Statut du juge constitutionnel en droit positif congolaispar Roger Tshitenge Kamanga Université de Kinshasa - Licence 2019 |
2. BelgiqueAnciennement sous occupation française, la Belgique n'a pas échappé au légicentrisme de la métropole qu'elle n'a daigné bousculer que par sa « loi spéciale de réformes institutionnelles » du huit aout 1980 qui a prévu l'institution d'une Cour d'arbitrage à l'article 107 ter de la Constitution belge telle que révisée à cette date. L'on peut dire que la doctrine belge, devant le mutisme de la Constitution elle-même car en effet aucune disposition constitutionnelle n'autorise ni n'interdit explicitement aux juridictions de vérifier la constitutionnalité des lois et des décrets, est demeurée longtemps divisée. Les considérations d'opportunité politique. C'est la thèse classique du légicentrisme.Une partie de la doctrine réfute, à raison, cette argumentation et justifie la juridiction constitutionnelle. Cependant, il importe de constater que, fort longtemps, les juridictions suprêmes belges ne furent convaincues. Jusqu'en 1974, elles ont, par leur jurisprudence, refusé tout contrôle de constitutionnalité des lois.17(*) La Cour de cassation belge en son arrêt du 3 mai 1974 a confirmé sa traditionnelle position de refus de tout contrôle des lois.18(*) Le Conseil d'Etat de son côté ne semble guère fournir un seul cas de contrôle de constitutionnalité des lois même si toutefois le contrôle en ce qui est des arrêtés et des règlements se trouvent dans le champ du contrôle des cours et tribunaux qui se fondent alors sur le prescrit de l'article 159 de la Constitution belge pour refuser d'appliquer lesdits arrêtés et règlements non conformes à la Constitution. Quant au Conseil d'Etat, le recours habile à l'article 14 des lois coordonnées du 12 janvier 1973 justifie en son chef le pouvoir d'annuler lesdits textes lorsqu'ils ne sont pas conformes à la Constitution.19(*) Notons, en passant, que la section de législation du Conseil d'Etat belge exerce un contrôle préventif des lois par voie d'avis. Il s'agit, à n'en point douter, d'une compétence non juridictionnelle.La reconnaissance d'une pluralité des législateurs national, communautaire ou régional et communal, par le biais de la révision constitutionnelle a justifié logiquement la nécessité d'instituer un juge apte à trancher les nombreux conflits de compétence dont la section des conflits du Conseil d'Etat était jadis chargée mais en matière des lois et des décrets des anciens conseils culturels seulement. Quant à son statut, il sied de constater que son fonctionnement est régi actuellement par la loi du 6 janvier 1989 qui intègre les dispositions antérieures relatives à cette Cour dont la place spécifique dans le système institutionnel belge est située hors de trois pouvoirs traditionnels de l'Etat. La Cour est ainsi une juridiction spécialisée et compétente pour statuer sur la comptabilité des actes législatifs avec la Constitution et certaines lois votées en vertu de celle-ci. Mais pour formaliser, le législateur spécial est attendu sur ce terrain pour transformer cette Cour en juridiction constitutionnelle à part entière. Il s'agit du système centralisé qui est l'émanation du modèle Kelsenien. En effet, la Cour n'est compétente qu'en ce qui concerne le contrôle des lois, décrets et ordonnances qui violent les règles de répartition de compétence entre l'Etat, les communautés et régions ou qui méconnaissent les articles 10, 11 et 24 de la Constitution portant respectivement sur l'égalité devant la loi et la liberté d'enseignement. Quant à la composition, il importe de noter que la Cour est composée de douze membres dont six d'expression française et six autres d'expression néerlandaise. Les juges sont nommés à vie par le Roi sur une liste double présentée alternativement par le sénat et la chambre des représentants et adoptée à la majorité de deux tiers des membres du parlement20(*). L'origine des juges se situe au Conseil d'Etat, à la Cour de cassation, à la Cour d'arbitrage même en qualité de référendaire, ou dans l'enseignement du droit en qualité de professeur pendant au moins cinq ans. Les anciens parlementaires, ayant siégé pendant au moins cinq ans, à la chambre de représentants ou au sénat ou même aux conseils communautaires ou régionaux, peuvent être nommés à la Cour ; il se passera que finalement la Cour compte autant des magistrats professionnels que d'anciens parlementaires. La Cour comporte deux présidents élus par chacun de deux groupes linguistiques et qui assument la présidence de la Cour à tour de rôle et pour une année civile. Notons aussi que les juges sont assistés par quatorze référendaires nommés par la Cour à la suite d'un concours effectué au voeu des articles 38 à 39 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 pré-rappelée. Les candidats doivent être âgés d'au moins quarante ans. Il importe de rappeler que, quand à sa compétence ratione materiae, au départ, la Cour avait reçu compétence du législateur spécial de 193 de trancher les conflits de compétence entre l'Etat et ses collectivités constituant, sur pied de l'article 1er paragraphe premier de la loi du 28 juin 1983 déjà citée. Il lui sera reconnu la compétence depuis 1989 de connaitre des atteintes au principe d'égalité et de non-discrimination tel que porté aux articles 10 et 11 de la Constitution et à la liberté d'enseignement telle que garantie à l'article 24 de la même Constitution. Les autres droits fondamentaux ne font pas partie formellement de la censure de la Cour et de ce fait, ne sont nullement protégés par elle. Cette affirmation du doyen FAVOREU a subi un effort tempérament du fait que depuis le 7 mai 2007, la Cour constitutionnelle, nouvelle appellation de la Cour d'arbitrage, s'est vue confier la compétence de contrôler les lois, décrets et ordonnances au regard du titre II de la Constitution belge (articles huit à 32 relatifs aux droits et libertés des Belges) ainsi que des articles 170 et 172 (légalité des impôts) et 19 (protection des étrangers).21(*) Il est utile de noter que relativement à la compétence, la Cour d'arbitrage dispose de deux types d'attributions. Elle est juge de constitutionnalité des actes législatifs et aussi celui de questions préjudicielles ; dans cette occurrence, il s'exerce un contrôle abstrait lorsqu'il s'agit du contentieux d'annulation des actes législatifs et un contrôle concret dans le cas de l'examen des questions préjudicielles. Le droit belge présente ainsi la particularité que la Cour constitutionnelle est compétente tant à l'égard des règles de répartition des compétences entre l'Etat, les communautés et les régions qu'à l'endroit de droits fondamentaux garantis aux articles 10 et 11 de la Constitution c'est-à-dire le principe d'égalité et de non-discrimination des Belges. A cet égard, la Cour agit comme gardienne juridictionnelle du pacte fédéral. Une interprétation extensive a inclus les droits et libertés portés par les traités internationaux directement applicables dans l'ordre interne belge ainsi que tous les droits fondamentaux tant qu'ils sont reconnus à tous les belges. Dans cette concurrence, un délai de six mois suivant la publication de l'acte législatif querellé constitue le dies ad quem du recours en annulation. Toutefois, un nouveau délai de six mois est ouvert lorsque, statuant sur une question préjudicielle, la Cour a déclaré un acte législatif non conforme aux règles du partage des compétences entre l'Etat et ses entités composantes ou même aux articles 10, 11 et 24 de la Constitution. Les arrêts de la Cour ont l'autorité absolue de la chose jugée dès leur publication au Moniteur belge. L'annulation ainsi prononcée opère ergaomnes et ex tunc.22(*) La Cour est habilitée à limiter les effets de l'annulation dans le champ, tout comme elle peut annuler un acte législatif en entier ou en partie ; les arrêts de rejet d'annulation sont obligatoires à l'égard des juridictions avec le même effet ergaomnes. Il est de droit que la Cour belge tranche aussi les questions préjudicielles qui lui sont posées par les parties ou d'office par les autres juridictions devant lesquelles elles ont été posées. Le système centralisé belge favorise d'ailleurs le développement des questions préjudicielles qui sont par définition des négations de compétence des juridictions non constitutionnelles. Ainsi donc, tous les organes juridictionnels sont tenus de poser la question préjudicielle à la Cour. Au demeurant, les arrêts rendus sur renvoi de question préjudicielle n'ont que l'autorité relative de la chose jugée même si ils s'imposent à la juridiction de renvoi et tout juge qui serait appelé à statuer sur la même question ou sur un litige analogue. Francis delpérée n'a pas hésité, à raison, d'y voir une troisième catégorie d'autorité de la chose jugée qu'il a qualifiée d'autorité relative renforcée. L'on doit à la vérité d'observer que le système de filtrage prévu par la loi spéciale 1989 est de nature à rendre l'accès au juge constitutionnel belge assez difficile pour tout particulier. Dans cette perspective, en effet, tout recours ou toute question préjudicielle envoyée devant la Cour est d'abord examiné par une chambre restreint composée du Président et de deux rapporteurs. En analysant les statistiques aujourd'hui vieillottes de Louis FAVOREU, nous ne pouvons que conclure avec lui en opinant que « le juge constitutionnel belge joue désormais un rôle essentiel dans le système politique et juridique belge ». * 17 GANSHOF VAN DER MEERSCH, Conclusions à Cass. Belge, 27 mai 1971, Pasicrisie, 1971, I, p.886 et suivantes. * 18 R. ERGEC, op.cit, p.224, n°526. * 19 R. ERGEC, op. cit, p.224, n°526. * 20 Loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage, l'article 42 ; lire aussi L.FAVOREU, les coursconstitutionnelles, Paris, PUF, 1996, pp.109-110. * 21 FAVOREU, L., Les cours constitutionnelles, op.cit, pp.110-111. Lire aussi avec intérêt FROMONT, la justice constitutionnelle dans le monde, Paris, Dalloz, 1996, pp.54, 55, 69 et 71. * 22 L.P. SUETENS et R. LEYSEN, « Les questions préjudicielles : cause de l'insécurité juridique ? » in La sécurité juridique, Liège, édition du Jeune Barreau, 1993, p.52 cités par R.ERGEC, op.cit, p.233, note 212. |
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