De l'avoir pour la valorisation de l'être. essai de compréhension de l'être et l'avoir chez Gabriel Marcelpar Ange TEZANGI AZAKALA Université Saint-Augustin de Kinshasa - Grade en philosophie 2020 |
III. 2. L'AMOUR : PRINCIPE FONDAMENTAL DE L'INTERSUBJECTIVITE AUTHENTIQUEL'intersubjectivité à en croire Gabriel Marcel, se fonde sur le principe d'amour. Il ne s'agit pas ici d'un amour stratégique ou par intérêt, où se trouve les personnes qui tissent leurs relations en fonction du bien matériel mais, bien plus d'un amour vrai, sincère, juste et clair extrinsèquement qu'intrinsèquement. C'est-à-dire l'amour dans sa pleine dimension métaphysico-anthropologique. Un amour qui valorise l'être et qui met en dehors toutes mauvaises considérations de l'être comme un avoir ou une chose afin de le laisser apparaître dans toute sa dimension, sa capacité et sa qualité. Dans cette optique, l'amour profit ou encore l'amour basé sur des intérêts égoïstes n'existe pas dans l'entreprise de ce fameux philosophe chrétien. C'est d'ailleurs ce type d'amour égoïste que le fondateur de l'Académie appelle autrement `'trompe-l'oeil''. Pour Platon en effet, le Vrai ne demeure pas dans les apparences ou dans le monde sensible mais bien plus dans le monde intelligible c'est-à-dire dans le fond de l'être95(*). Ainsi, l'amour ne pourra qu'être Vrai si et seulement s'il est vrai dans son essence, dans sa complétude dans l'intimité de l'homme. Gabriel Marcel dans Journal Métaphysique souligne que « dès le moment où on aime un autre être, où on est aimé par lui, une redouble solidarité se crée »96(*). Pour lui, l'amour est échange, créateur et vie. De ce fait, sans amour vrai, il n'y aurait pas d'amitié vraie et sans amitié vrai, personne ne choisirait de vivre. Ainsi considéré, l'amour n'est pas objet de la pensée, il est mystérieux par nature. C'est ce que NGIMBI NSEKA soutient cetteidée lorsqu'il affirme que Marcel est hardi et va plus loin quand il réclame l'amour comme méthode d'approche de la réalité humaine. Avec l'amour dit-il, « nous sommes d'emblée passés de l'ordre du `'lui'', de l'impersonnel qui caractérise la science, la connaissance objective, à l'ordre du `'toi'', du personnel ou de l'interpersonnel, à un objet où les catégories de l'objectif et du subjectif perdent la signification qu'elles ont en épistémologie, a un ordre où, même si ces catégories sont corrélatives l'une à l'autre, elles sont pourtant indifférentes chacune au sort de l'autre. L'objet, c'est ce qui ne tient pas compte de moi. Or pour me réaliser moi-même, pour m'accomplir, j'ai besoin d'un autre qui m'apporte la part de richesse dont, être fini, je manque forcément. Cet autre qui peut jouer ce rôle, c'est celui dont je peux attendre une réponse. C'est l'autre que moi, que j'appelle `'tu''. Car autrui dans sa plénitude de l'altérité personnelle, c'est la deuxième personne »97(*). En aimant vraiment et réellement, je deviens tout à fait différent, je suis transfiguré. L'autre aussi transfiguré par le même amour ; l'amour fait disparaître l'objet comme objet, et `'lui'' cède la place au `'toi''98(*). L'amour, vu comme vie spirituelle, est créateur : créateur du sujet, de l'aimant, mais aussi de ce sur quoi il porte, c'est-à-dire, de l'être aimé. Car l'homme est un « être-avec » : c'est en réalité à partir de l'autre ou des autres que nous pouvons comprendre et seulement à partir d'eux. Avec l'autre donc, l'homme est plus que lui-même, sans l'autre, il devient moins que lui-même. Pour Marcel, le rapport avec l'autre suppose fondamentalement une réceptivité réciproque. Recevoir c'est faire participer à une certaine plénitude. Nous sommes consubstantiellement unis les uns aux et unis à l'être99(*). Dans la mesure où cette réceptivité est posée, on peut parler de la communauté car celle-ci « n'est possible qu'à partir du moment où des êtres se reconnaissent mutuellement comme différents, comme existant ensemble dans une différence même100(*). On pourrait encore dire mieux que les hommes forment la communauté dans la mesure où ils se reçoivent mutuellement dans leurs différences même. Ainsi aimer l'autre de telle manière est sans doute bien mais, Gabriel Marcel vise encore plus loin ; il vise en effet l'intersubjectivité verticale ou fondamentale car d'après lui, la relation d'homme à homme, est une relation finie. Cette relation se prolonge au `'Toi Suprême'', le divin. Celui-ci occupe une place primordiale dans la pensée de ce philosophe français, à cause de sa forte référence à la religion et au christianisme en particulier. A travers l'autre, on arrive au Toi divin, principe et fondement de toutes choses et de toute existence. En tant que Toi Absolu, il est Un, il est Vrai, il est Bon et Beau, c'est en lui que l'homme s'accomplit fondamentalement dans son intégralité101(*). C'est dans l'intersubjectivité verticale que l'exclusivité et l'inclusivité absolues coïncident en une unité qui englobe le Tout. C'est dans cette optique de la finalité et de grandeur que le monde de l'Etre s'oppose radicalement au monde de l'Avoir, nonobstant leur corrélation ainsi que la valeur que l'Avoir occasionne à l'Etre. Ce dernier reste au sommet, son existencen'est pas nécessairement dépendant de l'avoir. Il n'y a rien de plus grand que L'Etre ;il englobe tout et dit tout. De ce fait, la méthode qui peut dévoiler l'être dont s'occupe la métaphysique constitue un véritable effort rationnel. Cette méthode se fait par questionnement progressif. Ainsi, ayant poussé jusqu'aux derniers questionnements, on parvient à affirmer l'être comme la nécessité absolue qui garantit le processus même par lequel nous menons notre réflexion. La métaphysique confesse ouvertement l'existence de l'être, en niant radicalement le néant. C'est donc la seule lumière de la raison qui, en remontant de cause en cause, vient placer Dieu au bout de la chaîne pour ne pas remonter à l'infini102(*). Ceci est purement le résultant d'une démarche strictement métaphysique. Venons-en. * 95 Cf. J.-F. THONNARD, Extraits des grands philosophes, Paris, Desclée, 1963, p. 43. * 96 G. MARCEL, Journal métaphysique, Paris, Gallimard, 1935, p. 138. * 97 H. NGIMBI NSEKA, Tragique et intersubjectivité dans la pensée de Gabriel Marcel, op.cit., p. 195. * 98 Cf. G. MARCEL, Journal métaphysique, op.cit., pp. 145-146. * 99 Cf. G. MARCEL, Essai de la philosophie concrète, op.cit., p. 16. * 100 Cf. Ibid. * 101 Cf. D. BOSOMI LIMBAYA, L'ardeur métaphysique. Manuel d'enseignement classique, op.cit., p. 61. * 102 Cf. Cf. D. BOSOMI LIMBAYA, L'ardeur métaphysique. Manuel d'enseignement classique, op.cit., p. 39. |
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