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La victimisation du personnage féminin dans Walaandé, l'art de partager un mari et Munyal, les larmes de la patience de Djaili Amadou Amal


par Germaine DANGA MOUDA
Université de Maroua - Master2 2021
  

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1.2.5. La polygamie

Le terme polygamie est formé à partir de deux mots grecs, polus qui signifie « plusieurs » ou « plus », et gamos, qui veut dire « mariage ». Ainsi la polygamie se situe en opposition à la monogamie. Cette dernière signifie le fait que le mari cohabite avec une seule épouse. Toutefois, selon Zalia Touré Maïga (2010), « dans le contexte de l'Islam on pense, qu'en principe, la pratique de la monogamie n'exclut pas totalement une l'éventualité » de disposer de concubines. Cela est cependant assorti d'une restriction de taille: seuls les enfants de la femme mariée seront considérés comme légitimes.

En substance, la polygamie est le régime matrimonial dans lequel l'homme (l'époux) est marié à deux ou à plusieurs femmes (épouses). Celles-ci entretiennent des rapports de coépouses, qui s'articulent essentiellement autour du système de « partage », généralement inégalitaire, d'un même époux.

Dans le contexte du corpus, la polygamie est un moyen de sujétion de la femme. Elle n'est pas considérée, ou du moins, elle reste un objet que l'époux doit protéger. Dans Walandé. L'art de partager un mari,Djaïli Amadou évoque cette pratique avilissante pour la femme : « Pauvre femme, obligée de vivre avec ses soeurs comme elle, prisonnières d'une grande maison avec des murs aux alentours afin qu'aucun regard extérieur ne la souille. Normal ! On doit bien garder ses épouses. » (WAPM : 10). Ainsi que le révèle ce passage, la polygamie est une pratique imposée à la femme. Elle n'a de choix que de se soumettre. Bien plus, elle y est astreinte à subir les corollaires de cette vie à plusieurs. Très souvent, les difficultés qu'elles y rencontrent s'amoncellent aussi haut que les murs aux alentours. Étant àl'abri des regards, le calvaire de la polygamie ne peut être dénoncé. Il est aussi protégé que l'être humain. Ce qui galvanise davantage l'époux à se livrer à la maltraitance de ses conjointes. C'est une attitude qui se conforme aux normes sociales observées par tout le monde peul.

Dans les romans de Djaïli, l'arrivée de nouvelles épouses dans la famille est décrite comme traumatisante pour la première épouse (ou les autres) ainsi que pour ses enfants.

Il poussa encore un soupir. Le jour où j'ai pris une deuxième femme, Aïssatou a complètement changé. Elle n'est plus là pour moi. Sous son silence, elle s'est retirée du devant de la scène. Elle n'a pas fait de reproches certes, elle ne me fait plus part de rien. Elle ses contente juste de remplir ses devoirs et ne se mêle pas de ma vie privée. Que j'en épouse une ou que j'en répudie une autre, elle n'est pas concernée. Djaïli aussi n'a plus été là. Elle si, plantureuse, si passionnée, me permit de découvrir de la lassitude sous ses colères. (WAPM : 60-70).

L'auteure insiste sur le fait que les protagonistes se comportent en victimes résignées. Elles sont toutes contre la polygamie. Mais, la question du traitement inéquitable des épouses par les maris demeure la préoccupation majeure. De plus, dans la polygamie, les femmes ne sont pas solidaires entre elles. Dans Munyal.Les larmes de la patience, l'auteure donne l'exemplede Safira qui trouve du plaisir à traumatiser sa coépouse pour l'empêcher de recevoir leur époux lors de son walandé. Elle confesse :

L'air de rien, je me révélais une adversaire redoutable et utilisais parfois mes enfants et les domestiques pour arriver à mes fins. Je n'arrêtais pas de monter des coups contre Ramla. Et tout y passait ! Je faisais verse des grains de sable sur ses grillades et dans sa farine destinée au couscous. Je rajoutais du sel dans sa sauce. Je glissais discrètement encore du sable mais sous les draps dans le lit conjugal au sortir de mon waalandé. Je dissimulais savon et papier hygiénique, salissais les serviettes, et Alhadji se plaignait, tempêtait et s'énervait contre Ramla sans qu'elle puisse se justifier. (WAPM : 149) .

Parce qu'elle ne supporte pas sa coépouse, elle use de stratagèmes pour contraindre son Alhadji à tempêter contre sa coépouse. Ainsi, peut-on parler d'une misogynie intériorisée mais qui sert les intérêts de certaines femmes et qui leur permet de prendre le pouvoir et de savourer une jouissance sur d'autres femmes ? Comment se libérer de la domination masculine si les femmes et/ou les mères sont les premières à pérenniser un système de pensée qui est défavorable aux femmes ? Force est de reconnaître que le regard des hommes sur les femmes, comme les perceptions que les protagonistes féminins du corpus ont d'elles-mêmes restent empreintes d'une idéologie conservatrice.

De plus, il est attendu de l'épouse qui aura bientôt une coépouse qu'elle accepte la situation et sauve les apparences. Au moment de recevoir les nouvelles du remariage de son époux, elle se doit de garder sa dignité et sa lucidité alors qu'elle éprouve en même temps des sentiments de rage et de tristesse. Dans les textes de Djaïli, les femmes telles que décrites sont porteuses de la pérennité des traditions. Elles ne veulent surtout pas donner à leurs visiteurs la satisfaction de raconter leur désarroi. Avoir une coépouse n'est pas une chose banale, cela remet en question une vie de famille, une relation de confiance, le bonheur construit dans le foyer et donc ce qui peut entraîner une souffrance psychique à force de ne pas en parler.

Une heure plus tard, ma coépouse vient me souhaiter la bienvenue. Sous mon voile, je la dévisage. Contrairement à ce que je m'étais imaginée, elle n'est pas âgée. C'est une femme à la trentaine épanouie, d'une grande beauté. J'aurais aimé m'en faire une alliée mais le regard qu'elle pose sur moi me l'interdit. Elle semble me détester avant même de me connaître. Elle aussi est entourée des femmes de sa famille arborant des sourires de bienséance. Deux camps se toisent, se scrutent en un duel feutré, où l'on devine une hypocrisie mielleuse. Je sens qu'elle fait un énorme effort pour rester calme. (MLP : 20)

Il existe des mots qui détruisent, comme il est des silences terriblement violents, par exemple lorsqu'elles taisent ce qui devrait être dénoncé. Il semble que les femmes qui sont dans la féminité accomplie sont réduites à concevoir, admettre, tolérer, servir et se taire.

Au terme de ce chapitre, il ressort que plusieurs facteurs sont à l'origine de la sujétion du personnage féminin. Nous avons pu relever quelques préjugés et clichés d'une part, ensuite l'interprétation faite du livre sacré d'autre part. Nous avons aussi relevé les lois sociales telles que le Munyal, lePulaaku, le Semteende et le mutisme de la femme sont des barrières à l'épanouissement du personnage féminin. Nous constatons que ces normes sociales qui sont d'une importance capitale pour le bon fonctionnement de la société peule et du foyer ne sont pas faciles à appliquer. Car elles demandent d'énormes sacrifices pour y parvenir et elles portent atteinte à la liberté et au bonheur surtout de la gent féminine. Tous ces éléments montrent incessamment des personnages féminins qui souffrent vivant dans un milieu régi par des normes.Le personnage féminin est réduit au silence, à la souffrance due à la marginalisation dans la société et à la violence physique qu'il subit en cas d'une quelconque réclamation. L'homme pour asseoir sa suprématie par rapport à la femme, a établi plusieurs stratégies au premier rang desquelles la privation du droit à l'éducation pour la fille. Il lui est inculqué dès sa plus tendre enfance le fait qu'elle soit faite pour servir l'homme, pour lui assurer une descendance et l'encadrer. Pour que ces éléments qui sont à l'origine de la victimisation soit plus significatifs, l'auteur les rend plus manifeste à travers les moyens et les techniques.

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"Aux âmes bien nées, la valeur n'attend point le nombre des années"   Corneille