Politiques publiques et lutte contre la dépendance alimentaire dans la province du Haut-Katangapar Pascal Ilunga Ngoy Universite de Lubumbashi/ UNILU - Licence Economie de developpement 2021 |
1.8.2. Approche Economique De L'autosuffisance Alimentaire38(*)La recherche de l'autosuffisance alimentaire constituant un élément de politique agricole et économique, il est évident qu'elle influence la voie de développement choisie. Schématiquement, on peut présenter les deux voies principales comme étant celles de l'auto-centrage et de l'ouverture au marché mondial; la première visant à la satisfaction des besoins nationaux en priorité sur une base nationale, s'appuie sur une politique d'importation sélective, pouvant s'apparenter au protectionnisme offensif de List ou Carey, la seconde jouant sur les avantages comparatifs, reprend la ligne théorique de Ricardo. Les situations caricaturales de ces deux options sont l'autarcie et la « porte ouverte ». Dans l'économie ouverte sur le marché mondial, on recherche les productions qui fournissent le revenu le plus élevé avec lequel on achètera ce dont on a besoin au meilleur prix sur le marché mondial ; cette perspective est, a priori, assez séduisante quand les parties en présence ont un pouvoir de négociation comparable et une capacité d'adaptation structurelle comparable, ce qui n'est pas le cas. Il en résulte les effets bien connus d'extraversion économique et de division internationale du travail où jouent à plein dans le temps les différentiels de productivité. Souvent, les processus de concentration rentière sont accélérés dans les pays en développement, liés aux points de passage obligés du commerce extérieur. Si au contraire, on recherche à satisfaire les besoins essentiels de la population, le marché intérieur reçoit une priorité dans son organisation; les interventions publiques orientent les productions et les investissements par des politiques de prix relativement autonomes par rapport au commerce mondial. Le développement autocentré relève d'une telle démarche, généralisée à la plupart des activités socio- économiques. Mais, dans la mesure où les pays en voie de développe- ment dépendent de l'extérieur pour leurs investissements, ils peuvent ne pas avoir les moyens de leur politique et l'auto-centrage risque de rester une « économie sur le papier », avec tous les risques que cela comporte (biais bureaucratique et double secteur). Les options africaines ont été clairement exprimées dans la Déclaration de Monrovia (1979) et dans le Plan d'Action de Lagos (1980). Les chefs d'Etat ont reconnu « la nécessité de prendre d'urgence des mesures visant à réaliser l'objectif d'un développement et d'une rapide croissance économique autosuffisante et autocentrée », tout en assurant la promotion de l'intégration des économies africaines « en vue d'accroître l'auto-dépendance et favoriser un développement endogène et auto-entretenu ». Dans le domaine particulier de l'alimentation, il fallait chercher « à atteindre l'autosuffisance alimentaire, en ce qui concerne la production et les approvisionnements ». Cependant, il est entendu que cette autosuffisance collective repose sur la coopération à l'échelle du continent. Afin d'améliorer la situation alimentaire en Afrique, la condition préalable fondamentale est la démonstration d'une forte volonté politique afin d'orienter un volume beaucoup plus important de ressources vers l'agriculture, de mener à bien une réorientation essentielle des systèmes sociaux, de mettre en oeuvre des politiques qui inciteront les petits exploitants et les membres des coopératives agricoles à atteindre des niveaux plus élevés de productivité et de mettre en place des mécanismes efficaces pour la formulation des programmes requis et pour leur extension. Le développement de l'agriculture ne devrait pas néanmoins être considéré en isolement mais plutôt intégré au processus de développement économique et social mettant un accent particulier, pour ce dernier aspect, sur le problème de l'amélioration des conditions de vie dans le milieu rural. Au cours de la période 1980-1985, les objectifs devraient être d'obtenir une amélioration immédiate de la situation alimentaire et d'établir une base afin de parvenir à l'autosuffisance en ce qui concerne les céréales et les produits de l'élevage et de la pêche. Des mesures prioritaires devraient être prises afin d'obtenir une réduction substantielle des pertes de produits alimentaires, de parvenir à un degré nettement plus élevé de sécurité alimentaire et d'assurer un accroisse- ment important soutenu de la production alimentaire, surtout en ce qui concerne les céréales tropicales. Une attention particulière devrait être accordée à la diversification de la production agricole. L'adoption de mesures urgentes est recommandée dans chacun de ces domaines. Cette prise de position très nette pour le développement endogène et l'autosuffisance alimentaire ne pouvait pas être ignorée des tenants du libéralisme. Ne pouvant heurter de front des déclarations d'une aussi grande force politique, les libéralistes ont donné une interprétation nouvelle de la notion d'autosuffisance alimentaire pour « dévier» l'impact qu'elle pourrait avoir sur le dogme du libre-échange. Ainsi, l'autosuffisance alimentaire se rechercherait à travers la neutralité de la balance commerciale agro-alimentaire : « Les devises gagnées en vendant des produits agro-alimentaires doivent servir à l'achat de produits alimentaires sur le marché mondial ». Il est clair que cette argumentation est dénuée de tout fondement économique et financier. En effet, la part des exportations agro-alimentaires peut dépasser 90 % dans certains pays qui sont déjà autosuffisants, alors que d'autres pays très dépendants n'ont pas d'exportations agricoles substantielles (pays minéraliers et pétroliers). Ensuite, la balance agro-alimentaire n'est qu'une partie de la balance commerciale, elle-même partie de la balance des paiements et les moyens de recettes et de paiements (devises) sont parfaitement fongibles. Enfin, chaque secteur ne poursuit pas une politique de commerce extérieur autonome. De même que l'affirmation qu'une croissance forte, ouverte sur le monde, soit garante de la satisfaction des besoins essentiels de la population est largement abusive (car elle n'engage en rien sur les conditions de la distribution des fruits de la croissance, qui ne sont même pas obligés de rester dans le pays), de même la théorie de la neutralité de la balance agro-alimentaire ne constitue qu'un rhabillage opportun du dogme libre-échangiste. De nombreux agronomes ou économistes ont rendu les cultures de rente (ou d'exportation) responsables du déficit alimentaire; ils ont eu une attitude radicale en recommandant leur abandon et leur substitution par des cultures vivrières, afin de mobiliser tous les facteurs de production disponibles pour nourrir la population. Cette attitude est excessive et l'on doit s'efforcer de poser le plus objectivement possible les termes du débat sur les relations entre cultures vivrières et cultures de rente. On appelle culture de rente les cultures autrefois vendues dans le cadre de la « traite» ; il s'agit donc de cultures commerciales dont le débouché était autrefois l'exportation vers la métropole. Actuellement, les conditions ont changé ; avec l'urbanisation et le développement des secteurs secondaire et tertiaire, le marché intérieur lui-même a pris une telle extension que les cultures commerciales peuvent trouver aussi un débouché intérieur et que des cultures vivrières sont devenues des cultures de rapport, produites pour la vente, se distinguant du simple surplus de l'autosubsistance. Souvent, de la part de la production vivrière commercialisée dépasse 25 % de la production: on comprend alors que des producteurs cherchent à accroître leur production vivrière pour le marché intérieur. Il est possible que les cultures vivrières et les cultures de rente se concurrencent au niveau de l'utilisation des facteurs de production. Le degré de concurrence varie avec les facteurs. Ainsi, pour la terre, la concurrence est faible : les surfaces en cultures de rente destinées à l'exportation sont souvent inférieures à 10 % de la surface cultivée et elles ont tendance à stagner ou même à régresser. Pour la force de travail, les calendriers culturaux sont rarement complémentaires et la concurrence est directe. En ce qui concerne les intrants industriels, ainsi que l'encadrement, il est clair que les cultures commerciales bénéficient de la plus grande part, ceci étant rendu possible par le fait que les cultures de rente rapportent un revenu monétaire, l'agriculteur peut emprunter pour payer ses intrants qui lui sont délivrés souvent par le personnel d'encadrement, la récupération de l'emprunt se faisant au moment de la vente de la récolte. Cet antagonisme exagéré entre cultures de rente et cultures vivrières pourrait être considérablement réduit si l'on envisageait une intensification du système de culture dans son ensemble, la vente des cultures vivrières pouvant assurer aussi un revenu assez régulier. En intensifiant les productions vivrières, on peut envisager des exportations; est-ce à dire que l'on aura dépassé le niveau de l'autosuffisance alimentaire? La réponse doit être mesurée car nous avons vu dans l'histoire de nombreux cas de pays exportant des vivriers alors qu'une large partie de la population restait mal nourrie. Le déficit nutritionnel d'une population n'est pas contrebalancé par un solde de l'import-export agro-alimentaire. * 38 Michel L : l'autosuffisance en question ; Harmattan Paris 1985 |
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