3.2. L'influence de la culture dans le foyer
Dans le contexte traditionnel africain, certains principes
tels que l'obéissance et la soumission relèvent d'une perception
particulière, car elles sont considérées comme une des
qualités les plus appréciées chez la femme. Ainsi selon
les traditions, l'épouse idéale se distingue par sa
docilité, son obéissance et sa soumission. Une attitude qui se
conforme aux normes culturelles observées par tout le monde. Dès
le bas âge, toutes les formations que la jeune fille reçoit visent
à enraciner chez elle ces principes culturels. Dans cette formation
participent non seulement la mère ou les parents proches mais
également les parents éloignés : les tantes, les oncles,
etc. Dans cette structure traditionnelle de la société, dans
laquelle la femme éternellement mineure et soumise, l'homme est toujours
dominant. Ainsi, à l'opposition de la soumission féminine se pose
la domination masculine. L'homme est maître et seigneur. La vie lui donne
tous les droits. Il fait ce qu'il veut : lui, il ordonne et elle, elle
exécute ses ordres sans la moindre résistance, même les
plus capricieux. Comme le constate LilyanKesteloot : « Il était le
maître et le seigneur. Il se déshabillait où il voulait,
s'installait où il voulait, mangeait où il voulait, salissait ce
qu'il voulait. Les dégâts étaient aussitôt
réparés sans murmure. Dans ce foyer, on prévenait ses
moindres désirs » (LilyanKesteloot, 2001 : 129).
3.2.1. Le poids de la culture
peule
Les romans de Djaïli Amadou Amal, esquissent le portrait
des femmes dont la soif de liberté se heurte à la
réprobation de la société et de leur entourage (tabous
persistants à l'encontre de l'émancipation féminine,
parents lésés réclamant et exerçant
l'autorité qui leur appartenait traditionnellement de droit), mais ils
expriment également le face-à-face de ces femmes avec
elles-mêmes et avec leurs désirs.
En effet, « l'islam, comme on le sait, a trouvé
naissance dans une société patriarcale. L'autorité du
père, qui avait sa source dans la coutume et qui était plus au
moins adoucie par les liens familiaux, fait transmise, dès
l'avènement de la nouvelle religion, à une puissance inflexible :
la divinité ».Bien souvent tiraillées entre leur libre choix
et le respect dû à la famille et des principes religieux,
confrontées à une liberté nouvelle et pourtant empreintes,
par la force de la pression sociale, elles n'entrevoient aucune solution viable
qui leur garantirait, sinon le bonheur, un semblant d'apaisement et de
tranquillité d'esprit. Illustrant parfaitement ce dilemme,
Djailidépeint dans son roman Walaandé. L'art de partager un
mari, le désespoir de la jeune Yasmine, soumise à une
pression familiale trop forte et à un cas de bouleversement d'une
identité : « Une fille masquée » par la
volonté du père. Il en est de même de Hindou, dans
Munyal.Les larmes de la patience. Garant de la morale traditionnelle
et religieuse, les deux parents confinent leurs filles, préférant
les voir sombrer dans le désespoir que rompre le bouleversement de leurs
vies en laissant la latitude pour chacune de faire le choix de leurs conjoints.
Pour eux, accepter la volonté de sa fille est une chose impensable, tant
il est vrai qu'un peul, croyant, honorable, préférait voir mourir
sa fille, quitte parfois à la tuer lui-même, que d'être
plongé dans le déshonneur, le scandale.
À travers le parcours des personnages de Yasmine et
Hindou, les romans présentent des
« héroïnes » en train de s'élever comme
femmes, incapables de changer le monde dans lequel elles vivent et vivre
pleinement leur féminité avec les hommes qu'elles aiment. La
situation de Yasmine et Hindouillustre le drame des femmes peules de la ville
de Maroua, dans un univers caractérisé par des
anciennesmentalités où la femme est tiraillée entre la
modernité et les lourdes fondations de la tradition et de la
religion : l'homme reste le seul maître.
Les deux romans de Djaïli Amadou Amal, à travers
les personnages féminins clament la foi de l'auteure en la
libération future des moeurs et des esprits faits d'isolement. Textes
à la fois récit amer d'une souffrance mais plaidoyer plein
d'espoir. Suivre le chemin de l'émancipation, rester et se contenter de
son sort, ou mourir pour mettre fin à une existence sur laquelle elle
n'a plus de contrôle sans avoir à faire un choix déchirant
: telles sont les options qui s'offrent à Yasmine et Hindou, et partant
à toutes les femmes du roman.
Tout d'abord celle de la morale et des traditions, qui
pèsent sur une société à l'évolution
palpable mais lente et imparfaite. Une femme victime de la tradition qui, dans
l'ombre, n'a d'autre choix que de souffrir de la situation. La colère de
la jeune femme à l'encontre des vieilles mentalités, qui ne lui
permettent pas de vivre comme femme, d'un côté, la jeune femme
pleine de piété filiale sacrifiant sa félicité
à son devoir familial et social pendant son enfance, de l'autre, la
femme individualiste libre poursuivant son propre bonheur comme femme.
Conscientes de se trouver dans une période de l'histoire qui fait
jonction entre deux mondes : l'ancien au cadre rigide et le moderne
ouvrant de nouvelles perspectives d'épanouissement personnel, elles
accusent une société encore trop rétrograde d'être
la cause de leur malheur : « Ils invoquent la religion pour écraser
et dominer » (MLP : 133). « En
vérité, tout ce que les hommes nous racontent sur la religion est
faux » (WAPM : 63). C'est alors que chacune des deux
optera pour une solution qui convient le mieux à sa situation :
Yasmine refusera de se nourrir et se faire soigner; Hindou quant à elle,
s'en fuira du cadre conjugal.
Les différentes familles, elles-mêmes
apparaîtront divisées après les options choisies. Ces deux
personnages et leurs choix, constituent le symbole de l'univers dans lequel
elles évoluent, tiraillé entre une nouvelle réalité
sociale et des valeurs morales et culturelles millénaires. Leurs
proches, les soeurs et frères, aux aspirations sans doute semblables aux
leurs, comprennent les désirs d'émancipation de nos
« héroïnes ». Pourtant, l'hypothétique
fuite que la jeune Hindou a faite ne constitue en rien une solution pour
s'échapper du giron de sa famille et vivre sa féminité au
grand jour. En effet, déchirée entre la volonté familiale
et ses désirs, elle ne sortira de cette lutte ni indemne, ni
réconciliée avec elle-même :
Je ne déroge pas à la règle : je deviens
égoïste. Je ne vais pas bien, les autres non plus, mais je ne me
préoccupe que de moi. Mes insomnies se multiplient, et le manque de
sommeil me donne des migraines. J'ai beau prendre des médicaments
prescrits par les médecins, des filtres recommandés par des
guérisseurs, rien n'y fait. La lassitude me ronge et j'éprouve
une angoisse que rien ne peut atténuer [...] Je m'enfonce peu à
peu dans la déprime et fais parfois des crises de spasmophilie, pendant
lesquelles, la gorge serrée, je n'arrête pas de suffoquer.
L'estomac noué, la mort me semble de plus la seule échappatoire.
(MLP : 106-107)
Cependant, le mérite de cette fuite est d'avoir fait de
son drame personnel un exemple, afin que chacun sache qu'il ne devrait plus
être permis de confronter quiconque à ce genre de masque.
Il est notable que les oeuvres de Djaïli, mettent en
scène des femmes soumises à des injonctions de genre dont elles
ne peuvent se départir, ainsi qu'avec une société dans
laquelle les traditions pèsent encore très lourd. De la
même façon, les mêmes oeuvres dépeignent des temps
révolus. Elles livrent une version de la longue histoire des femmes du
sahel et les anciennes mentalités et pratiques non désirantes,
soulignent explicitement l'asservissement des femmes par une
société traditionnelle patriarcale.Dans les mêmes romans,
la romancière revient sur les préjugés culturels bien
ancrés qui soumettent les femmes à la tradition. Le récit
illustre l'éternelle solitude de la femme face aux questions qui
relèvent traditionnellement de leur sexe - féminité,
identité, traumatisme et mariage forcé.
L'écriture de Djaïli Amadou Amal, pourrait
être qualifiée de « nouvelle
littérature », car elle offre de fait de nombreux personnages
de femmes résolus, malgré les obstacles et les sacrifices que
cela suppose, à affirmer leur individualité et gagner en
autonomie. Les femmes, dans un contexte social brutal exacerbé par la
tradition et les idées culturelles, apparaissent avant tout comme des
proies, victime de la violence des hommes et des femmes et excitant leur
concupiscence. Le caractère éphémère de leur
existence, qui brûle aussi vite qu'un bâtonnet d'encens et dont il
ne reste rien une fois qu'elle est consumée, apparaît d'autant
plus tragique quand cette dernière est malheureuse. Le champ lexical
utilisé par l'auteur est surprenant de brutalité, s'apparentant
davantage à l'acharnement sauvage auquel un être peut se livrer
sur un autre être dominé, plutôt qu'à une passion
charnelle intense partagée.
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