Chapitre 2. Les modes et techniques de sujétion de la
femme dans le corpus
La représentation de la femme dans les deux romans de
Djaïli Amadou Amal est une réponse à un certain nombre de
principes du patriarcat. Ce système est omniprésent dans
l'univers romanesque. Les personnages homme ou femme, d'une manière ou
d'une autre sont concernés. Ainsi, ces principes se manifestent dans les
comportements des personnages. Dans ce contexte, au-delà de la
représentation des femmes dans une situation de victime, l'analyse dans
ce chapitre s'attèle à comprendre les procédés qui
permettent aux protagonistes masculins de tenir en laisse les personnages
féminins.
2.1. L'éducation discriminatoire
La société traditionnelle africaine
considère le masculin et le féminin comme des identités
fixes correspondant à la distinction biologique du sexe.On
privilégie l'éducation informelle de la jeune fille au
détriment de l'éducation formelle. On dirait que l'école
n'est pas faite pour les filles. Ce qui leur sied mieux c'est
l'éducation qu'elles reçoivent d'une mère qui leur apprend
à faire la cuisine. A garder un ménage etc. bref, on la
prépare pour une vie conjugale à venir. L'éducation
traditionnelle de la jeune fille met un point d'honneur sur
l'obéissance, ce qui est une qualité. Ce qu'on déplore,
c'est la soumission aveugle face à laquelle elle est mise, excluant
toute possibilité d'initiative et de développement de sa
personnalité, facteur clé par lequel tout être humain
s'affirme. Ce genre d'éducation ne prodigue à la femme qu'un
système d'acquisition de valeur qui la cantonne dans son gîte de
dominée et de tutellée, construit par le phallocrate. On apprend
très tôt aux filles : « Accepte avec
humilité ce qu'Allah t'impose comme épreuve(...)le mari est
celui qui te commande, ton maître, ton seigneur tout puissant. Et s'il
était permis à un être humain de se prosterner devant un
autre, alors, la femme devrait se prosterner devant son
époux » (MLP : 59).
Les règles de la phallocratie veulent que tout individu
mâle soit reconnu supérieur à la femme sans
considération d'âge ou de classe linéale (ou de
moralité ou de talent ou d'intelligence...). Ainsi, le petit
garçon dominera sa grande soeur ou même sa mère. Pierre
Bourdieu explique que la domination masculine est principalement assurée
par trois instances : la Famille qui répartit les taches sur la base de
l'identité sexuelle des membres, l'École qui ne s'est pas
détachée vraiment de la tutelle de la religion, et enfin
l'État qui légitime le pouvoir du père, consacrant de fait
la prééminence de l'homme sur la femme (Bourdieu, 1998 : 92).
Cette association du genre au pouvoir se remarque dans toutes les
sphères de la vie, en particulier dans les relations du couple. Dans
Walaande. L'art de partager un mari, l'auteure présente des
femmes contenues dans la sphère familiale ; tandis que les
garçons jouissent de leur liberté de mouvement. Dans Les membres
de la famille évoluent dans deux mondes distincts. Bien qu'il n'y ait
pas de séparation visible entre le groupe des femmes et celui des
hommes, chaque membre du groupe connaît son domaine d'action et l'espace
qui lui est circonscrit. Dans la description de la vie de la famille, il n'y a
pas vraiment d'interaction privée entre les garçons et les
filles. En fait, la partie extérieure, celle où tous les
visiteurs ont accès, est réservée aux garçons. Elle
leur octroie plus de liberté. Les filles quant à elles, doivent
se contenter de la partie intérieure de la concession, à l'abri
des regards. Les membres de la famille doivent garder ces espaces aux limites
psychologiques infranchissables. (WAPM : 82).
L'éducation de la jeune fille est axée sur le
code féminin. La discrétion, le sens du secret, le respect de la
confidence et de la tradition sont les points important, la domination
masculine commence dès le bas âge. L'auteure le démontre
à travers une petite dispute au sujet de la télécommande,
qui oppose les petits enfants, Nasser le fils de Djaïli et Halima, la
fille de Sakina. Lorsque la fille demande au garçon de lui donner la
télécommande, Nasser lui répond par la
suivante : « c'est moi le garçon, donc c'est moi qui
commande » (WLPM: 54). Cette idée est
déjà fossilisée malheureusement. Un petit garçon
qui sait qu'il a plus de droit que la fille.
Sur le plan religieux, il parait que la religion soit
même le principal obstacle à l'éducation des filles.
Puisqu'elle est catégorique sur le fait que les filles ne doivent pas
fréquenter l'école occidentale sous prétexte que les
enseignements véhiculés poussent au paganisme, à la non
croyance, à l'existence d'un Dieu unique. En effet, les romans de notre
corpus baignent dans l'univers islamo-peul. C'est la religion islamique qui
domine alors tout se rapporte à Mohamed. Ainsi, lorsque Djaïli
exprime son souhait de se rendre aussi à l'école comme sa
camarade du quartier Aminata, sa mère lui recommande d'étudier le
coran. Précisément parce que les saintes écritures
enseignent des lois relatives aux devoirs de l'épouse et à
l'autorité de l'homme. Pour éviter de sombrer dans les interdits
des normes peules et de brûler dans les flammes de l'enfer ainsi que ses
parents, la fille est censée rester à la maison, se faire
inculquer des valeurs éthiques et spirituelles par ses parents.
Le fragment du dialogue suivant en dit tout :
- Mère, je veux aussi aller à l'école
comme Aminata
- Non ! Etudie plutôt le coran. C'est mieux pour
toi.
- Mais je veux aussi aller à l'école, pourquoi
je ne pourrais pas y aller aussi ??
- Arrête de me déranger Djaïli !
Va demander à ton père !
Elle n'avait pas hésité, la petite.
Elle arrêta son père qui montait dans sa voiture
un matin.
-Baaba, j'aimerais aussi aller à l'école avec
mes frères.
- Les filles ne vont pas à l'école !
répondit son père avec un sourire.
-Pourquoi alors Aminata y va ?
- Quand une fille va à l'école, elle devient
païenne et elle ira en enfer ainsi que ses parents.
Tu ne veux pas que j'aille en enfer ?
(WAPM : 40).
Dans Munyal, on retrouve également un cas
similaire au sujet de l'instruction scolaire du personnage féminin. La
vie de la femme ne se résume que pour plaire à l'homme, sa vie ne
se résume qu'aux fins de l'homme. Le personnage Ramla qui est si
différente de ses soeurs dans le sens où elle était la
seule dans sa famille à poursuivre ses études est
découragé par sa mère et ses marâtres qui lui font
comprendre que l'école ne lui servira à rien. Lorsqu'elle les
parle de ses ambitions et rêves, elles se moquent de Ramla et lui demande
de redescendre sur terre car la finalité d'une femme ce n'est pas de
grande étude, non. Mais le mariage surtout être marié
à un homme riche. Le fragment suivant est très
éloquent :
Quand j'expliquais aux femmes de la famille mon ambition
d'être pharmacienne, elles riaient aux éclats, me traitais de
folle et vantaient les vertus du mariage et de la vie d'une femme au foyer.
Quand je renchérissais sur l'épanouissement qu'il y aurait pour
une femme d'avoir un emploi, de conduire sa voiture, de gérer son
patrimoine, elles coupaient sévèrement que de toutes les
façons peu importait à quoi je rêvais, il valait mieux pour
moi redescendre sur terre et vivre dans la vraie vie. Une vie différente
de celle que je lisais dans mes romans où de celles que je regardais
dans les séries télévisées. Pour elles, le summum
du bonheur était d'être marié à un homme riche.
(MLP: 42).
Dans la religion islamique, c'est un péché
d'envoyer sa fille à l'école. C'est un fait grave qui
mériterait l'enfer. La fille doit seulement apprendre ses fonctions
classiques qui sont nécessaires à l'accomplissement de son destin
de femme.
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