De l'avoir pour la valorisation de l'être. essai de compréhension de l'être et l'avoir chez Gabriel Marcelpar Ange TEZANGI AZAKALA Université Saint-Augustin de Kinshasa - Grade en philosophie 2020 |
III. 1. INTERSUBJECTIVITE HORIZONTALEL'intersubjectivité horizontale est celle que nous appelons et considérons chez Gabriel Marcel comme l'intersubjectivité qui noue la relation de l'`'être-avec''. C'est un rapport qui est essentiellement un rapport d'être à être, un rapport de présence mutuelle en `'toi'' ou en `'nous''. C'est-à-dire de l'être-avec-autrui comme le fondement de l'existe authentique. L'autre, c'est celui par qui nous communion et vivons ensemble de par notre existence. C'est une intersubjectivité « katabaino », il s'agit de l'intersubjectivité terrestre. En effet, l'ouverture à l'autre, la communion avec l'autre ou encore le problème de l'autre dans sa considération métaphysique diffèrent de celle de la relation objective que Marcel appelle « une relation d'absence ». Elle est une des grandes conquêtes de la philosophie existentielle. La philosophie dialogique clame que l'homme en tant qu'être humain n'est pas autosuffisant, il ne s'accomplit que dans la relation avec autrui, car au commencement était la relation82(*). La relation est donc primordiale dans la nature de l'homme. Dans ce sens, le problème de l'autre se présente dans la dynamique de G. Marcel comme une implication de la question « qui suis-je ? ». Le sujet qui pose la question se rend compte qu'il n'a pas la qualité nécessaire de la résoudre. Il y a en lui comme un certain vide existentiel. L'autre surgit alors comme suppléant cette carence constatée. L'autre est comme le point de repère pour vérifier la validité de ma réponse sur moi-même d'abord et sur l'être ensuite. Dans ce sens, Gabriel Marcel pense que cette démarche ne doit pas être dans la ligne du « je pense donc je suis » cartésien ou le « ich denke » kantien, mais dans celle « les autres existent donc je suis »83(*). Ceci dit l'autre est celui qui me révèle mon existence, celui par qui je me vois comme un être existant, le fondement de mon existence. L'homme ne tombe pas du ciel dans sa venue au monde, mais il passe par la médiation des personnes pour devenir personne et cette dimension de la personnalité se réalise dans la société avec les autres. L'existence authentique est l'existence-en-commun pour Marcel; c'est le toi qui restitue à la personne son véritable être ; ce qui le rend lui-même. L'homme se définit essentiellement par son ouverture, sa disponibilité à autrui. De cette manière, la communion ou la relation avec autrui devient résultante d'un effort incessant et héroïque de chacun pour élucider ses propos ténébreux intérieurs et pour se rendre ainsi perméable, ouvert, disponible à autrui. L'originalité de Marcel consiste ici dans le fait d'avoir mis l'accent sur « l'affectivité, mieux sur l'amour, au point que l'intersubjectivité se confonde ou s'identifie avec l'amour »84(*). « L'être-avec n'est pas chez lui, une simple appartenance ou coappartenance au monde, une existence en commun dans une entreprise ou une action, etc. Tous ces «lieux« sont la base matérielle de la rencontre véritable qui est `réciprocité des consciences', communauté des coeurs, communion spirituelle. L'intersubjectivité est pour lui, l'ouverture à autrui, détente, le décentrement de soi et accueil de l'autre ; elle exclut toute tension »85(*), elle est `intercourse', ``nexus'', ``unité sentie'', participation basée sur un consensus qui par définition ne peut être que senti et qu'inintellectualisable »86(*). Elle suppose un domaine où les mots toi-même, moi-même, cessent de désireux noyaux distinctions l'un de l'autre. Elle est une communion ineffable, un lieu intime tel que celui qui existe entre moi et mon corps. Elle n'est pas seulement un échange réciproque entre des personnalités distinctes ; elle affecte aussi le sujet lui-même, lequel est foncièrement intersubjectif87(*). De ce qui précède, l'intersubjectivité horizontale n'est possible que dans le domaine du `'toi'', c'est-à-dire, de l'autre vu à la deuxième personne, à qui je peux m'adresser, lancer un appel, une invocation, avec qui je peux me réaliser pleinement comme humain. Sans l'autre l'existence n'est rien. L'existence authentique ne peut qu'être vraie et juste en vivant avec les autres qui, au fond donnent du sens à notre existence. C'est dans cette perspective que Martin BUBER dans sa philosophie du `'Je-Tu'', met en lumière le caractère concret et sensible de l'altérité. Celle-ci nous est intimement intime. La constitution de notre humanité est ouverture à l'autre, puisque le `'Tu'' nous es inné88(*). Les hommes, en naissant, ont tous toujours et déjà un `'Tu'' inné qui ne se réalise pleinement que dans la relation. Dans la relation `'Je-Tu'', chacun a son rôle que l'un ne peut inclure dans l'autre. Le `'Je'' est responsable au-devant du `'Tu'' comme également le `'Tu'' ne peut ignorer la présence du `'Je''. Il n'y a pas de relation que là où il y a la présence de deux termes. Dans cette perspective, « toute relation est réciprocité »89(*). Cela montre également que l'existence authentique ne se réalise qu'en relation avec les autres. Dans « Mit-sein », Martin Heidegger nous démontre que le `'Je'' jouant le rôle du Dasein comme (l'être jeté dans le monde)être-dans-le-monde n'a jamais été seul, mais avec les autres étants. Il affirme à ce propos qu'exister, c'est exister avec les autres et que « le monde auquel je suis a toujours été un monde que je partage avec les autres, parce que l'être-au-monde est un avec. Le monde où réside le Dasein est un monde partagé avec le prochain90(*). Les autres nous accompagnent, ils sont ceux par lesquels je suis. Il s'agit principalement d'un rapport selon lequel, le sujet se reconnaît en tant que tel, que par rapport à autrui, et c'est dans cette reconnaissance d'autrui que naît l'existence. L'homme ne peut être, et être conscient que s'il se trouve en présence d'autres sujets conscients qui éveillent sa conscience. De ce fait, la réflexion de Marcel sur le `'Je-Tu'' n'aboutit qu'à la communion de `'nous''. Il ne voit aucun autre chemin que le moyen dynamique de l'expérience où nous nous rencontrons consubstantiellement. C'est dans celle-ci qu'il y a ou devrait avoir une mutuelle réceptivité, une communion sans anfractuosité, une véritable co-présence. Pour lui, l'être serait le `'nous'' dont participent `'je'' et `'Tu'' qui ne sont qu'au titre des termes de cette relation. C'est dans une même vision qu'apparaissent l'être-relation, ma personnalité et celle d'autrui, termes de cette relation91(*). Pour DenisBOSOMI, « le `'Je-Tu'' confère à la personne sa pleine valeur. La personne ne s'accomplit totalement que dans cette référence à l'autre. »92(*). C'est dans cette logique que nous comprenons la pensée de Tshiamalenga Ntumba. Selon cette conception, seule une communion « bisoiste » (nous), est compatible avec l'avènement de cette société mondiale, qui garantit la paix, la fraternité, le développement et la prospérité pour tous93(*). Ce faisant, « nous sommes avec tous et avec tout, c'est-à-dire, nous sommes `'un'' avant d'être distincts en `'Je'', `'Tu'',... Cela, c'est le primat de la bisoité tant théandrique qu'anthropologico-cosmique (...). Bref, toutes les relations consacrées par l'histoire et la culture »94(*). Dans cette relation, il n'y aura pas de pouvoir de domination, de la réduction de l'être ou une stratégie en titre lucratif, mais bien plus celle de la considération de l'autre en tant que toi-même dans son fond, c'est-à-dire dans sa valeur ontologique intégrale. Elle sera également celle où l'avoir sera au service de l'être et non l'inverse. Comme on le voit, l'intersubjectivité dans ce sens ne peut qu'être conditionnée par l'invocation, par l'appel que je lance à autrui. L'amour fait partie de cet élément qui crée l'intersubjectivité car pour Marcel, l'amour me révèle à moi-même en même temps qu'il me révèle à l'autre. En quoi consiste cet amour ? * 82 M. BUBER, Je et Tu, op.cit., p. 127. * 83 G. MARCEL, Etre et Avoir, op.cit., p. 129. * 84 IDEM, Mystère de l'être, op.cit., p. 37. * 85Ibid. p. 193. * 86Ibid. p. 132. * 87 Cf.H. NGIMBI NSEKA, Tragique et intersubjectivité dans la pensée de Gabriel Marcel, op.cit., p. 7. * 88 Cf. M. BUBER, Je et Tu, op.cit., p. 119. * 89Ibid., p. 25. * 90 Cf. L-M. MORFAUX, L'homme est le monde, Paris, Armand Colin, 1977, p. 76. * 91 Cf. TROISFONTAINES R, op.cit., p. 227. * 92D. BOSOMI LIMBAYA, Les thèmes majeurs de la philosophie contemporaine. Itinéraire systématico-spéculatif, op.cit., p. 62. * 93 Cf. C. ELONGO LUKUNGA, « De l'être avec dans la philosophie de G. Marcel. Une approche ontologique de la communication » in Pensée Agissante, Vol. 2, n°4, (juillet-décembre. 1996), p. 79. * 94Ibid., p. 80. |
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