2.1.2. La répudiation
Djaïli Amadou Amal est une des écrivaines
camerounaises qui jouent un rôle important dans l'émancipation de
la femme africaine. On peut déduire à travers ses oeuvres les
conseils indispensables pour susciter la prise de conscience. Dans la plus part
des cas, la représentation du divorce permet de constater qu'il est un
moyen de libération du joug de l'homme. Il reflète une image de
la femme affranchie. Toutefois, dans les textes de Djaïli, le divorce ou
la répudiation est toujours l'initiative de l'homme. La
répudiation est un moyen utilisé dans la société
patriarcale peule comme un moyen de pression, une source de chantage à
l'égard de la gent féminine. En dix-sept occurrences dans
Munyal. Les larmes de la patience, elle plane comme une
épée de Damoclès sur les personnages féminins.
Le critique féministe Rahman Azulfar explique que la
femme, selon la loi islamique, peut être contrainte à continuer un
lien qu'elle ne désire plus, et qu'il y a cinq catégories de
situations où le divorce peut être concédé (Rahman,
1982:305). Parmi ces possibilités il y'en a aussi une, nommée le
« triple divorce ». Ce dernier est l'apanage des romans de
Djaïli Amadou Amal. Il s'agit, encore selon le même auteur, d'une
coutume abusive pour la femme, étant donné que le mariage est
dissolu juste après que le mari prononce la formule « je te
répudierai plutôt trois fois qu'une »
(MLP : 38). Selon les notes de bas de page du roman
Munyal, cette forme de divorce est irrévocable; elle est encore
pratiquée, aujourd'hui, par les peuples islamopeuls. Une analyse de
l'univers culturel représenté dans le corpus laisse entrevoir que
la répudiation décidée par le mari, en présence ou
en absence de l'épouse, sans qu'il soit besoin, pour lui, de justifier
sa décision.
Comme le mariage, le divorce dans la tradition peule ou selon
la religion musulmane traditionnelle n'est pas civil. La rupture des liens du
mariage est verbale. Il suffit à l'homme de prononcer ces mots
« je te répudie » pour que le divorce prenne acte.
Conscient de l'importance du mariage dans la société,
AlhadjiOumarou dans Walaandéfait du mot
« répudier » son cheval de bataille contre ses
épouses. La menace de répudiation est l'arme qu'il utilise
à bon escient pour intimider ses femmes. Malheureusement, cela s'est
retourné contre lui. Il est un beau flatteur qui ne tient pas les
promesses qu'il fait à ses épouses. À Djaïli, il
avait promis ne plus épouser de femme après Nafissa. Et
lorsqu'après avoir appris qu'il était sur le point de prendre une
quatrième, elle lui demande des explications, AlhadjiOumarou se fait
pousser les épines sur le corps :
Qui te permet de me poser les questions ? Allah a permis
aux hommes d'avoir quetres femmes et autant d'esclaves qu'ils
désirent... Qui fait la ration dans cette maison ? C'est moi. C'est
moi qui commande ! Alors, ne t'amuse plus jamais à me parler sur ce
ton. Je vais épouser Sakina. Et je fais exactement ce qui me plait.
C'est ma maison et si tu désires encore y rester, c'est tant mieux Si
ça ne te plaît plus, je te répudie immédiatement.
C'est clair ? Tu ne poses plus jamais de questions et ne fais pas de
remarques. Ou alors, je te répudie. (WAPM : 41-42)
Toujours sur la défensive, AlhadjiOumarou centre son
égo : « c'est moi qui commande »,
« je vais... », « je fais ce qui me
plaît », « je te répudie ». Son
langage est négateur de l'existence de sa conjointe qui ne mérite
un peu de respect du simple fait d'être un être humain. Le divorce
traditionnel accorde les « droits de grâce »
lorsqu'il est prononcé une seule fois. Prononcé trois fois
successivement, il devient définitif et n'offre aucune
possibilité de réconciliation. Nafissa est trois fois
répudiée et ceci inhibe toute relation intime entre elle et son
mari qui, désormais ne la considère plus comme sa
mère ; dans le sens où l'interdiction pour le fils de voir
la nudité de sa maman est absolue. « Je te répudie, je
te répudie, je te répudie, je te répudie. Tu es comme ma
mère » ; dit AlhadjiOumarou à Nafissa.
(WAPM : 128). Un tel divorce selon l'Imam ne saurait être
revu. Personne, ni rien ne pourra le changer.Ce n'est que lorsqu'Aïssatou
est répudiée qu'elle réalise et comprend le sens de ce
précepte parental peul qui dit que « quiconque fait de son
mari un deuxième père finira par mourir reniée »
(WAPM : 129).
Toujours dans Walaande. L'art de partager un mari,
Alhadji, dos au mur, ne parvient pas à convaincre ses épouses.
Celles-ci lui reprochent son caractère violent, son manque de
discernement fasse aux différentes situations qui arrivent à sa
famille. Ses femmes l'accusent, et à raison, d'être indirectement
la cause principale du décès de leur fille (WAPM :
140-142). De cet échange, le mari se rend compte que non seulement ses
épouses essaient de s'affirmer de son autorité, mais aussi et
surtout, elles ne lui obéiront pas. Cette attitude des épouses
apparaîtrait comme une offense à son égard. Faute de
pouvoir les convaincre verbalement, il utilise l'acte la répudiation
pour les soumettre à sa volonté : « tu penses
qu'étant ma première épouse, je ne pourrais pas te
répudier ? Fais attention à toi Aïssatou !
Maîtrise ta langue rendue amère par la douleur ! »
(WAPM : 141)
La répudiation est donc une arme pour dominer ses
femmes qui n'arrêtaient de le harceler. Le but recherché dans
cette action par le mari est de prendre contrôle de la situation plus
tôt que de trouver une solution, un terrain d'entente. Cet acte met en
relief le rapport de force entre l'homme et la femme dans le couple. Cet
épisode montre que bien que bonnes peules, les épouses se sont
révoltées. Alhadji, culturellement a le droit d'être le
chef de famille. Toutefois, ce pouvoir n'est pas respecté. Les
épouses refusent cette fois de se laisser dominer par lui et
réclament leurs droits en s'engageant dans une lutte pour la
libération de la femme. Il est évident qu'elles n'ont plus
l'attitude d'une femme soumise. Elles n'acceptent pas qu'Alhadji leur impose sa
volonté. Elles choisissent plutôt d'être de se
défaire de leurs chaînes et décident de faire face au
bourreau et malgré les menaces de répudiation de ce dernier.
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