2.1.3. La souffrance
Dans le corpus, le récit est singulier puisqu'il
évoque une injustice face à laquelle la femme seule est
confrontée. Elle vit l'hypocrisie, le machisme et partant, le patriarcat
imposé par l'homme et la société. Toutes les actions et
situations représentées dans le corpus sont en défaveur de
la femme. Ce qu'elles vivent, les femmes, le mariage forcé, la
polygamie, la violence, le déclassement et le mépris, ne visent
qu'une seule chose : la faire souffrir. Dans Munyal. Les larmes de la
patience, la souffrance de la femme est atteint son degré de
paroxysme. Hindou, l'une des protagonistes en a vécu
l'expérience : « Je prends une douche, laissant l'eau
couler sur son corps meurtri comme pour me laver de mes souffrances. J'essaie
d'étouffer mes sanglots de peur d'attiser à nouveau sa
colère mais j'ai du mal à m'en empêcher »
(MLP : 109). Ici, le personnage fait les frais de l'arrogance
masculine. L'épouse est ici traitée comme un objet par son
époux. Elle n'a aucune considération, aucun égard. La
violence sous toutes ses formes s'abat sur elle. Et elle en souffre. Moubarak
l'époux, s'est imposé comme le mâle dominant, il a investi
l'espace conjugal, en occupant la place du bourreau, en la terrorisant tout en
la privant de toute dignité. Le comble du malheur de la jeune Hindou est
que la brutalité de son époux est de plus enplus fréquente
et cela sans prétexte aucun : « Il continue de
me brutaliser, de m'abreuver d'insultes aussi dégradantes
qu'humiliantes. On ne compte plus les hématomes, égratignures et
ecchymoses que ses coups laissent sur mon corps - et ce dans la plus grande
indifférence des membres de la famille. On sait que Moubarak me frappe,
et c'est dans l'ordre des choses. Il est naturel qu'un homme corrige, insulte
ou répudie ses épouses. » (MLP :104).La
souffrance qu'endure la jeune femme rentre désormais dans l'ordre normal
des choses. Toute la famille est complice de ce traitement. Elle est seule face
à son destin.
Le corpus est un roman de pleurs, de souffrance, une
expression de la douleur de la femme. C'est la femme-souffrance par excellence.
Un récit qui décrit la souffrance des mères et des
épouses. Une souffrance qui est venue accroitre la douleur de ces femmes
après qu'elles sont devenues objets entre les mains des hommes. Ce
récit explique l'étendu de la souffrance chez toutes ces femmes.
Une étape cruciale dans leur vie qui a été un point de
départ dans un long chemin de lutte pour la plupart d'entre elles. Dans
Walaandé. L'art de partager un mari, Nafissa, l'une des
épouses de Alhadji, ne connais que souffrance dans ce foyer. En fait,
jeune et frêle, elle est astreinte à des travaux domestiques,
à des charges très lourdes. La concession qui ne désemplit
pas de monde, elle est obligée de faire la cuisine pour satisfaire toute
la population. Or, sa jeunesse ne lui permet pas de réaliser cette
tâche. Pendant que toutes ses coépouses attendent leur tour
avec impatience, elle redoute quant à elle ce jour. Elle est
terrorisée par le fait de ne pas pouvoir assumer se tâches
domestiques. Elle est terrorisée par son époux :
« Tout dans ce duplex la met mal à l'aise. Elle s'y sent
gauche et pas à sa place. Elle a peur d'ouvrir la bouche et de la
froisser par une phrase pourtant simple. Elle a peur de lui, de tout, elle ne
sait plus de quoi elle a peur, mais elle a peur quand même. »
(WAPM : 46). Tous les traitements qu'elle subit au quotidien de
la part de son époux l'on rendu frileuse. Elle est traumatisée
par cette violence à la fois physique et psychologique qui est devenue
son quotidien. Le plus souvent, quand le personnage féminin veut faire
entendre sa voix, c'est pour exprimer et manifester sa souffrance dont
l'époux est le responsable. C'est ce qui justifie les propos
d'Aîssatou : « qu'il est court le temps de bonheur de
la femme. La femme est née à genoux aux pieds de l'homme ;
me disait une amie. Nous passons notre temps à souffrir ! Souffrir
pour faire plaisir à nos pères, puis à nos maris, puis
à nos enfants.Nous passons notre vie pour les autrescar en
réalité, nous n'avons pas de vie »
(WAPM :121).Cet extrait de texte nous montre à suffisance
que la femme est un être né uniquement pour faire plaisir aux
autre et partager leur souffrance.
Donc, les romans de Djaïli laissent transparaître
les événements de la vie familiale et personnelle
caractérisés par la souffrance des femmes. Elle a su
dévoiler d'une façon surprenante les souffrances et les chagrins
des coeurs liés à la femme : la précocité
amoureuse, l'inégalité. Un vécu intime relaté tout
au long de son oeuvre.La lecture des textes montre que les personnages
féminins vivent tous dans les mêmes sentiments de détresse.
D'une façon ou d'une autre, elles subissent les mêmes situations,
chacune d'elle a un monde propre où elle se trouve
séquestrée, cependant, on peut dire aussi que ces femmes vivent
aussi ensemble dans une parfaite harmonie, elles ont pu s'adapter à
leurs vies pour pouvoir vivre leurs journées en
sérénité. Malgré leurs divergences vis-à-vis
de leur statut familial, ces femmes sont restées toujours solidaires
entre elles, et ont essayé de s'entraider. Elles ont toutes vécu
une complicité permanente. On peut dire que la cause derrière
cette réalité, c'est le fait que toutes ces femmes vivaient les
mêmes conditions de vie et cachaient au fond d'elles les mêmes
souffrances, la même amertume et la même soif de liberté.On
peut donc dire que cette spécificité d'écriture est de
caractère féminin.
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