3.2.2. L'image de la polygamie et
de la procréation
L'attention que les romanciers africains accordent au
thème du mariage nous indique à quel point cette institution est
d'importance dans la vie des africains. Ce sujet est abordé sous des
optiques différentes mais il reste toujours un thème dominant.
« La vie familiale, les coutumes du mariage, la dot, la cola symbole
de liens et de solidarité, le choix du conjoint, l'épouse
traditionnelle idéale, la polygamie, toutes ces questions sont
posées face au défi du modernisme qui gagne la vie des africains
depuis plus d'un siècle. » (IkhlasSiddig, 2011 : 16). Suivant
le rythme rapide de la vie, traçant les changements qui donnent leur
impact sur la société, les écrivains ont leur mot à
dire. Alors ils écrivent tantôt sur un ton plus ou moins
nostalgique en chantant les louanges des moeurs et des valeurs traditionnelles.
Tantôt sur un ton plus ou moins critique en envisageant certaines
coutumes, certaines pratiques jugées comme non convenables aux exigences
de la vie moderne. C'est le cas de la romancière Djaïli Amadou
Amal. Ses oeuvres sont bâties sur un fondement de contrastes et de
conflits sociaux qui résultent de la coexistence des cultures et des
valeurs traditionnelles ou occidentales.
Les oeuvres mettent en avant principalement de l'ironie
exprimée par le langage et les réflexions du point de vue du
narrateur. Ce que racontent ces écrivains, il faut le prendre au
sérieux, parce qu'ils sont les témoins de leurs époques.
Il va sans dire que nous avons besoin de ces témoignages, de ces
expériences qui servent d'éclairage et nous guident et qui
nourrissent notre vie actuelle et celle de l'avenir. Le corpus sur lequel
s'articule notre analyse traite de ce phénomène de
société pour connaître, à travers les personnages
particulièrement féminins, le statut de la femme, la
première concernée par cette pratique.La polygamie telle que
pratiquée dans les romans de Djaïli Amadou Amal présente des
facettes assez négatives. Le ménage perd sa tranquillité.
Il rompt avec la communication quotidienne entre le couple. L'atmosphère
s'empoisonne. Ce sont les premiers symptômes. Les suivants seront encore
plus durs lorsque le projet est réalisé.
En effet, les dépenses des coépouses fait partie
de la compétition qui est entretenue entre elles. Chacune veut tirer le
maximum de la poche de leur époux pour des motifs toujours
différents. À titre d'exemple, pour AlhadjiOumarou, la
deuxième femme qu'il a répudiée, son comportement
dépensier, le gaspillage sont devenus une habitude. Elle
dépensait pour rien, cela est dû à son caractère
superficiel et léger. Elle possède un gout très
poussé pour l'argent; au point d'en devenir addictive et se transformer
en cleptomane.Le comportement dépensier de la seconde épouse,
Djaili, dans Walaandé. L'art de partager un mari, frise
également la mécréance. L'on remarque qu'elle
dépense en peu de temps la même somme qu'elle parvient à
économiser pendant des semaines. Elle le fait exprès, car elle
pense à son avenir dans le foyer. Elle se dit qu'il ne lui reste
qu'à s'accrocher, se mettre à l'abri des aléas de la vie.
Dans sa situation elle a raison de s'inquiéter, puisque son mari ne se
contente pas de la troisième épouse mais il en prend une
quatrième. Donc, c'est mieux d'économiser pour les temps
dûrs, pour l'avenir qui n'est pas toujours rassurant dans une famille
polygame.
Pour résoudre des problèmes matrimoniaux, on
constate un recours permanent au maraboutage, à la sorcellerie. Une
pratique très répandue en Afrique que la polygamie encourage
davantage. Les femmes abandonnées par les maris ou celles qui perdent le
privilège d'être femmes préférées par leur
mari ou même celles qui craignent que leurs maris prennent de nouvelles
femmes, sont une bonne clientèle des marabouts. Pour écarter une
nouvelle coépouse ou bien ramener l'époux à son foyer, il
y a des charlatans reconnus partout. Ils sont excellents en philtre magique
mais ils habitent toujours loin et il faut les payer cher.
La sorcellerie fait partie des activités
journalières des femmes telles que de Djaïli. Quant à
Aïssatou, la première femme AlhadjiOumarou dans
Walaandé. .L'art de partager un mari, elles vont
régulièrement chez un marabout cherchant la faveur d'Alhadji.
Elles suivent scrupuleusement ses consignes.Il en est de même dans
Munyal Les larmes de la patience. Sous l'impulsion de la jalousie
provoquée par son détrônement par la nouvelle
épouse, Ramla, Safira s'emploie à mettre en lumière des
pratiques ésotérique dans le but de reconquérir son
époux. Pour elle, tous les moyens mystiques sont bons, pourvu qu'elle
retrouve sa place. Ainsi, Sakina envoie son amie chez le marabout et lui donne
des instructions en ces termes :
Dis-lui que je suis prête à tout. Je donnerai
tout ce qu'il voudra. Je ferai tout ce qu'il demandera. Je veux seulement
qu'elle parte ! Immédiatement ! Qu'Alhadji la répudie ! Reste
là-bas le temps qu'il faudra. Tu as cinq cent mille francs dans cette
enveloppe. N'hésite pas à dépenser. Même s'il
demande un boeuf en sacrifice, fais-le ! L'argent n'est rien. Je veux qu'elle
se casse ! Rappelle-toi bien son nom, celui de sa mère et celui de son
père aussi pour qu'il lui jette un sort. (MLP : 146)
Cet extrait révèle la profondeur de l'engagement
de cette épouse à nuire à sa rivale. Cette situation est
provoquée par le remariage d'Alhadji. Elle est amplifiée par le
traitement inégalitaire que celui-ci accorde à ses
épouses, pourtant prescrit par le Coran. Safira se sent insultée
dans son honneur. Elle se sent délaissée. De ce fait, elle se
doit de reconquérir son trône.En plus des pratiques
ésotériques, Safira se livre à de la mesquinerie pour
parvenir à ses fins. Tout y passe, toutes les bassesses. Elle
n'épargne personne et tous les moyens sont bons:
L'air de rien, je me révélais une adversaire
redoutable et utilisais parfois mes enfants et les domestiques pour arriver
à mes fins. Je n'arrêtais pas de monter des coups contre Ramla. Et
tout y passait ! Je faisais verser des grains de sable sur ses grillades et
dans sa farine destinée au couscous. Je rajoutais du sel dans sa sauce.
Je glissais discrètement encore du sable mais sous les draps dans le lit
conjugal au sortir de mon waalande. Je dissimulais savon et papier
hygiénique, salissais les serviettes, et Alhadji se plaignait,
tempêtait et s'énervait contre Ramla sans qu'elle puisse se
justifier. (MLP : 181-182)
La révélation du comportement mesquin de cette
épouse, est la face hideuse de la polygamie qui est étalée
ici. Certainement la polygamie est l'une des pratiques dont la femme africaine
souffre beaucoup. Le corpus attirer l'attention sur le fait que les souffrances
de la femme africaine présentent de multiples visages, ce qui veut dire
que la femme ne souffre pas uniquement à cause de la polygamie. Les
exemples pris dans le cadre de cette analyse montrent qu'il existe d'autres
souffrances qui sont parfois même pires que celles de la polygamie.
À vrai dire la vie n'est pas toujours douce, souple ou agréable,
les problèmes, les obstacles sont partout et dans la vie de tout le
monde. Personne ne peut s'en échapper, même les hommes, ils ont
leur partie de la misère, des souffrances. Il faut donc que les femmes
soient fortes, solides et lucides pour les affronter.
Parvenu au terme de ce chapitre qui traite des
conséquences de la victimisation, il ressort que cette pratique entraine
d'importantes marques sur les victimes ainsi que sur la famille entière.
Ainsi, l'on note la dislocation de la famille telle que celle d'AlhadjiOumarou,
les troubles psychologiques et pour finir, la mort de la victime. Par ailleurs,
la tradition et la culture impactent aussi dans le foyer.
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