1.2.5. La polygamie
Le terme polygamie est formé à partir de deux
mots grecs, polus qui signifie « plusieurs » ou « plus
», et gamos, qui veut dire « mariage ». Ainsi la
polygamie se situe en opposition à la monogamie. Cette dernière
signifie le fait que le mari cohabite avec une seule épouse. Toutefois,
selon Zalia Touré Maïga (2010), « dans le contexte de
l'Islam on pense, qu'en principe, la pratique de la monogamie n'exclut pas
totalement une l'éventualité » de disposer de
concubines. Cela est cependant assorti d'une restriction de taille: seuls les
enfants de la femme mariée seront considérés comme
légitimes.
En substance, la polygamie est le régime matrimonial
dans lequel l'homme (l'époux) est marié à deux ou à
plusieurs femmes (épouses). Celles-ci entretiennent des rapports de
coépouses, qui s'articulent essentiellement autour du système de
« partage », généralement inégalitaire, d'un
même époux.
Dans le contexte du corpus, la polygamie est un moyen de
sujétion de la femme. Elle n'est pas considérée, ou du
moins, elle reste un objet que l'époux doit protéger. Dans
Walandé. L'art de partager un mari,Djaïli Amadou
évoque cette pratique avilissante pour la femme :
« Pauvre femme, obligée de vivre avec ses soeurs comme elle,
prisonnières d'une grande maison avec des murs aux alentours afin
qu'aucun regard extérieur ne la souille. Normal ! On doit bien garder
ses épouses. » (WAPM : 10). Ainsi que le
révèle ce passage, la polygamie est une pratique imposée
à la femme. Elle n'a de choix que de se soumettre. Bien plus, elle y est
astreinte à subir les corollaires de cette vie à plusieurs.
Très souvent, les difficultés qu'elles y rencontrent
s'amoncellent aussi haut que les murs aux alentours. Étant
àl'abri des regards, le calvaire de la polygamie ne peut être
dénoncé. Il est aussi protégé que l'être
humain. Ce qui galvanise davantage l'époux à se livrer à
la maltraitance de ses conjointes. C'est une attitude qui se conforme aux
normes sociales observées par tout le monde peul.
Dans les romans de Djaïli, l'arrivée de nouvelles
épouses dans la famille est décrite comme traumatisante pour la
première épouse (ou les autres) ainsi que pour ses enfants.
Il poussa encore un soupir. Le jour où j'ai pris une
deuxième femme, Aïssatou a complètement changé. Elle
n'est plus là pour moi. Sous son silence, elle s'est retirée du
devant de la scène. Elle n'a pas fait de reproches certes, elle ne me
fait plus part de rien. Elle ses contente juste de remplir ses devoirs et ne se
mêle pas de ma vie privée. Que j'en épouse une ou que j'en
répudie une autre, elle n'est pas concernée. Djaïli aussi
n'a plus été là. Elle si, plantureuse, si
passionnée, me permit de découvrir de la lassitude sous ses
colères. (WAPM : 60-70).
L'auteure insiste sur le fait que les protagonistes se
comportent en victimes résignées. Elles sont toutes contre la
polygamie. Mais, la question du traitement inéquitable des
épouses par les maris demeure la préoccupation majeure. De plus,
dans la polygamie, les femmes ne sont pas solidaires entre elles. Dans
Munyal.Les larmes de la patience, l'auteure donne l'exemplede Safira
qui trouve du plaisir à traumatiser sa coépouse pour
l'empêcher de recevoir leur époux lors de son
walandé. Elle confesse :
L'air de rien, je me révélais une adversaire
redoutable et utilisais parfois mes enfants et les domestiques pour arriver
à mes fins. Je n'arrêtais pas de monter des coups contre Ramla. Et
tout y passait ! Je faisais verse des grains de sable sur ses grillades et dans
sa farine destinée au couscous. Je rajoutais du sel dans sa sauce. Je
glissais discrètement encore du sable mais sous les draps dans le lit
conjugal au sortir de mon waalandé. Je dissimulais savon et
papier hygiénique, salissais les serviettes, et Alhadji se plaignait,
tempêtait et s'énervait contre Ramla sans qu'elle puisse se
justifier. (WAPM : 149) .
Parce qu'elle ne supporte pas sa coépouse, elle use de
stratagèmes pour contraindre son Alhadji à tempêter contre
sa coépouse. Ainsi, peut-on parler d'une misogynie
intériorisée mais qui sert les intérêts de certaines
femmes et qui leur permet de prendre le pouvoir et de savourer une jouissance
sur d'autres femmes ? Comment se libérer de la domination masculine si
les femmes et/ou les mères sont les premières à
pérenniser un système de pensée qui est défavorable
aux femmes ? Force est de reconnaître que le regard des hommes sur les
femmes, comme les perceptions que les protagonistes féminins du corpus
ont d'elles-mêmes restent empreintes d'une idéologie
conservatrice.
De plus, il est attendu de l'épouse qui aura
bientôt une coépouse qu'elle accepte la situation et sauve les
apparences. Au moment de recevoir les nouvelles du remariage de son
époux, elle se doit de garder sa dignité et sa lucidité
alors qu'elle éprouve en même temps des sentiments de rage et de
tristesse. Dans les textes de Djaïli, les femmes telles que
décrites sont porteuses de la pérennité des traditions.
Elles ne veulent surtout pas donner à leurs visiteurs la satisfaction de
raconter leur désarroi. Avoir une coépouse n'est pas une chose
banale, cela remet en question une vie de famille, une relation de confiance,
le bonheur construit dans le foyer et donc ce qui peut entraîner une
souffrance psychique à force de ne pas en parler.
Une heure plus tard, ma coépouse vient me souhaiter la
bienvenue. Sous mon voile, je la dévisage. Contrairement à ce que
je m'étais imaginée, elle n'est pas âgée. C'est une
femme à la trentaine épanouie, d'une grande beauté.
J'aurais aimé m'en faire une alliée mais le regard qu'elle pose
sur moi me l'interdit. Elle semble me détester avant même de me
connaître. Elle aussi est entourée des femmes de sa famille
arborant des sourires de bienséance. Deux camps se toisent, se scrutent
en un duel feutré, où l'on devine une hypocrisie mielleuse. Je
sens qu'elle fait un énorme effort pour rester calme. (MLP : 20)
Il existe des mots qui détruisent, comme il est des
silences terriblement violents, par exemple lorsqu'elles taisent ce qui devrait
être dénoncé. Il semble que les femmes qui sont dans la
féminité accomplie sont réduites à concevoir,
admettre, tolérer, servir et se taire.
Au terme de ce chapitre, il ressort que plusieurs facteurs
sont à l'origine de la sujétion du personnage féminin.
Nous avons pu relever quelques préjugés et clichés d'une
part, ensuite l'interprétation faite du livre sacré d'autre part.
Nous avons aussi relevé les lois sociales telles que le Munyal,
lePulaaku, le Semteende et le mutisme de la femme sont des
barrières à l'épanouissement du personnage féminin.
Nous constatons que ces normes sociales qui sont d'une importance capitale pour
le bon fonctionnement de la société peule et du foyer ne sont pas
faciles à appliquer. Car elles demandent d'énormes sacrifices
pour y parvenir et elles portent atteinte à la liberté et au
bonheur surtout de la gent féminine. Tous ces éléments
montrent incessamment des personnages féminins qui souffrent vivant dans
un milieu régi par des normes.Le personnage féminin est
réduit au silence, à la souffrance due à la
marginalisation dans la société et à la violence physique
qu'il subit en cas d'une quelconque réclamation. L'homme pour asseoir sa
suprématie par rapport à la femme, a établi plusieurs
stratégies au premier rang desquelles la privation du droit à
l'éducation pour la fille. Il lui est inculqué dès sa plus
tendre enfance le fait qu'elle soit faite pour servir l'homme, pour lui assurer
une descendance et l'encadrer. Pour que ces éléments qui sont
à l'origine de la victimisation soit plus significatifs, l'auteur les
rend plus manifeste à travers les moyens et les techniques.
|