Chapitre 3.Walaandé. L'art de partager un mari et
Munyal. Les larmes de la patience : une écriture de la
dérive
Les chapitres précédents ont permis de
révéler que la femme dans l'univers culturel peul est assujettie
par la société patriarcale qui limite sa liberté sur le
plan social et culturel. Djaïli Amadou Amal avec une excellente
connaissance de son milieu culturel traditionnel révèles les
procédés et les moyens employés à des fins
d'intimidation. Dans ses oeuvres à étudier, elle
révèle le pouvoir de la société patriarcale dans un
monde traditionnel africain. Elle montre qu'il y a une confrontation entre le
monde masculin et féminin et c'est la raison pour laquelle la
société patriarcale est présentée dans sa vie
quotidienne mais aussi vue dans ses relations avec l'extérieur. Cet
état de chose n'est pas sans conséquences sur la vie des femmes.
Le présent chapitre s'attèle à monter les
conséquences sur la vie des personnages féminins.
3.1. L'impact de la victimisation
Plusieurs paradigmes ont permis d'identifier le processus de
victimisation des personnages féminins dans les romans de Djaïli
Amadou Amal. Ces parangons permettent à l'homme, le mâle dominant,
de maintenir la femme sous son attelage. La religion, les traditions et
certaines pratiques y afférentes sont les outils usités pour
maintenir en captivité la gent féminine. Ce processus, à
la longue développent des conséquences qui impactent à la
fois l'auteur et l'objet de la victimisation.
3.1.1 La
dégénération de la famille
Il est vrai que la prise de décision de remariage est
une affaire personnelle, mais dans la société traditionnelle
africaine ce n'est pas le cas. Les parents, les proches, les amis peuvent
intervenir d'une manière ou d'une autre. Il faut plaire à tout le
monde et le deuxième mariage est parfois fait pour ce motif. Un fils
peut prendre une deuxième femme pour contenter sa mère ou ses
parents. Autrement dit la belle-famille exerce une influence sur la vie du
couple. C'est le cas dans Walaandé. L'art de partager un mari,
où la troisième épouse d'AlhadjiOumarou est la fille
de l'imam du quartier. Il a pesé de tout son poids et de son influence
auprès de sa communauté pour imposer sa fille à cet homme
nanti. Ce qui n'a pas du tout été du goût des deux
premières épouses qui jugent ce mariage opportuniste. Bien plus,
elles estiment ce mariage inadmissible du moment où, la jeune
mariée a le même âge que leur première fille et sont
d'ailleurs amies (WAPM : 47). Ce qui a par conséquent
contribué à dégrader les relations entre les deux jeunes
collégiennes, qui doivent désormais assurer une relation de
belle-mère.
La relation entre les épouses et les membres de la
belle famille est toujours redoutable. De plus, gagner l'affection, le respect
de la belle famille est une source de fierté entre les coépouses.
Elles abondent de cadeaux pour se montrer aimable. Parallèlement, les
époux se trouvent parfois obligés de soutenir des parents ou des
proches de leurs femmes surtout ceux qui sont pauvres. Dans les deux oeuvres du
corpus, les deux chefs de famille font cadeaux régulièrement
à leurs beaux-parents. Ce qui non seulement permet de rallier ces
derniers à la cause de leurs gendres, mais aussi de tout mettre en
oeuvre pour que leurs filles restent dans leurs foyers conjugaux, malgré
les souffrances qu'elles y endurent, afin de continuer à
bénéficier des largesses de leurs beaux-fils.
Il est certes vrai que la religion et les lois traditionnelles
définissent des règles de la polygamie. Elles indiquent qu'un
polygame doit être juste avec ses femmes et qu'il doit les traiter
équitablement. Toutefois, il lui arrive de léser ou d'abandonner
définitivement son ancien ménage, son épouse et ses
enfants au profit de sa nouvelle vie et la nouvelle épouse. Et la
situation dégénère. À titre d'exemple, suite
à la « trahison » de la part de son mari qui convole
en justes noces après dix années de vie commune, sans partage,
Aïssatou, ladada saaré, perd beaucoup de choses. Les
sentiments les plus intimes d'union et d'affection deviennent pour elle des
souvenirs plus qu'une réalité. AlhadjiOumarou songe un instant
à la belle époque : « il se remémora son
mariage avec Aïssatou. Elle était jolie. Si gracieuse dans ses
pagnes, tenant en équilibre sa calebasse sur sa tête. Elle riait
sans arrêt. Ils avaient vécu des années de bonheur avant
qu'il ne devienne riche. » (WAPM : 68). Ce bonheur
n'est plus qu'un souvenir lointain. Car, « quand il lui avait
annoncé son remariage, elle était restée calme. Son visage
n'avait pas trahi ce qu'elle en avait pensé. [...] Il en avait
été impressionné et même honteux »
(WAPM : 69). C'est à partir de cette déclaration de
remariage qu'Aïssatou a perdu l'estime qu'elle avait pour son
époux. Elle s'est complètement métamorphosée. Les
égards dont Alhadji bénéficiait de la parte de cette
dernière n'étaient plus au rendez-vous. Elle se contentait
désormais de n'accomplir que ses devoirs conjugaux.
Il faut noter que cette situation où l'épouse
perd toute affection, toute complicité avec l'époux après
remariage est vécue par toutes les femmes du corpus. Alhadji note dans
ce sens que même Djaïli, malgré sa jalousie qui frise
l'obsession, a fini par se lasser de lui. Pour ce dernier, « le jour
où j'ai épousé Nafissa, Djaïli aussi n'a plus
été là. Elle, si plantureuse, si passionnée, me
permis de découvrir de la lassitude sous ses colères. »
(WAPM : 70).Il ne reste pour ces personnages qu'à
évoquer les beaux souvenirs des jours de joie, de communication et de
plaisir partagés avec son conjoint, les moments où ils vivaient,
comblés de promesses et de bonheur. Ils comparent le temps passé
avec le présent et ressentent de cruelles morsures de l'amertume. Ainsi
les épouses sont livrées à l'insupportable solitude
lorsque leurs maris prennent des secondes femmes et les abandonnent.
Inversement, les époux ne reçoivent plus l'attention qui leur
était dû. Le bouleversement du ménage, qui devient
polygame, ne se limite pas à la vie sentimentale du couple. C'est un
bouleversement global qui l'atteint de tous les côtés. Dans le cas
de l'épouse abandonnée elle est obligée de jouer le
rôle de mère et de père pour ses enfants. Elle a donc,
plus des responsabilités et des tâches à accomplir.
Grâce au travail, à la patience, à la volonté et au
courage une femme comme Aïssatou peut réussir à surmonter
toutes les difficultés. La situation d'un polygame qui garde toutes les
épouses dans le même foyer n'est également pas admirable.
Puisque ce n'est pas seulement la question d'ajouter à chaque fois une
nouvelle femme, d'avoir de nouveaux enfants. Mais la question qui se pose,
c'est celle du devenir du ménage. Le stress, les frustrations
sentimentales, morales et psychologiques qu'on crée volontairement ou
involontairement chez les siens.
Cette situation arrive à la dislocation de la famille.
En effet, excédées par le comportement d'AlhadjiOumarou, qui est
resté un incorrigible mâle dominant, ne prenant pas en compte les
préoccupations de ses épouses, elles ont pris la décision
de lui reprocher son comportement machiste. En réaction à cela,
Alhadji répudie trois de ses épouses. Et la quatrième s'en
ira d'elle-même : « toutes les quatre firent leurs
bagages. » (WAPM : 142), rapporte le narrateur. Il faut
dire que ces femmes sont excédées par la situation qu'elles
vivent dans le foyer polygamique. Malgré le confort matériel
qu'elles ont, cela n'a pas empêché qu'elles vivent une situation
stressante. L'une des épouses, à la question de savoir pourquoi
elle a demandé le divorce, elle répond : « juste
parce que je le voulais vraiment. Ainsi, il n'y aura plus possibilité de
réconciliation entre lui et moi. Même mon père n'y pourras
rien. » (WAPM : 143). Elle est remarquable, cette fin
malheureuse pour le foyer d'AlhadjiOumarou. Du jour au lendemain, d'homme
marié à quatre femmes, qui passe à célibataire. Le
narrateur rapporte que « la nouvelle fit le tour de la ville.
Alhadjioumarou a répudié toutes ses épouses. Chacune a
regagné sa famille. Dans la famille, il ne reste plus que les enfants et
les domestiques » (WAPM : 144). Cette situation n'est
pas sans conséquences pour Alhadji. Il regrette profondément son
acte, bien qu'il ne l'admet pas ouvertement : « Alhadji, devant
ses amis, faisait bonne figure, même si au fond de son coeur, il
était triste à mourir. Il savait qu'elles avaient raison, mais ne
pouvait décemment revenir en arrière et le
reconnaître. » (WAPM : 144). La situation de
victime de la femme a des conséquences sur la famille. Il ressort
qu'elles touchent à la fois la vie au sein du foyer et les relations
avec les belles familles. Il va sans dire que ce problème impacte
psychologiquement les personnages impliqués.
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