I.2. Le professionnalisme
des chefs d'établissements
Tout métier exige une
formation professionnelle préalable. Il s'agit en effet pour celui qui
se spécialise dans une activité de connaitre les règles de
travail qui lui permettront d'obtenir les meilleurs résultats,
d'assimiler la technique mise au point par ceux qui l'ont
précédé. De manière générale, le
professionnalisme d'un chef d'établissement réfère
à sa conscience professionnelle qui se traduit par certaines pratiques
comme la morale professionnelle, la régularité et le zèle
au travail. Selon Pelletier (2006b), une profession se caractérise entre
autres par la présence d'activités complexes et de
compétences élevées, et par l'octroi d'un statut distinct
associé à des procédures de sélection pour
l'entrée en fonction.
Au Tchad, les instituts assurant la formation
professionnelle des enseignants sont : les ENI implantées dans les
vingt-trois régions qui assurent une formation initiale des enseignants
du primaire dont la finalité est de faire acquérir aux futurs
enseignants le savoir, le savoir-faire et le savoir-être à la
formation intellectuelle et morale des enfants.
Au niveau secondaire, la formation initiale des
enseignants est assurée dans les Écoles Normales
Supérieures d'Abéché, de Bongor, de N'Djamena et de Sarh.
Ces instituts assuraient au départ la formation initiale des professeurs
des collèges mais de nos jours préparent pendant trois ans, les
étudiants qui sortent avec une licence professionnelle. Quant à
l'École Normale Supérieure de N'Djamena, elle forme des
professeurs licenciés (bac+3ans) et les professeurs certifiés
(bac+4ans). Les lauréats sont destinés à l'enseignement
secondaire et technique.
Les conseillers pédagogiques, les
Inspecteurs pédagogiques de l'enseignement primaire et les professeurs
des écoles normales sont formés également dans cet
institut. L'institut de Bongor était spécialisé dans la
formation des enseignants dans des disciplines beaucoup plus scientifiques mais
de nos jours tend à être généralisé. Cette
formation aboutissait à l'obtention de CFEN pour les instituteurs et le
certificat d'aptitude professionnelle de l'enseignement au collège
général (CAP-CEG) deux ans de formation pour les titulaires de
baccalauréat) et certificat d'aptitude professionnelle de l'enseignement
dans les lycées (CAPEL).
Ce sont donc ceux-ci qui deviennent le plus
souvent des directeurs des collèges et des proviseurs des
lycées. Si le professionnalisme réfère à la
qualification, à la formation et à la conscience professionnelle,
il est à noter que dans le Département de la Kabbia, une grande
partie des chefs d'établissement sont sans formation professionnelle. Au
cours de nos entretiens, 46 soit 90,11% des répondants nous ont
confirmé que certains chefs d'établissement sont sans formation
professionnelle. Ces informations recueillies ont été reparties
selon les établissements dont le pourcentage sont les suivants : 25
soit 49,01% aux collèges publics, 9 soit 17,64% dans les collèges
communautaires, 4 soit 7,84% aux collèges privés et 8 soit 15,68
dans les lycées. Nos répondants expliquent le professionnalisme
des chefs d'établissement par le manque de formation professionnelle.
D'après nos enquêtés, le manque de
professionnalisme est considéré comme l'une de causes du
rendement interne faible des établissements dans la Kabbia. Les
répondants citent dans leurs informations les différents
établissements gérés par les bacheliers. Comme exemples,
le collège public de Kakou 4 est dirigé par un bachelier, le
collège public de Hori Zoundounla dirigé par un bachelier, le
collège public de Halmi dirigé par un instituteur bachelier, le
lycée public de Léo Mbassa dirigé par un contractuel et
tous les collèges communautaires et privés. Manqués d'une
formation professionnelle, ceux-ci apprennent leur métier dans le tas et
leur formation continue n'est pas assurée. Comme exemple un directeur
bachelier d'un collège n'ayant aucune notion de rédiger le
rapport est obligé de descendre au Département pour se renseigner
de la manière dont on rédige le rapport.
Aussi, les non formés tout comme ceux qui ont
suivi la formation sont sans morale professionnelle et négligent les
règles qui régissent le comportement des agents au sein de
l'établissement, donc se permettent n'importe quel acte et agissent
selon leur fantaisie. Ce manque de morale professionnelle occasionne la
mésentente au sein de l'établissement. Ce qui a engendré
en 2012 une bagarre entre un proviseur et son surveillant sur un propos mal
tenu à l'égard de son collaborateur. Débordé par la
colère, le surveillant ne tarda de bondir sur son Proviseur. Pourtant,
ces deux personnes sont appelées à travailler dans un même
établissement et témoigner leur professionnalisme à
l'environnement qui les entoure. Ce constat montre que certains chefs
d'établissements collaborent moins avec leur personnel.
Manqués toujours de conscience
professionnelle, ceux-ci ne font plus preuve de ponctualité et de
régularité dans leurs lieux de service. Pourtant, la
régularité est la disposition fondamentale de la vie morale et sa
condition première. Le chef d'établissement doit s'exiger cette
régularité s'il veut aussi l'obtenir de ses élèves
et enseignants. En outre, il ne peut y avoir un travail bien fait que du
travail strictement réglé. La régularité exige que
le chef d'établissement vienne chaque jour au bureau et toujours
à l'heure sinon avant l'heure et travailler régulièrement
et ne rentre pas avant l'heure sinon après les élèves.
L'idée d'une « heure africaine », fluctuante,
imprécise et aléatoire est un prétexte des paresseux et
des laxistes et doit être combattue.
Cette notion de régularité dans les
établissements de la Kabbia manque assez à certains chefs
d'établissement qui ont toujours à la tête la notion
« d'heure africaine ». Ils ne sont pas souvent ponctuels et
réguliers. À ce sujet, on note que la plupart des chefs
d'établissement de province résident dans les grands centres
situés entre 30 à 45 km, sont souvent en état de retard.
Les cas de certains collèges et lycées illustrent bien cet
état d'irrégularité. Au collège de Fegue Hapma par
exemple, nous avons constaté le retard du chef d'établissement
qui s'était présenté dans son bureau à 9 h 36 mn
alors que la rentrée des classes est fixée à 7 h 15 mn.
Or, le principe voudrait que celui-ci arrive avant les autres pour leur servir
les nécessaires.
C'est pourquoi, pendant nos entretiens, il ne nous
a pas caché de nous avouer que les chefs d'établissement viennent
aussi en retard au bureau. Dans un autre collège, une fois les
inscriptions terminées, le chef d'établissement brille par son
absence au bureau. On dirait comme si le rôle des chefs
d'établissement se résume au niveau des inscriptions et
réinscriptions. Même son de cloche pour le directeur de
collège de Belle Vangza qui réside à 45 km de son poste de
travail et aussi du proviseur du Lycée de Koumou. Cette situation
décourage non seulement la population mais aussi les autorités
scolaires qui ne cessent d'écrire contre ces derniers. C'est ainsi que
la population de Bellé Vangza a écrit à la
hiérarchie demandant le départ du directeur du collège
qui selon eux réside dans le chef-lieu de Département à 45
km. Si la conscience Professionnelle met l'accent sur la ponctualité,
celle-ci n'exclut pas la régularité.
La ponctualité et la régularité
permettent au chef d'établissement de bien contrôler les
activités au sein de son établissement. La
régularité d'un chef d'établissement motive ses personnels
au travail. La conscience professionnelle exige au chef d'établissement,
s'il veut avoir un bon résultat, d'être ponctuel et c'est cette
ponctualité qui lui permettra de contrôler les autres afin de les
reprocher au sujet de ce qui ne marche pas.
Tableau
no19 : Nature de diplôme des chefs d'établissement
dans la Kabbia
Diplôme
|
Hommes
|
Femmes
|
Total
|
Pourcentage
|
Bac
|
04
|
00
|
04
|
7,84%
|
CFEN
|
11
|
00
|
11
|
21,56%
|
CAP -CEG
|
18
|
01
|
19
|
37,25%
|
Licence
|
12
|
00
|
12
|
23,52%
|
Maitrise
|
05
|
00
|
05
|
9,80%
|
Total
|
50
|
01
|
51
|
100
|
Source de tableau: Données des
enquêtes
Dans ce tableau on retient que les chefs
d'établissement d'après leur formation initiale n'ont pas de
formation spéciale dans le domaine de la gestion des
établissements scolaires. On note parmi ceux-ci un pourcentage important
7,84% des directeurs bacheliers qui n'ont aucune formation professionnelle ou
académique, 21,56% de ceux qui ont reçu une formation
destinée à l'enseignement primaire se retrouvent à la
tête des collèges.
Or, les établissements secondaires ont besoin
de personnel qualifié et expérimenté. La qualité et
la formation du chef d'établissement sont reconnues par bon nombre des
chercheurs. Elles mettent l'accent sur ses tâches administratives, sa
gestion des ressources humaines, sa capacité d'écoute et ses
compétences d'animation d'équipes. Pour ce qui est de
l'expérience professionnelle des chefs d'établissement, les
résultats des études tendent à montrer que plus
l'expérience est longue, plus élevés sont les niveaux de
performance des élèves (Mingat & Jarousse, 1989). Il est
à noter que l'expérience interagit également avec la
formation académique, que celle-ci soit scolaire ou autre. En fait,
l'ambivalence de la relation entre l'expérience professionnelle de
l'enseignant et le rendement scolaire s'explique par le fait que
l'expérience professionnelle interagit, d'une part, avec l'âge et
d'autre part avec le niveau de qualification d'instruction.
Toutefois, l'expérience professionnelle qui
offre une mesure approchée de l'âge du chef d'établissement
est positivement associée à la progression des
élèves. L'analyse approfondie de cette question a conduit
à identifier des catégories d'ancienneté où l'on
constate le plus d'effet. Selon Lemrabott (2003), la tranche de plus de 11
années d'expérience est la plus favorable aux progressions des
enfants comparativement aux catégories des moins de six années
d'expérience. Bressoux, et al (2006) ont monté que
l'expérience semble également avoir un impact positif sur les
scores des élèves. Pour autant il ne s'agit pas de
considérer la bonne qualité du climat scolaire comme un processus
autocratique, ni l'autonomie des établissements comme un caporalisme. La
recherche suggère au contraire que la condition d'un climat scolaire
agréable et efficace réside dans la gouvernance
démocratique des établissements. Cela est vrai tant au niveau des
adultes que dans les instances de paroles des élèves.
En bref, il est à noter que la promotion au
poste de responsabilité reste un problème délicat dans la
mesure où la formation et le mérite de l'individu ne sont pas
pris en considération. Ce qui fait que certains collèges
officiels sont dirigés par des bacheliers, des instituteurs et des
stagiaires Ce qui nous amène à dire que la nomination des chefs
d'établissement ne prend pas en compte l'ancienneté des agents
nommés.
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