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La victimisation du personnage féminin dans Walaandé, l'art de partager un mari et Munyal, les larmes de la patience de Djaili Amadou Amal


par Germaine DANGA MOUDA
Université de Maroua - Master2 2021
  

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3.1.3. De l'atmosphère funeste à la mort

Les romans de Djaïli Amal nous présentent une cartographie à la fois réelle et fictive de la femme dans la culture peule, Femme malade et moribonde. Sa façon d'envisager le statut de la femme peule repose sur le même constat de départ: la femme souffre. Triste, obscure, solitaire, angoissée, elle est réceptacle d'un foyer moribond. Il s'agit de révéler le vrai visage du système patriarcal. Il s'apparente à un système culturel qui donne à regarder les visages de la mort.

Il faut entendre par funeste, tout ce qui relève du tragique telle que la mort, thème évoqué dans le roman de Djaïli. La mort renvoie aussi bien à l'élimination physique qu'à l'anéantissement moral et/ou intellectuel. C'est « la mort de la vie » (Tansi, 1986 : 34), celle qui prive l'homme de liberté, de sa dimension humaine et spirituelle. La mort correspond également à un déficit d'inventivité, car selon Sony LabouTansi « notre siècle manque d'idéal, notre siècle est un danger pour demain » (Tansi, 1986 : 34). Quel que soit le type de mort, il constitue l'un des éléments de soubassement de l'écriture du funeste. La mort fonctionne de ce point de vue, comme l'une des sources d'inspiration de la romancière.

Faisant partie désormais de l'univers des personnages, le funeste conditionne leurs pensées et habite constamment son imaginaire. L'univers romanesque devient ainsi, la projection sur scène du quotidien fait de violences et d'atrocités. C'est pourquoi dans les oeuvres le récit, à certains endroits traduit pour la plupart, l'idée de désolation qu'a engendrée la mort de Yasmine dans Walaandé. L'art de partager un mari. Le funeste comme ressort romanesque se conçoit du point de vue du fond et de la forme, dans la mesure où le texte aborde le sujet de la mort. Le funeste est, en effet, annoncé à la page 119. À cette étape de l'oeuvre apparaissent des indices évoquant l'avènement d'une situation dramatique. Ainsi : « les larmes les plus amères, que l'on verse sur une tombe, viennent des mots qu'on n'a pas dits, et des choses qu'on n'a pas faites » (WAPM : 119). L'emploi du terme tombe fait régner une atmosphère lugubre sur la suite du roman. Teinté de regrets, le lecteur commence à avoir des sensations de tristesse au contact du texte.

La description de l'état de santé du personnage plonge davantage celui-ci dans sa conviction sur la situation funeste. La déliquescence de Yasmine ne fait que renforcer l'idée de la mort imminente rependue à travers le texte : « à cause de l'état de Yasmine, les mariages furent reportés. [...] les médecins se relayaient à son chevet, sans pouvoir la soulager. Fayza, assise sur le lit de sa soeur, tenait sa main et essuyait de temps en temps une larme discrète pour ne pas inquiéter la malade. » (WAPM : 120). L'on se rend compte à travers cet extrait que la mimique des personnages exprime corporellement le funeste. Elle annonce l'imminence de la mort, et met en exergue l'idée de la mort qui va rythmer le quotidien des personnages. Toutefois, l'ensemble des personnages concernés par cette situation se déploient pour éviter cette mort certaine. Du soutien psychologique à celui physique en passant par le transfert de la malade pour une structure hospitalière adaptée, tout concourt à transcender le funeste. Force est de constater à la suite du récit que ces efforts multiples restent vains. Car, « Yasmine n'a pas pu voyager. À la tombée de la nuit, alors que le muezzin procédait à l'appel de la prière, la jeune fille poussa un dernier soupir et ferma les yeux. » (WAPM : 121). Cet extrait marque l'instant fatidique. Il constitue un point névralgique pour le récit et pour la famille y représentée.

Avant de perdre sa vie, Yasmine perd d'abord délibérément sa virginité. Elle s'est préparée à mourir. Dans la tradition peule, c'est un sacrilège pour une fille que de perdre sa virginité avant le mariage ; même si celui qui la dépucelle a des intentions de noces. C'est une honte pour la famille, un grand déshonneur, une mauvaise étiquette colée à la réputation familiale. Avant de trépasser, elle se confie à a soeur Fayza : « je sens que je m'en vais, je meurs...je le sais et je me suis préparée...J'ai fait l'amour avec Aboubakar...Faire l'amour est toujours l'expression d'un désespoir. Mais je l'ai fait par amour, parceque je sens que je n'en ai plus pour longtemps... » (WAPM : 105). Cette mort de Yasmine fait d'elle une victime expiatoire, y prend la dimension d'un matyr, appelé à mourir innocemment pour sauver toute une postérité. Cette mort est aussi singulière. En rendant l'âme en martyr, elle a exprimé « l'inexprimable ». Autrement dit, elle a brisé les tabous de la société peule en particulier et de la société africaine traditionnelle en général.

En effet, à partir de cet instant, la suite du roman, des actions qui se succèdent sont liées d'une manière ou d'une autre, à cette mort. Après l'enterrement, les actes posés par les personnages proches ou indirectement liés à la défunte sont conditionnés. À commencer par Aboubakar, le fiancé. Malgré qu'il ne soit pas pris en compte lors des obsèques, il est le personnage qui vit le drame le plus. Intérieurement, il est consumé par cet événement tragique. Dans un monologue, il exprime son désarroi : « Comment ferais-je sans toi Yasmine ? Comment survivre sans toi ? Pourquoi devrais-je vivre sans toi ? » (WAPM : 123) La situation est devenue intenable au point où il décide de se terrer dans sa chambre. À longueur de journées, il se remémore les bons moments passés.

Pour le reste de la famille, la mort de Yasmine est restée une tache indélébile dans la vie de chaque membre. Que ce soit sa soeur Sakina, HadjaAïssatou sa mère, Alhadji son père, chacun subit à sa manière les affres de la mort de la jeune fille. Le géniteur, finit par être mis devant ses responsabilités dans la mort de sa fille. Son machisme, son intransigeance et son comportement suranné ont fini par le rattraper. Il est directement accusé par ses épouses sans exception d'avoir tué sa fille. Réunies un soir dans la cours, les épouses échangent sur les événements qui se sont déroulés depuis un certain temps dans la concession. Sakina, la plus instruite commença : «  -Nous devrions en parler. Ce sont nos enfants ! Il faudrait les chercher.-Jamais il ne leur pardonnera, dit tristement Aïssatou.-Ils ont pourtant eu raison de le faire ! Ils n'ont pas arrêté de dire qu'ils ne voulaient pas se marier. À cause de ça, Yasmine est morte, remarqua Djaïli. » (WAPM : 140). Il est clair que toutes les épouses sont convaincues de la responsabilité du chef de famille dans la mort de leur fille. Toutefois, l'évoquer frontalement en présence de celui-ci reste et demeure périlleux. Bien plus, il ne serait pas bien séant d'en discuter car, malgré que plusieurs semaines se soient écoulées après le deuil, toute la famille la porte encore, comme le démontre la réplique d'Aïssatou ci-dessus.

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"Je voudrais vivre pour étudier, non pas étudier pour vivre"   Francis Bacon