1.2.4. L'éducation
traditionnelle de la femme
L'image de l'épouse traditionnelle que souhaitent les
hommes et la société dans les romans de Djaïli Amadou Amal
revèle toujours des qualités favorables, des qualités
admirées par les hommes. Elle est docile, soumise, travailleuse,
courageuse et de plus, elle est ignorante des activités de son
époux. Pour parvenir à cette stature de la femme,
l'éducation qui correspond à cette image doit être
inculquée dès le jeune âge. La jeune fille témoigne
de l'éduction reçue dans l'extrait
suivant : « Je n'étais pas que la fille de mon
père. J'étais celle de toute la famille. Et chacun de mes oncles
pouvait disposer de moi comme de son enfant. Il était hors de question
que je ne sois pas d'accord. J'étais leur fille. J'avais
été élevée selon la tradition, initiée au
respect strict que je devais à mes aînés. Mes parents
savaient mieux que moi ce qu'il me fallait. » (MLP :
32)
Il est question dans cette éducation traditionnelle que
la femme soit docile et obéissante pour que l'homme ait le pouvoir
d'exercer son influence, son autorité sur elle. L'éducation
qu'elle reçoit favorise le respect inconditionnel du mari. Elle doit
être toujours disponible pour rendre des services sans même
élever la voix. Son lot de femme est d'accepter, et de se taire, c'est
ainsi qu'on le lui enseigne. Voilà une épouse décrite par
l'Oncle Hayatou dans Munyal. Les larmes de la patience:
Soyez soumises à votre époux / Épargnez
vos esprits de la diversion / Soyez pour lui une esclave et il vous sera captif
/ Soyez pour lui la terre et il sera votre ciel / Soyez pour lui un champ et il
sera votre pluie / Soyez pour lui un lit et il sera votre case / Ne boudez pas
/ Ne méprisez pas un cadeau, ne le rendez pas / Ne soyez pas
colériques / Ne soyez pas bavardes / Ne soyez pas dispersées / Ne
suppliez pas, ne réclamez rien / Soyez pudiques / Soyez reconnaissantes
/ Soyez patientes. (MLP : 16)
À travers ces enseignements, il s'agit de
préparer les jeunes filles avant qu'elles ne quittent le foyer des
parents pour rejoindre celui de l'époux. L'idée ou la conception
courante dit que la jeune fille est donnée à un homme. Elle est
considérée dans certaines sociétés comme n'importe
quel objet que l'homme possède pour toujours. Alors dès son
arrivée au domicile conjugal elle doit justifier l'éducation
à elle inculquée par ses parents à respectant les
préceptes ci-dessus cités. Elle ne peut pas se comporter
autrement parce que c'est la règle, les traditions, les valeurs
héritées des parents.
Les femmes représentées dans
Walaandé.L'art de partager un marisont un exemple soumission,
grâce à l'éducation traditionnelle. Le fait que certaines
soient des femmes modernes, femmes urbaines et instruites ne les épargne
pas de ce mauvais sort. Cela montre que ce ne sont pas seulement les femmes
illettrées qui subissent l'éducation traditionnelle. C'est vrai,
comme nous le voyons, et d'une façon générale, la femme
traditionnelle est dans tous les cas soumise par nature, à la
volonté de l'homme; c'est-à-dire à l'autorité de
l'homme qui est pour elle le père, le frère ou le mari, surtout
le mari. Toutefois, cela ne veut pas forcément dire que toutes femmes
modernes se révoltent contre l'ordre des hommes. Le cas de Sakina est
illustratif. Il est convenable de découvrir la personnalité de
cette dernière, pour comprendre le poids de l'éducation
traditionnelle : elle est à la fois femme moderne et femme soumise. Donc
pour juger son attitude dans son foyer, face à son époux, face
à la polygamie, il importe de chercher à savoir quelles sont les
raisons pour lesquelles elle se soumet.Sakina est la quatrième
épouse d'AlhadjiOumarou. Elle est la seule épouse instruite. Elle
est une synthèse de deux civilisations : la civilisation africaine et
l'européenne. Sa formation traditionnelle est très
évidente dans son comportement.
Des pratiques telles que l'accueil d'une foule qui vient pour
adresser leurs salutations à Alhadji, les énormes repas à
préparer à ceux-ci. Toutes ces pratiques sont dictées par
les croyances et les rites religieux. De toute façon, nous pouvons dire
que Sakina est une femme croyante qui jouit d'une foi respectable. Les
prières et de la lecture du Coran en sont révélatrices de
sa croyance. D'un autre côté, le personnage a reçu
l'instruction scolaire. Donc nous constatons que ces deux types de formations
laissent des traits remarquables sur le caractère du personnage,
l'originalité et la modernité. Elle est une femme intelligente,
pratique, dynamique et prudente. Dans toutes les étapes de son parcours
dans le roman, elle montre une ouverture d'esprit. Dans un échange avec
ses coépouses à propos de la santé de l'un de leur fils,
elle démontre son intelligence : « -tu devrais amener cet enfant
cher l'imam tous les matins pour qu'il lui fasse des incantations. C'est
sûrement du mauvais oeil qu'il souffre. -Je pense plutôt que Aminou
aura besoin d'une perfusion, fit Sakina sceptique. Il est
déshydraté et c'est peut être... »
(WAPM : 18)
Mais le destin lui cache une mauvaise surprise. Elle n'a pas
la moindre pensée qu'un jour, elle vivra des situations troublantes. Et
elle démontre ses capacités à supporter, à subir en
silence, qui trouve une explication dans les faits suivants. Ils sont l'apanage
de tous les personnages féminins.L'analyse de la situation des femmes
dans le corpus laisse paraître qu'elles sont toutes soumises. Les romans
abondent en exemples de ces femmes soumises à l'hégémonie
de l'homme. Plusieurs aspects interviennent dans ce problème : des
aspects économiques, psychologiques, sociaux et religieux.
Le problème le plus grave réside dans la
dépendance morale et économique de la femme à l'homme.
C'est à cause de cet état de subordination que la femme se trouve
dans une situation de dépendance chronique. Elle ne supporte ni la
solitude ni la pauvreté. Surtout pour celles qui ne travaillent. Tout
est fait pour les assujettir. Elles sont éduquées de sorte
qu'elles pensent ne pas survivre sans un conjoint. C'est ce dernier qui assure
sa protection et l'abrite. Même si elle n'est pas heureuse avec le mari,
sans lui, la situation serait encore pire surtout avec des enfants. En fait, ce
traitement réservé à la femme est culturel :
« Chez les peuls, les femmes savent que le domicile du mari n'est
jamais un acquis. Ce n'est pas un chez soi et on peut y être
répudié à tout moment. Alors elles se préparent en
conséquence. » (WAPM : 142).
Avec l'entourage qui est très impliqué dans les
affaires de mariage, c'est à dire, au-delà de l'union entre deux
personnes, c'est un pacte en deux failles. Ainsi, adopter une réaction
négative contre cette pratique ou ce que la femme vit dans son foyer
sera vu comme un acte d'égoïsme. La société trouvera
inconcevable qu'une femme se rebelle contre la tradition. Pour elle, la
polygamie est une institution sociale qui doit être respectée par
tout le monde, que personne ne doit contester. C'est ainsi que dans Munyal.
Les larmes de la patience, les femmes n'osent pas quitter le ménage
de leurs époux malgré tous les traitements qu'elles y subissent.
Elles ont peur d'être rejetées par leurs parents et partant, tous
les membres de la famille. Lorsqu'elles protestent, leurs entourages proposent
le munyal, la patience :-Munyal ! Munyal...
Munyalma fille !Combien de fois a-t-elle entendu ce mot ?
Combien de personnes lui ont donné ce conseil ? Encore et
toujours ! De la part de tous. Par toutes les circonstances douloureuses
de sa vie. On le sait d'ailleurs, on ne conseille le fameux munyal
comme remède souverain à tous les maux que dans les moments
difficiles. (MLP : 6)
Toujours dans la logique de la sujétion de la femme,
elle est très souvent dépouillée de tous ses biens :
« Chez moi ! Chez mes parents. Oui c'est pathétique
après trente ans de se rendre compte qu'on dit encore chez mes parents.
Un seul mot pour lui à prononcer : je te répudie, et l'on se
rend soudain compte que l'on n'a même pas un chez soi. On a beau
construire ensemble, tout est à lui. Nous ne sommes rien, nous ne valons
rien, nous n'avons rien. » (WAPM : 143). Ainsi elles
digèrent difficilement leur mal et se soumettent à la polygamie
et tous ses corollaires pour éviter la colère, la
malédiction de leurs familles parents.
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