2.2. La dépersonnalisation de la femme
La dépersonnalisationest un état dans lequel on
se sent étrange. Les gens qui souffrent voient leur vie de
l'extérieur, comme un film. Son propre corps, ses sentiments, mais aussi
d'autres personnes et objets semblent étranges. Les rapports sociaux
entre les deux sexes restent une question majeure, et surtout brûlante,
parce que les hommes, dans leur objectif de mieux dominer, veulent que les
femmes se plient aux exigences des moeurs, des croyances, des us et coutumes
africains. Ils veulent maintenir les femmes dans la soumission totale. Dans
cette foulée, il est question de l'objectivisation de la femme dans
Walandé. L'art de partager un mari et Munyal. Les larmes de
la patience. Elle est à la fois objet, sujet, esclave et victime.
Cette représentation de la femme suggère les souffrances et les
conditions dans lesquelles beaucoup de femmes africaines vivent quotidiennement
dans leur ménage et leur société. Elles sont souvent
victimes de préjugés sociaux ce qui fait qu'elles n'excellent pas
à l'école parce qu'elles cumulent les travaux ménagers et
parce que les hommes ne valorisent pas l'éducation pour elles. Ce fut le
cas de Nafissa à l'image des milliers d'Africaines. On remarque le
caractère ambivalent des charges du personnage féminin dans
Walandé. L'art de partager un mari. De prime abord, elle est
considérée comme un objet au sein de son ménage car c'est
elle qui fait toutes les tâches domestiques sans l'aide de son mari et
personne ne s'inquiète de son individualité. Dans ce roman, on
remarque l'objectivisation de la femme et cela se voit nettement à
travers la relation d'AlhadjiOumarou et ses épouses. Les conditions dans
lesquelles elles vivent suggèrent les mauvais traitements
infligés à la femme. Ensuite, on constate que la
société ne protège pas la femme parce qu'elle est
considérée comme un objet et c'est la raison pour laquelle elle
est ostracisée par l'homme. En outre, la société
interdisait tout ce qui peut promouvoir la liberté de la femme.
Certaines attitudes d'AlhadjiOumarou suggèrent que toutes ses femmes
sont à la disposition de ce dernier.
Le second roman de DjaïliMunyal. Les larmes
de la patienceabonde dans le même sens car, selon elle, la femme est
considérée comme un accessoire qui orne, un objet qu'on
déplace. Au-delà de ce message, l'auteure critique le
comportement injuste des hommes qui veulent toujours que les femmes soient
dépendantes et soumises. Par ailleurs, on voit que la femme dans la
société traditionnelle symbolise un objet qui est au service de
l'homme mais aussi qui doit se soumettre à la volonté de son
époux. Diverses raisons expliquent ce stéréotype, entres
autres la mentalité, le niveau culturel et social n'étaient pas
favorables aux femmes. Cette dernière est perçue comme objet de
désir sexuel. Une femme objet peut être considérée
comme une femme qui ne fait rien, attend tout de son mari. C'est le cas de
toutes les femmes du corpus. Elle est soumise à ce dernier, elle n'a
même pas le droit de choisir. Il lui impose. La relation n'est pas
basée sur la complicité et l'échange car l'homme se croit
supérieur à la femme et par-delà le manque de
communication suggère l'objectivisation de la femme, un facteur
particulier dans les romans à cause des coutumes et religions qui
cherchent à entraver l'expression féminine.
Le rôle de la femme se résume au foyer et de
s'occuper de l'ensemble des tâches ménagères. Donc c'est la
femme qui prend en charge les travaux domestiques de la maison. Son rôle
est exclusivement limité. Par contre, officiellement c'est l'homme,
représenté dans le roman par AlhadjiOumarou, l'oncle Hayatou et
bien d'autres) qui rapportent de l'argent pour couvrir les besoins de sa
famille alors que la femme s'occupe du ménage, de la cuisine, mais aussi
des enfants. La femme doit toujours respecter les décisions de son mari.
Pour conclure, l'objectivisation de la femme est un moyen pour la
société patriarcale, les coutumes et la tradition de maintenir la
femme sous le joug de la dépendance.
Les personnages féminins sont à l'image d'une
société en crise où l'individualisme et la solitude
qu'elle génère déséquilibre l'homme. C'est pourquoi
les êtres de papiers en souffrance dans les pièces apparaissent
introvertis. Plus réflexifs qu'actifs, en effet, ceux-ci sont quasiment
figés dans une sorte de remémoration aiguë perdant ainsi
leur caractère de sujets agissants. Finalement, la
dépersonnalisation de la femme réside ici plus dans l'accablement
du personnage par les souffrances qu'elle vit au quotidien, que dans un
affrontement inter personnages. Aïssatou dansWalaandé. L'art de
partager un mari est immobiliséepar les situations, les multiples
trahisons de son époux. « Hadja Aïssatou Aussi ne dormais
pas. Comment pourrait-elle dormir alors que Djaïli faisait les cent pas.
Mais pourquoi n'arrivait-elle pas à dormir ? Il fallait vraiment
être bête pour croire en l'amour d'un homme polygame. »
(WAPM : 52). La situation est identique. Flottant dans mes
pagnes, je ne cesse de déambuler en proie à
l'anxiété. Insomniaque, je passe désormais mes nuits,
allongée dans le noir, à remuer toutes sortes de pensées
morbides, et c'est seulement au petit matin que je trouve un peu de
répit, au moment de la prière de l'aube. Je vis non plus comme au
début en suivant le rythme immuable de la grande concession, mais
plutôt en fonction des humeurs changeantes de Moubarak, de celles non
moins versatiles de ma belle-mère et de l'ensemble de la gent
féminine de la concession. (MLP : 105)
Les deux extraits ci-dessus traduisent la force avec laquelle
les faits s'imposent à ces femmes. Elles sont désormais
astreintes à ne mener aucune action. Elles sont assujetties par la
souffrance, qui les maintient dans la même situation. C'est dans
l'inactivité du personnage que se joue la violence. Nous avons à
faire à des textes faits à partir des lamentations des femmes
noyées dans leurs angoisses et de leur malaise.
En fait, les personnages femmes, à force de subir les
assauts répétés des hommes, on l'air absente du texte. On
est en présence des êtres sans voix dans la mesure où c'est
une confusion narrative au sein de laquelle l'émetteur du discours est
effacé, noyé dans le flux de parole. Les récits sont
dénués de toute action physique. Il y a inexistence de sujets
agissants. Ce sont plutôt des voix en procès qui racontent la vie
carcérale des détenues. Les personnages de Hindou et les
épouses de l'oncle Hayatou sont des figures illusoires qui ne vivent
qu'à travers une construction romanesque.
Le caractère du personnage classique disparaît,
provoquant ainsi un vide identitaire qui, aux dires de Jean-Pierre Ryngaert,
pourrait s'expliquer par « la désertion des héros
traditionnels de la sphère dramatique pour ne laisser place qu'à
des intervenants simples, anodins, anonymes ». Cette mise en crise du
personnage dans le roman de Djaïli établit la suprématie du
langage sur l'action. C'est dans l'espace discursif que le personnage, en
effet, essaie de se reconstruire par des bribes d'informations pas toujours
explicites. La destruction du sujet parlant rime dans les textes avec un
balbutiement du système dialogique.
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