralisant ».Le pathétique est ce qui, par l'expression du malheur ou de la souffrance, excite les passions et les émotions vives telles que tristesse, indignation, horreur, pitié, terreur.L'écriture dans Munyal. Les larmes de la patience et Walaandé. L'art de partager un mari est une mise en relation entre l'auteur, son imaginaire, son milieu de vie et un monde plus large qui se donne à lire via son entrée en résonnance avec une inspiration singulière. Dans les deux romans, Djaïli Amadou Amal, dans un style simple et accessible à tous/toutes aux la romancière camerounaise fait une peinture sans complaisance, non seulement de la condition féminine dans le sahel islamisé du Nord du Cameroun, mais aussi une mise en exergue tant de la conception de l'amour et du mariage que des rapports hommes/femmes et femmes/femmes au sein des Saaré, sortes de concessions construites autour et par un homme polygame : le mâle dominant dans son harem. En bref, il s'agit de la mise en lumière de la souffrance de la femme.En effet, l'analyse revèle que la femme vit une situation précaire, caractérisée par une vie qui dépend de pesanteurs socioculturelles et religieuses. Celle-ci doit renoncer à son bonheur personnel dans la mesure où elle doit vivre et se sacrifier pour le bien-être du mari et de la famille. Cela revient à se faire belle de façon permanente pour son mari, à être coquette à chaque instant pour lui, à être souriante devant lui malgré ses propres problèmes, à se parfumer pour son plaisir, à ne pas le contrarier, à le respecter en toutes circonstances, à accepter la polygamie... Bien plus, la femme dans les deux romans doit réussir à garder son mari et le rendre heureux . Un tel comportement fera honneur à sa famille qui se construira une excellente réputation dont l'acmé du mépris est la répudiation autorisée par l'islam. C'est à cette seule condition que la femme sahélienne et musulmane pourra « mettre son mari dans sa poche » et devenir la fierté de sa famille. De ce fait, la seule arme, mieux, la clé pour mériter cet amour sacrificiel est munyal, la patience. Le seul conseil que donne cette société du corpus à une jeune femme pour réussir ce parcours est : soit patiente et tout le reste te sera donné de surcroit (MLP : 7; 16; 68) (WAPM : 13; 37). Toute sa vie, la femme est au service de l'homme et de la famille; qui en tirent du pouvoir et du bien-être au maximum. Le mari est bien entendu le grand gagnant. Il reçoit tous les honneurs, tous les plaisirs et toutes les attentions et rien ne lui est interdit en retour. Il peut, contrairement aux femmes, collectionner autant d'épouses que le lui permettent ses moyens (MLP : 140), il peut avoir des aventures extraconjugales et peut même être violent sur ses femmes ou les répudier car cela est pratiquement un droit, un privilège masculin, un droit que lui donne l'islam (WAPM : 69-70). La famille en profite aussi car sa réputation gagne à la fois des bonus grâce au munyal de la femme et des dividendes économicopolitiques et statutaires au cas où le mari à sa fille est un grand homme. À titre illustratif, Safira a été mariée de force à Alhadji Issa, le plus grand commerçant de la ville de Maroua (MLP : 36), un homme riche et important. Donner sa fille en mariage est donc un acte d'investissement dont le retour sur investissement pour le père et la grande famille est plus important que les sentiments de la femme, que les difficultés qu'elle peut vivre au sein du mariage polygamique. En effet, ce que montrent les deux textes de Djaïli Amadou Amal est un ensemble de faits stylisés qui caractérisent la condition féminine. Les mariages forcés et précoces, l'arrêt brutal des études pour les jeunes filles ou leur absence totale (WAPM : 30; 35), les viols conjugaux, la violence physique, le danger de la répudiation, l'honneur à faire à sa famille en devenant « une bonne épouse », la polygamie et la recommandation d'être patiente et stoïque devant toutes les épreuves. C'est cela la condition féminine, un état du monde qui devient la normalité. Ce qui compte n'est pas qu'une fille ait des rêves mais qu'elle vive dans « la vraie vie » que met en place cette normalité. Les parents des filles, eux-mêmes issus de ce moule, préfèrent la sécurité de leur fille à l'amour de celle-ci pour un homme. Ils visent plus la sécurité de leur fille à sa liberté. Ils trouvent plus importants un choix collectif du mari à leur fille qu'un choix individuel d'un homme par leurs filles. Ils estiment plus porteur le mariage comme une alliance performante pour les familles par rapport au mariage d'amour : « le meilleur époux n'est pas celui qui chérit mais celui qui protège et qui est généreux » ; « l'amour n'existe pas avant le mariage » (MLP : 37); « dans un mariage on ne cherche pas que l'amour » ; « es-tu prête à sacrifier ta famille pour ton soi-disant bonheur ? » (MLP : 50), sont autant de répliques qui anéantissent et étouffent les velléités contestataires de Ramla lorsqu'elle est obligée de se marier à Alhadji Issa, un riche homme de la place. Les parents de Ramla préfèrent cette école de la vie à « l'école du blanc » que veut poursuivre leur fille par ailleurs brillante et amoureuse d'un autre, l'étudiant Aminou. En conséquence, les piliers de cette école de la vie sont le saaré, concession familiale où règne le baba3(*) et la dada-saaré. Les récits fédérateurs de cet univers instable où les rapports femmes/femmes sont sournois, calculateurs et empreints de maraboutages réciproques de ses co-épouses et de son mari sont le coran qui recommande la soumission des épouses à leur époux, munyal, la patience dont doit s'armer chaque femme, et la coutume familiale dont la polygamie assure la continuité et le prestige. Le corpus est aussi traversé par le conflit entre traditions (omniprésente d'Allah, de la famille élargie, des coutumes, des réciprocités, des parentèles, des solidarités, des marabouts) et modernité (besoin de liberté de Ramla, mercedes, bijoux, voyage en Europe, monnaies...). Il en résulte, comme dans L'aventure ambiguë de Cheikh Hamidou Kane, une société où le passage de la traditionnelle à la modernité s'avère difficile et marqué de plusieurs interrogations notamment sur « l'école des blancs ». Celle-ci, en reprogrammant Ramla et Safira, deux personnages phares du corpus, les déprogramme aussi par rapport au monde traditionnel. Ramla, ont besoin d'études, de choix individuels et de projets personnels de bonheur marquent les faiblesses du mode de vie traditionnel. Le lecteur est amené, en dehors des critiques de système traditionnel faites par Djaïli Amadou Amal, rendre sympathiser avec ces femmes sahéliennes anonymes dont la preuve de la force titanesque d'esprit est de s'être sacrifiées pour permettre à la romancière camerounaise de naître, de grandir et de devenir ce qu'elle est devenue. Ce sont peut-être elles les vraies héroïnes à mettre en avant. * 3Père, chef de famille |
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