2.1.1. Le mariage forcé
Le mariage forcé est le fait de marier une personne
contre son gré. Il s'agit d'un mariage arrangé ou la famille
impose cela à un enfant. L'auteure de notre corpus déploie le
mariage forcé. Pour elle, c'est une violence faite à la jeune
fille du sahel. Dans la société du texte, la condition de la
jeune fille est déplorable en ce qui concerne le mariage car elle la
place à l'écart de la société. Elle n'a pas de mot
à dire concernant sa vie. Ce sont ses parents et la tradition qui
décident à sa place. Dès sa naissance, elle est
déjà destinée au mariage arrangé ou forcé
qu'elle saura attendre sans effort. Dans Walaandé, l'auteure se
plaint de la manière dont la société musulmane traite la
femme, et par conséquent elle voudrait améliorer cette situation.
C'est ce qui justifie ces termes : « pauvre petite femme,
livrée un soir dans la chambre d'un inconnu qui a payé sa dot et
qui a tous les droits sur elle. » (WAPM : 5). Le
mariage impose du respect pour la femme. Serait-elle une raison pour laquelle
beaucoup de femmes soufflent le chaud et le froid, cèdent aux caprices
de leurs conjoints afin de ne pas se coller une étiquette ? C'est
aussi pourquoi, maîtrisant les méfaits de la polygamie, certaines
femmes l'acceptent, signant ainsi la perpétuité et la
continuité de ce fait qui dépend des intérêts moraux
sociaux, de même que la volonté des femmes.
Dans certaines cultures africaines, il faut noter qu'avant
l'introduction de la culture et la loi occidentale, les femmes n'avaient pas de
droit de choisir leurs maris. Selon Simone de Beauvoir, il était
également le cas en Europe traditionnelle et patriarcale que ce
fût le père qui fit le choix du mari à sa fille et se mit
d'accord avec le soupirant sur la dot à lui remettre en tant que
beau-fils (Siwoku-Awi, 2019 : 152). En Afrique c'était toute une
autre tradition. C'était le mariage arrangé. Il revenait au
père de faire le choix pour sa fille et très souvent le gagnant
était le plus riche. Dans la pratique patriarcale le plus offrant
devenait le mari. La dot payée aux parents pour s'approprier la fille
était comme une somme pour l'acheter et par conséquent elle
perdait sa liberté et elle pouvait être traitée comme une
esclave.
L'un des principaux thèmes du corpus est la relation
entre les sexes au sein de la famille. Dans la société
représentée dans les deux romans, il y a une
inégalité entre l'homme et la femme au sein des familles. La
femme occupe une place subordonnée et l'homme domine. Simone de Beauvoir
qualifie une telle situation de handicapée. Elle écrit :
« La femme a toujours été, sinon l'esclave de l'homme, du
moins sa vassale; les deux sexes ne se sont jamais partagé le monde
à égalité; et aujourd'hui encore, bien que sa condition
soit en train d'évoluer, la femme est lourdement handicapée
» (De Beauvoir, 1949 : 22). Elle est assignée à des
tâches telles que prendre soin de la maison et s'occuper des enfants et
de l'homme. Les femmes quelques soient les efforts fournis, elles ne seront pas
vues comme des individus équivalents aux hommes.
En effet, l'homme est celui qui défend la femme. Toutes
les décisions la concernant sont prises par la gent masculine. C'est
dans ce sens que le choix de se marier ne lui appartient pas. Dans
Walaandé L'art de partager un mari, l'on repère
plusieurs cas de mariage forcé. Aïssatou, la première
épouse d'AlhadjiOumarou est l'une des victimes. Elle se remémore
ce jour où son destin a basculé : Elle avait douze ans,
Aïssatou, quand son père l'a donnée en mariage. Elle se
rappelle de ce jour comme si c'était hier. Elle était partie
puiser de l'eau au Mayo avec ses amies quand un groupe de jeunes hommes les
avaient accostées, leur demandant à boire. « Elles
s'étaient enfuient, rieuses. Quelques jours après, des hommes
sont venus demander sa main et son père l'avait accordée.
Pourquoi aurait-il demandé son avis ? À l'époque,
cela ne se faisait pas. C'était un bon parti. »
(WAPM : 58).
Ainsi, la femme est mariée sans son consentement. En
plus d'être mineure, sans voix et sans défense, elle est
envoyée en mariage chez un homme dont elle ignore. La tradition ne lui
reconnaît que le devoir de subir son sort de
« marchandise », vendue, échangée,
donnée en gage. Il y a donc à travers la culture peule
représentée un tableau si sombre que son dépassement
devient une exigence dans une société en voie de modernisation.
L'image de la femme persécutée doit disparaître. Il en est
de même pour Hindou, dans Munyal. Les larmes de la
patience :
-S'il te plaît, Baaba, écoute-moi : je ne veux
pas me marier avec lui ! S'il te plaît, laisse-moi rester ici.
-Mais qu'est-ce que tu racontes, Hindou ?
-Je n'aime pas Moubarak ! fait-elle, en sanglotant de plus
belle. Je ne veux pas me marier avec lui. C'est à peine si mon
père lance un regard sur la jeune adolescente courbée à
ses pieds. Se tournant vers moi, il ordonne calmement :
-Allez-y ! Qu'Allah leur accorde le bonheur.
Et c'est fini. Voilà tout l'adieu que je reçois
de mon père que je ne reverrai probablement pas avant un an -si tout se
passe normalement. (MLP : 19).
Pour se marier, la question du choix ne pose aucun
problème. L'homme n'a pas besoin de se faire des relations ou d'avoir de
contacts avec des filles comme c'est le cas de nos jours, pour choisir son
épouse. Bien plus, la suggestion de ce mariage n'a été
faite par la famille. Comme le dit Ken Bugul : « L'homme en âge de
se marier jetait son dévolu sur une jeune fille ou était
conseillé par la famille » (Ken Bugul, 1999 : 43). Dans ce cas
donc, c'est la famille qui conseille, qui montre ou qui identifie une
épouse potentielle. Le choix tombe toujours dans l'entourage, les
proches de la famille du côté paternel ou maternel. Dans le cas
ci-dessus cité, les deux conjoints sont cousin et cousine. Ainsi, la
plupart des mariages sont célébrés entre les enfants de la
grande famille.
Dans la société peule, le mariage est plus
célébré coutumièrement que civilement. Sa
conclusion est faite par les hommes. Les femmes n'ont pas à donner leur
avis sur la question. Après qu'AlhadjiOumarou et ses frères aient
forgé le mariage inter cousins, il charge Aissatou de l'annoncer aux
filles. A peine cette dernière a articulé le premier mot pour
donner son point de vue d'Alhadji l'interrompit
sévèrement : « Arrête de me contredire toi
aussi. Qu'est-ce vous avez toutes à vouloir donner votre avis depuis un
certain temps ? Le mariage sont les affaires des hommes »
(WLPM : 67). La célébration du mariage dans cette
communauté est fixée dans un délai très bref. Le
mariage de Fayza, Yasmine et Moustapha est prévu dans deux mois à
compter du soir où les chefs de famille en ont eu l'idée. Par le
mariage, une femme a une renommée sociale. Cependant, elle ne
reflète pas autant de joie et de bonheur que son nom. Aïssatou le
souligne si bien lorsqu'elle conseille sa fille Faysa : « le
mariage n'est pas une prairie. Non ! C'est un chemin plein
d'embûches qui demande patience et endurance à ceux qui
l'emprunte » (WLPM : 121). Surtout, la narratrice fait
savoir que « chez les peuls, les femmes savent que le domicile du
mari n'est jamais un acquis. Ce n'est pas chez-soi et on peut y être
répudié à tout moment » (WLPM :
128). Ceci témoigne la précarité du mariage dans cette
communauté. Cette pratique ne mérite pas d'être prise au
sérieux. C'est ce qu'Aissatou veut dire dans la phrase suivante :
« Dans nos mariages, il ne faut pas y mettre du coeur ».
Une analyse approfondie du corpus montre que le mariage
forcé est une tradition qui est considérée comme un signe
d'obéissance et d'appartenance à la société. Dans
cette situation, il y a peu ou peut-être pas du tout de place pour les
sentiments, ou ce qu'on appelle amour. Pour la fille, le mariage ce n'est pas
avec un homme, mais avec une situation, une vie et c'est pour toujours. Comme
elle n'a pas le choix d'être célibataire, elle n'a pas non plus le
choix de l'époux : « Le mariage est un contrat social entre
familles, où le seul cadet à qui on demande son avis est le
garçon. La fille est priée d'obéir. Si elle refuse, elle
est maudite ou souvent on la force. Il faut respecter l'ordre établi
» (LilyanKesteloot, 2001 : 284). Les romans abondent d'exemples de filles
victimes d'un mariage forcé : « Nafissa avait quatorze
ans quand Alhadji l'avait épousée. Elle se rappelle les mots de
sa mère chargée de lui annoncer que son père l'avait
promise. Nafissa, ton père a accordé ta main à
AlhadjiOumarou, afin de lui montrer sa gratitude. Tu as de la chance ma fille.
Ton père compte sur toi pour que tu lui fasses honneur et que tu te
comportes dignement. » (WAPM : 35). Suite à
cette annonce, la jeune fille, intelligente, est forcée de quitter
l'école pour se marier contre son gré, malgré son
intelligence, son goût pour les études et son ambition formidable.
Nafissa fait l'objet d'une transaction qui ne tient pas compte
de son avis. Elle a été mariée de force à
AlhadjiOumarou, un polygame assez vieux pour être son père. Pour
la famille et la communauté, les promesses et les alliances sont
très importantes et ne doivent en aucun cas être rompues. De
même, le mariage dans la société peule revêt un
caractère sacré dont la femme en est un simple membre. Il n'est
pas seulement une union entre deux individus mais entre deux familles, deux
villages, deux communautés. À ce titre, Nafissa doit, s'il le
faut, sacrifier son bonheur en soumettant son corps à la cause de sa
communauté. Jeune et intelligente, elle aurait pu se trouver un mari
très facilement surtout qu'« à quatorze ans, Nafissa avait
un corps qui semblait être l'oeuvre sublime du meilleur sculpteur.»
(WAPM : 29) Mais son père l'avait promise à un
riche commerçant pour qu'elle devienne la troisième épouse
de ce dernier. Il entend respecter cette promesse et jouir de ses
prérogatives de père. En plus, la mère en tant que femme,
elle est classée au même niveau qu'un enfant. D'ailleurs, aux
cérémonies de mariage, les femmes sont reléguées
aux seconds rôles. Elles s'occupent des festivités tandis que les
hommes discutent des points importants.
En bonnes femmes du sahel, elles sont astreintes à
supporter leurs douleurs en silence. C'est pourquoi l'auteure écrit que
les « les femmes se côtoient sans cesse au point de se sentir
piégées aussi bien par les murs hauts qui nous entourent que par
les étoffes de plus en plus sombres et lourdes que mon oncle Moussa nous
oblige à revêtir. Il n'y a pas un jour où elles ne
s'agacent voire s'entredéchirent à force de tourner en rond comme
des lionnes en cage. » (MLP : 93). Nafissa et toutes
les autres femmes du corpus ont dû subir la tradition en épousant
malgré elles le vieil homme choisi par son père. Certaines sont
envoyées en mariage par leurs parents pour raffermir les relations
d'amitié qu'ils ont avec ce riche commerçant. Sans doute
reçoit-il de la part de ce dernier des cadeaux en espèces et en
nature en plus de la dote. On sait que dans plusieurs sociétés
africaines, une fois la promesse faite, le futur mari commence à rendre
différents services à ses futurs beaux-parents. Ces services
peuvent être d'ordre manuel comme des travaux champêtres, du
coupage du bois de chauffe, du bricolage de tous ordres (réparation des
toits des cases). Dans cette situation, la femme se doit de se sacrifier en se
tenant exemplaire dans son foyer, sans rechigner au risque de se voir
congédiée.
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