III.2. L'absentéisme
des élèves et des enseignants
L'absentéisme se définit communément
comme l'attitude de toute personne qui est régulièrement absente
de son lieu de travail ou de tout endroit où elle est tenue d'être
présente. Legendre (1993) définit l'absentéisme comme le
fait d'être absent des cours ou des jours de classe ; ou comme le
comportement d'un élève ou d'un enseignant qui s'absente
souvent.
L'absentéisme est un précurseur important de
l'abandon scolaire. C'est un phénomène qui est apparu avec la
massification à la fin des années 70. Défini par son
caractère répété, volontaire et injustifié
des absences, ce phénomène touche de nos jours un nombre
important des établissements qui doivent y faire face. C'est le cas des
établissements secondaires de la Kabbia où on fait face au
sérieux problème de l'absentéisme des élèves
et des enseignants. Selon nos entretiens, 50 chefs d'établissements soit
98,03% affirment être confrontés au problème
d'absentéisme et seulement 1 chef d'établissement soit 1,96%
affirme que les absences sont moins enregistrées dans son
établissement. Cette statistique a été repartie selon les
répondants comme suit : 27 soit 52,03% dans les collèges
publics, 9 soit 17,64% dans les établissements communautaires, 3 soit
5,8% dans les collèges privés et 11 soit 21,56% dans les
lycées. Ils avancent plusieurs raisons liées aux absences :
marchés hebdomadaires, cas des deuils, réunions familiales.
Ces faits ont été constatés lors de nos
entretiens. Le cas de lycée de Tagal peut être cité comme
un des exemples. Lors de notre descente dans l'établissement, nous
avons constaté que la cour était déserte. Notre
répondant nous laisse entendre que : « les enfants ne se
sont pas présentés à l'école à cause du
décès d'un homme dans le village ». Selon notre
enquêté, le village est constitué des personnes de
même clan et en cas d'un décès, c'est tout le monde qui se
réunit pour l'organisation de funérailles. Ce cas de malheur dans
le village est une occasion pour les élèves de s'absenter. Cela
crée toujours des absences justifiées ou injustifiées.
Dans un autre établissement où le marché hebdomadaire se
tient tout le mercredi les élèves n'ont pas d'autre choix
que de s'absenter. Le répondant de cet établissement nous
explique que : « Pendant le jour du
marché, des élèves créent des stratégies en
venant sans tenue ou en demi tenue pour gagner un renvoi en vue d'aller faire
le marché ». Pour ce répondant, les
élèves ne sont pas motivés à faire cours le jour du
marché. C'est pourquoi ils s'absentent volontairement à la
recherche des moyens ou encore sont obligés par leurs parents pour
s'absenter. Pendant les jours ordinaires, ils sont plus absents toutes les
premières et les dernières heures. Dans nos entretiens, les
absences relevées dans les établissements secondaires de la
Kabbia varient de 15 heures minima à 85 heures maximum. Pour les
absences à la première heure, notre répondant de Gounou
Gaskala souligne que les élèves manifestent un sentiment de peur
de sortir tôt. L'intéressé nous explique que ce canton
considéré de nos jours comme le bastion de la culture mousseille
conserve toujours certaines pratiques mystiques. Ainsi, pour chasser le
malheur, certains individus déposent après sacrifice au carrefour
une calebasse contenant le malheur et le premier à toucher, emporte avec
lui ce malheur. Cette crainte amène souvent les élèves
à être en retard à l'école.
Au lycée de Koumou, le répondant
affirme que : « les chefs des classes ont suspendu les appels
à cause des absences abusives ». L'on se pose dont la question
de savoir s'il est encore utile d'élire les chefs des classes dont le
rôle est celui de contrôler les absences des
élèves ? C'est ce que note le répondant de
collège de Goh Valang qui souligne que, certains parents viennent
retirer de la classe leurs enfants pour les envoyer derrière les boeufs.
Quant au directeur de Djodo Gassa confronté aux retards des
élèves au cours dans la soirée, il souligne que
malgré que les cours commencent à 12 h 45mn, les enfants viennent
à 13 h alors qu'ils ne peuvent pas faire 5 heures du temps à
cause de l'obscurité qui gagne le temps. Pour lui les
élèves sont aussi absents à la première heure qui
est celle de 12 h 45 mn.
Dans un autre établissement, un responsable
souligne avoir interrogé les élèves au sujet des absences
les jours du marché et la réponse était pour certains
qu'ils étaient envoyés par leurs parents pour le besoin de vendre
quelque chose et pour d'autres, c'est le goût de commerce et l'envie de
boire. Bien que les absences agissent sur la note de conduite, cela n'a pas un
grand effet sur ces élèves. C'est pourquoi dans un
collège du canton Djarao, les élèves en état de
retard sont très contents quand ils sont empêchés
d'entrée en salle, à la première heure. Le
répondant de cet établissement nous livre ses propos en ces
termes : « Les retardateurs, empêchés d'entrer
en salle non seulement se réjouissent de ce temps perdu, mais repartent
chez eux pour toute la journée ». Pour cet
intéressé, les élèves considèrent l'absence
comme un phénomène sans conséquence sur leur
apprentissage. C'est ainsi que des cas d'absence sont également
signalés selon nos informateurs pendant le cas de deuil dans le village,
les fêtes traditionnelles, la pêche collective.
D'autres absences sont
enregistrées beaucoup plus en période froide à cause du
froid excessif. Pour le Proviseur du lycée de Guetté, les
élèves se livrent dans les activités commerciales. Il
souligne que ces élèves exercent des petits commerces les jours
du marché hebdomadaire. Ceux-ci ne viennent pas à l'école,
les garçons deviennent des pousseurs et des vendeurs ambulants, alors
que les filles deviennent des vendeuses de fruits et de l'eau. Selon cet auteur
par contre, les parents forcent les élèves à aller
à l'école le jour de marché mais ceux-ci refusent. Ainsi,
la situation économique embarque bon nombre d'élèves
à la recherche des moyens financiers pour résoudre certaines
situations scolaires.
En ce qui concerne les absences chez les enseignants,
l'entretien révèle que ceux-ci brillent également par leur
absence dans les établissements. Pour le directeur de collège
Djarao Boro, les absences des enseignants a une influence directe sur
l'apprentissage des élèves et il regrette le sort des enseignants
qui une fois obtenu l'autorisation d'absence, la prolongent.
L'intéressé affirme ce qui suit : « les
enseignants, une fois obtenu une autorisation d'absence de trois jours, la
prolongent jusqu'à un mois ». Pour lui les enseignants ont
une manière de s'absenter quand ils obtiennent une autorisation
d'absences. Il pointe du doit les directeurs des écoles qui ont la
responsabilité du contrôle et de bon fonctionnement des
établissements scolaires. Il conclut qu'en absence du chef
d'établissement, les enseignants ne font pas bien leur travail. Cette
manière de faire ne peut en aucun cas aider l'établissement dans
la réalisation de ces objectifs.
Un autre répondant abonde dans le même sens et
souligne que : « les absences des enseignants sont plus
enregistrées avant et après la période de vacances ou d'un
congé ». Pour ce répondant, à la veille d'un
congé, les enseignants se créent des occasions des absences
allant du suivi des dossiers à la cérémonie de
funérailles en passant par la cérémonie de mariage.
À cet effet, certains déposent une autorisation et quittent soit
avant une semaine ou trois jours avant le congé. D'autres ne cherchent
pas à obtenir l'autorisation et appellent juste le chef
d'établissement pour le signaler de leur absence. Cette attitude selon
notre enquêté est répètitif à la reprise
où on assiste à une semaine ou trois jours de retard de certains
enseignants à regagner leur poste. Nous convenons avec cet
enquêté car le constat prouve qu'à la veuille ou la reprise
des cours après un congé, les absences des enseignants sont
fréquents et plusieurs heures de cours ne sont pas faites.
Pour un autre répondant, les enseignants, se croyant de
la localité s'absentent comme ils veulent et justifient leurs absences
par les réunions et les problèmes familiaux. Nous croyons avec
cet enquêté car au vu de notre constat, il est donc à
noter que la plupart des enseignants sont des contractuels recrutés dans
le compte de l'association des parents d'élèves. Ce sont dont les
fils de la localité qui sont appelés à aider leurs petits
frères et ils estiment que rien ne peut leur arriver malgré leurs
absences répétées. Ainsi, mises à part les absences
répétées ceux-ci ne donnent aucun respect à
l'administration dans ce qu'elle fait.
Pendant le virement, un chef d'établissement
souligne que les enseignants sont obligés de parcourir plusieurs
kilomètres pour percevoir leur salaire. Ce long déplacement de 50
à 75 kilomètres entraine des absences d'un ou de deux jours
à chaque fin de mois. Cela occasionne une perte de temps d'enseignement.
Cette réalité est bien observée dans le Département
de la Kabbia. Nous avons également constaté cet état de
fait pendant la période de virement. Certains enseignants une fois
perçu ne se rendent plus dans leur poste de travail. Cette
manière de se comporter a poussé l'un des inspecteurs
pédagogiques à suspendre le salaire de deux directeurs pour une
durée de trois mois. Cette sanction intervient non seulement dans le but
de réguler les absences à ces deux directeurs mais aussi une
manière de dire à tous que les absences au lieu de travail ne
sont pas bonnes.
Or, la loi no 17/PR/2001 du 31 décembre
2001 à son article 20 souligne que tout fonctionnaire est tenu
d'être présent et ponctuel à son poste de travail,
d'assurer par lui-même les tâches qui lui sont confiées et
respecter toutes les obligations que lui impose l'exercice de ses fonctions.
Des nombreuses études empiriques
effectuées un peu partout par les chercheurs sur les absences dans le
monde ont abouti à une corrélation constante entre le temps
consacré aux études et les connaissances acquises par les
enfants.
Ainsi, le document note que l'absentéisme des
enseignants impacte négativement les apprentissages des
élèves, à tous les niveaux et atteint des proportions
importantes. Les administrateurs scolaires renonceraient de plus en plus
à leur fonction de contrôle et de sanction des agents qui ne se
conforment pas à la réglementation sur l'éducation et que
les textes édités en la matière sont de moins en moins
respectés.
En ce qui concerne le retard, les répondants
sont unanimes que c'est le problème le plus récurent dans
l'établissement ou à la première heure des cours 1/3
d'élèves sont en état de retard. Pour ceux-ci, les
élèves expliquent leur retard par la distance, l'occupation
domestique, le froid en période froide, et la table commune. Certains
répondants ont affirmé que le retard des élèves
serait lié au retard au lit. Pour le proviseur du lycée de Gounou
« les élèves, non seulement se promènent trop la
nuit, mais ils chantent et dansent longtemps avant de regagner tardivement le
lit ».
Ainsi, nous pouvons dire que c'est le gain de volume
horaire qui explique les meilleures performances des écoles et qui
serait à l'origine de rendement des élèves.
En effet, l'absentéisme et le manque
d'assiduité au travail des professeurs privent les enfants d'une
éducation de qualité et influent négativement leurs
aptitudes cognitives et les résultats scolaires. Dans la plupart des
pays d'Afrique sub-saharienne et certains États arabes, une grande
partie du temps alloué à l'instruction est perdue du fait de
l'absentéisme des enseignants. En conséquence, les programmes
scolaires officiels sont rarement couverts. Ce qui conduit très souvent
à l'augmentation des taux de redoublement et à l'abandon
scolaire.
Remplacer des enseignants absents peut
s'avérer être une tâche ardue pour les établissements
lorsqu'il est difficile de trouver les enseignants remplaçants
appropriés. À long terme, l'absence des enseignants peut avoir
des répercussions négatives sur l'enseignement et
l'apprentissage. Par ailleurs, elle peut être un signe d'insatisfaction
au travail ou indiquer des problèmes de gestion. Selon l'enquête
internationale sur les enseignants, l'enseignement et l'apprentissage de l'OCDE
(2008), plus d'un tiers des enseignants avaient des chefs
d'établissement qui considéraient que l'absentéisme des
enseignants nuisait à l'enseignement « dans une certaine mesure
» ou « considérablement » dans leur établissement.
En somme, la nomination des chefs à la tête des
établissments a une part de responsabilité dans le rendement
interne faible de l'école. Au regard de développement ci-dessus,
les données d'analyse permettent de confirmer l'hypothèse deux
(2) de notre recherche sur la gestion de choix au poste des chefs
d'établissement. On retient à cet effet que les responsables
nommés à la tête des établissements sont sans
expérience nécessaire pour mener à bien les
activités scolaires . Ce qui explique la mauvaise organisation des
établissements caracterisée par l'insuffisance de la
planification, le manque de suivi pédagogique, le manque de motivation
à l'initiation de travail en groupe. Ces insuffisances dans le
management des établissements traduisent l'inefficacité de
l'école marquée par l'absentéisme des élèves
et des enseignants. Ainsi, la nomination de personnel non qualifié, sans
expérience et incompétant à la tête des
établissements est donc à l'origine de rendement interne faible
des établissements secondaires dans le Département de la Kabbia.
CHAPITRE V : LA
GESTION DE RECRUTEMENT ET PROMOTION DES ÉLÈVES EN CLASSE
SUPÉRIEURE
Dans ce chapitre, il sera question pour nous de mettre
l'accent sur le recrutement des élèves par les chefs
d'établissements, et la promotion de ceux-ci en classe
supérieure.
L'accès à l'enseignement secondaire est
réglementé par des textes et contrôlé par un examen
ou concours d'entrée en sixième.
L'article 1 de l'arrête no 96/MENJCS/83 du 22
juin 1983 portant modification et élargissement de l'arrête
no 070 /CSM/ENCJS relatif à l'organisation des conseils
de classes et d'orientation, souligne que le recrutement des
élèves en classe de sixième dans les établissements
scolaires publics et privés se fait par concours organisé par le
Ministère de l'Éducation Nationale, de la Culture, de la Jeunesse
et de Sport.
L'article 2 affirme que les candidats doivent être
âgés de 10 ans au minimum et de 15 ans au maximum au 31
décembre de l'année du concours.
L'article 3 nous fait comprendre que les candidats doivent
avoir accompli au moins une année de cours moyen deuxième
année.
Quant à l'article 4, aucun candidat ne sera admis
à se présenter plus de deux fois au concours d'entrée en
sixième.
Au Titre III du passage en classe supérieure en article
10 stipule que tout élève ayant une moyenne annuelle égale
ou supérieure à 10 sur 20 est admis dans la classe
supérieure.
À l'article 11, il appartient au conseil de
classe et d'orientation de chaque établissement de faire des
propositions d'admission en classe supérieure pour tout
élève qui, n'ayant pas la moyenne requise mais faisant preuve
d'une bonne conduite et d'une bonne assiduité d'une part et d'autre part
bénéficie des circonstances atténuantes justifiant
l'insuffisance de cette moyenne : maladie en cours d'année ou au
moment des contrôles continus, difficultés matérielles ou
événements familiaux , à condition que cette moyenne
insuffisante soit la plus proche possible de la moyenne exigée. Selon
l'article 17, l'admission en seconde est soumise à deux conditions qui
doivent toutes être remplies, à savoir :
Etre titulaire du BEPC ;
Avoir une moyenne annuelle supérieure ou égale
à 10 sur 20.
Quant à l'article 18, tout élève de la
classe de sixième jusqu'en classe de la 1ère ayant une moyenne
annuelle inférieure à 8 sur 20 est jugé inapte aux
études secondaires et exclu définitivement de tous les
établissements secondaires du Tchad. A l'article 19, tous les
élèves de la classe de terminale ayant une moyenne annuelle
inférieure à 7 sur 20 sont exclus définitivement de tous
les établissements secondaires du Tchad. Les élèves
reçus au BEPC et ayant obtenu une moyenne annuelle égale ou
supérieure à 10 sur 20 sont accueillis dans les lycées qui
les préparent en trois ans au diplôme de baccalauréat de
l'enseignement secondaire. Contrairement à cela, les
élèves sont recrutés selon des critères qui ne
respectent le texte.
I. LE RECRUTEMENT SANS
CONDITION DES ÉLÈVES
La fréquentation des élèves est de nos
jours marquée par un nomadisme dans les établissements.
Ceux-ci, après avoir connu l'échec, n'acceptent reprendre
dans leur établissement malgré qu'on leur refuse le changement
d'établissement. Ils sont acceptés dans d'autres
établissements bien qu'ils ne remplissent pas les conditions
nécessaires à leur inscription. Dans nos entretiens, nous avons
recueilli les avis de nos répondants à ce sujet. Il ressort que
100% des nos répondants reconnaissent le recrutement sans condition des
élèves dans les établissements comme la cause du rendement
interne faible de l'école. Ils avancent tant des raisons qui expliquent
ce recrutement comme l'installation anarchique des échoués en
classe supérieure, le recrutement pour constituer l'effectif
d'établissement, le recrutement parallèle, le recrutement
imposé et le transfert des exclus et redoublants.
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