II.2. Les obstacles
liés aux activités agricoles
L'agriculture tchadienne, en dépit de ses grandes
dérives historiques, continue de jouer un rôle important dans
l'économie nationale. Selon MA (2005), elle contribue pour 21% au PIB et
emploie plus de 2,3 millions de personnes soit 80% de la population active du
pays dont plus de la moitié est composée de femmes. Ce qui montre
que l'agriculture contribue de façon substantielle à la
création des richesses et des emplois. C'est d'ailleurs à juste
titre que le Gouvernement fait de ce secteur le pilier de la croissance et de
la réduction de la pauvreté dans le pays.
Avec une pluviométrie moyenne annuelle comprise entre
600 et 1000 mm, le Département de la Kabbia connaît une alternance
à deux saisons: une saison pluvieuse de mai à octobre et une
saison sèche de novembre à avril.
L'agriculture est la première activité qui
permet à l'Homme Moussey de subvenir à ses besoins alimentaires,
économiques, et sociaux. Elle offre une gamme très
diversifiée des produits vivriers. On y trouve des
céréales, des tubercules, des féculents, des
oléagineux, des condiments. Cette agriculture dans la Kabbia est
associée à l'élevage bien qu'elle reste tributaire des
méthodes traditionnelles de production et de la pluviométrie. Les
grands travaux s'étalent entre mai et octobre livrant ainsi les paysans
à plusieurs mois d'inactivité en saison sèche. Cependant
dans la zone inondable où existe la culture à la décrue,
les activités peuvent se prolonger jusqu'en janvier. Les périodes
des activités allant d'octobre en janvier, caractérisées
par les récoltes ont un impact sur la rentrée scolaire. Ces
activités qui occupent les paysans en général et les
élèves en particulier s'articulent au tour de la récolte
des arachides, des sésames et la récolte du riz. D'après
nos entretiens, et conformément au tableau no8, nos
répondants sont unanimes que les activités agricoles sont la
cause de rentrée tardive dans les établissements. Ces
données reparties selon le statut des établissements nous font
savoir que 27 soit 52, 94% reconnaissent cet aspect dans les collèges
publics, 9 soit 17,64% dans les collèges communautaires, 4 soit 7,84%
dans les collèges privés et 11 soit 21,56% dans les
lycées. Ils expliquent cela par le fait que les enfants sont maintenus
par les parents dans le besoin de récolte.
Considérées au départ comme des cultures
de consommation, l'arachide, les sésames et le riz sont devenus des
cultures commerciales. À cet effet, l'on observe que dans la Kabbia, un
ménage le mieux placé peut labourer les arachides sur une grande
superficie (quatre à dix hectares). Mis à part le champ familial,
chaque femme et chaque jeune garçon a au moins un champ d'arachide.
Semées depuis le mois de mai ou juin, les arachides ont trois mois de
durée et demandent à être récoltées entre le
mois de septembre ou octobre qui est le mois décisif pour la
rentrée des classes.
A ce sujet, notre répondant du collège de Fegue
Hapma déclare en ces termes : « Ce qui empêche
les enfants d'aller à l'école est qu'ils constituent une main
d'oeuvre pour les parents et certains élèves responsables
s'occupent d'abord de leur récolte avant d'aller à l'école
». Selon l'enquêté, les parents ont une main mise sur les
enfants et les empêchent d'aller à l'école pour des raisons
de récolte. Cela prouve à suffisance notre constat fait dans ce
Département. Pendant la récolte, les hommes, les femmes et les
enfants sont tous au champ et personne n'y songe à une rentrée
scolaire. Et comme l'agriculture est tributaire de la pluie, chacun se
précipite à récolter à temps le sien avant la
dernière pluie pour éviter certaines désagréments.
Cette période est marquée par l'insuffisance de la main d'oeuvre
pour la simple raison que c'est une période d'abondance et personne ne
pense à aller travailler chez l'autre. Ce qui fait que les parents
maintiennent leurs enfants pour les aider à récolter. Aussi,
c'est avec ces produits de récolte que ceux-ci mettent leurs enfants
à l'école.
Cette situation générale dans la Kabbia est
bien observée au lycée de Pont Carol où nous avons
exercé pendant un certain temps. Dans cet établissement, l'on ne
peut parler de la rentrée des classes que quand la récolte des
arachides tire à sa fin. Pendant la récolte, même si les
enfants manifestent une volonté d'aller à l'école, cela
n'est pas le désir de leurs parents qui leur refusent de payer des
fournitures scolaires et d'autres nécessités pour les mettre sur
le chemin d'école. On peut aussi constater dans cette localité
que les écoles primaires démarrent avant les lycées et les
collèges pour la simple raison que les lycéens et les
collégiens sont des jeunes qui peuvent mieux avancer les travaux
champêtres. Bien que certains lycéens et collégiens
traversent la cour de l'école avant d'aller au champ, ils ne sont
gênés de rien puisqu'ils ont déjà pris goût
d'une rentrée tardive. Ces élèves qui sont les derniers
à aller en salle sont les premiers à revendiquer une admission en
classe supérieure malgré la faible acquisition de la
connaissance.
Si dans la zone exondée du Département de la
Kabbia, la récolte d'arachides et des sésames est un handicap
pour la rentrée scolaire, dans la plaine de ce Département, la
récolte du riz est un autre handicap. Interrogé à ce
sujet, le directeur du collège de Kourey Valangzou affirme ce qui
suit : « La récolte du riz trop pénible par
rapport à celui des arachides ne permet pas aux parents de
libérer les élèves considérés selon eux
comme une main d'oeuvre ». Ce travail en réalité
commence tôt le matin de 6 heures et finit tard dans la soirée
à 17 heures. Chacun cherche par tous les moyens à récolter
son champ dans une bonne période. Or, le riz est labouré sur une
grande superficie, sa récolte s'étend d'octobre à janvier
soit trois mois d'activités intenses. Cette période coïncide
non seulement avec la rentrée scolaire mais s'étend
jusqu'à la fin du premier trimestre. Pendant la récolte du riz en
général et la moisson en particulier, les parents ont la main
mise sur les enfants qu'ils considèrent comme ceux qui peuvent avancer
le travail.
Pour cette raison, les parents n'entendent plus parler
d'école, puisque, eux seuls ne peuvent pas et la main d'oeuvre n'est pas
facile durant ce moment. Ces cas sont plus rencontrés dans les cantons
Léo et Djarao considérés comme les zones rizicoles du
Département de la Kabbia. Dans ces cantons, à cause de la
récolte de cette denrée, les cours démarrent souvent avec
un grand retard de un à deux mois. Pour preuve, pendant la
rentrée académique 2013-2014, les cours ont commencé le 24
novembre au lycée de Léo Mbassa, chef-lieu de canton Léo
soit un mois et vingt-quatre jours après la reprise. Au collège
de Djarao Boro le 28 novembre soit un mois et 28 jours après le
calendrier national. Cette situation de retard à la rentrée a
provoqué la colère d'un inspecteur pédagogique qui laissa
un communiqué diffusé sur la Radio Rurale « Gaya
Tcholwa », menaçant de fermeture les établissements
dont les parents continuent à maintenir les enfants aux champs.
Et comme, c'est avec le produit de l'agriculture que les
paysans arrivent à subvenir leurs besoins, ceux-ci conçoivent mal
la décision d'une reprise de classe pendant les récoltes de
leurs produit agricoles. Pour certains parents qui comprennent, le début
de la rentrée de classe ou l'inscription de l'enfant n'est qu'une
manière de conserver la place à ce dernier. C'est pourquoi on
assiste souvent à la timidité des inscriptions et
réinscriptions dans les établissements. Bien que certains soient
inscrits, ils sont toujours maintenus pour le besoin de récoltes.
L'élève qui tente d'aller à l'école sans l'avis de
ses parents, est traité de tous les maux et se verra refuser même
l'achat des fournitures et le frais d'inscriptions. Pour ceux qui ont
reçu une souplesse d'aller en classe, ils regagneront
immédiatement les champs après les cours, où ils n'ont
aucun repos ni moins encore de temps pour étudier leur leçon. Une
situation qui décourage bon nombre des élèves dans leurs
études.
Si la rentrée de classe doit respecter le calendrier
établi par le Ministère, son influence sur la vie sociale n'a pas
toujours était puissante. Selon Longhai (2009), l'école
obligatoire instaurée le 28 mars 1882 par la loi Jules Ferry a
intégré les réalités d'une France rurale qui
utilisait les enfants dans divers travaux comme les moissons, les vendages ou
le ramassage de pomme de terre. Cette réalité se vit aujourd'hui
dans le Département de la Kabbia en général et les
établissements secondaires en particulier.
Ainsi, l'agriculture dans la Kabbia constitue pour bon nombre
des informateurs, un handicap pour le démarrage normal des classes car
les enfants perdent un grand temps deux à trois mois avant de
regagner les classes pendant que la grande partie du programme de premier
semestre est déjà écoulée. Ce temps perdu dans les
champs a un impact négatif sur l'acquisition des connaissances des
élèves et leur rendement scolaire. À ces deux facteurs,
s'ajoute l'obstacle naturel dont la portée est non négligeable
sur les activités scolaires dans la Kabbia.
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