CONCLUSION
Face au déclin de l'aide publique au
développement et de la promotion de l'investissement privé
international comme principal facteur de financement des pays en voie de
développement, de plus en plus d'Etats cherchent à s'adapter
à la globalisation financière. Ces Etats ont pris conscience
qu'un refus ou une méfiance excessive à l'égard de la
justice privée, pénaliserait leurs entreprises. Leurs
partenaires, leurs clients et leurs concurrents leur feraient payer un statut
défavorable, qui représenterait un risque financièrement
quantifiable, d'où la nécessité de mettre en place un
environnement économique et juridique favorable aux investissements
financiers.
C'est pourquoi les Etats parties de 1'OHADA ont entendu faire
de l'arbitrage un mode privilégié de règlement des
litiges. Ce qui expliquerait les nombreux chantiers de réformes sur le
continent Africain du droit des affaires. L'arbitrage est d'abord une question
de culture. Initialement il est né de la volonté des acteurs
économiques de couvrir leurs risques commerciaux et de la
méfiance qu'ils avaient pour les systèmes judicaires de leurs
espaces économiques.
Les pays industrialisés ont mis en place des organismes
d'assurance à l'exportation et des institutions85 pour
couvrir ces risques.
Dans ce contexte, le développement de l'arbitrage sera
fonction de la capacité des Etats à regrouper leurs
infrastructures au niveau régional pour attirer les investisseurs
privés. A ce titre, l'éclosion des grands marchés
régionaux constitue un facteur d'adaptation à la mondialisation
de l'économie et de l'universalisation de l'arbitrage. En outre les
réformes économiques nécessitent d'être poursuivies,
approfondies pour l'émergence d'une classe d'entrepreneurs locaux
capables de favoriser l'investissement privé national et
international.
La multiplication des arbitres et des juges africains
professionnels constituent un gage pour le développement de l'arbitrage.
L'OHADA a favorisé
85 Fonds Européen de Développement des
institutions de Bretton Woods.
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l'émergence d'un espace juridique africain qui
mérite d'être élargi, étendu aux autres Etats du
continent et d'être perfectionné par la pratique.
Par ailleurs dans le droit des affaires, il y a deux termes
aussi importants l'un que l'autre. «Droit» et « Affaires ».
La maîtrise des problèmes posés dans les contrats
d'affaires et les montages complexes supposent impérativement une double
compétence de l'arbitre: une compétence en droit et une
compétence dans les affaires. L'une ne va pas sans l'autre.
Or, chacun du simple particulier à l'entreprise doit
obtenir une réponse adaptée aux difficultés auxquelles il
est confronté. Si l'amélioration de l'accès au droit et
à la justice et l'essor des autres modes alternatifs du règlement
des conflits sont une priorité, ils n'excluent nullement le
développement parallèle de la justice arbitrale. Les parties qui
sollicitent un arbitrage poursuivent le même objectif d'efficacité
et d'apaisement, tout en recherchant une réponse extrajudiciaire
jugée adaptée à leur problème. Cette volonté
commune fait de l'arbitrage un mode à part entière de
résolution de conflits.
La justice arbitrale doit être encouragée,
surtout qu'elle jouit aujourd'hui de l'expérience consolidée des
cercles toujours plus étendus de praticiens. Elle
bénéficie de celle des institutions d'arbitrage qui assure la
validité des sentences, elle s'appuie sur les acquis des jurisprudences
nationales.
La culture arbitrale se mondialise et s'uniformise. Mais ces
succès imposent qu'on s'interroge précisément sur l'avenir
de la justice arbitrale. En effet le spectaculaire développement de
l'arbitrage peut laisser perplexe.
D'une part, il témoigne d'une méfiance
justifiée ou non, à l'égard des juridictions
étatiques que les plaideurs estiment incapables de trancher
convenablement certains litiges. Ce phénomène est suffisamment
grave pour être pris en considération car rendre la justice
étant l'une des missions fondamentales de l'Etat, l'on ne saurait
admettre une «privatisation» même partielle de celle-ci.
Le recours quasi systématique à une justice
privée révèle le mauvais fonctionnement du service public
de la justice, comme le développement du
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secteur privé dans les hôpitaux témoigne
la médiocrité des soins qui sont dispensés aux malades du
secteur public. Une utilisation inconsidérée de l'arbitrage,
surtout dans les litiges internes, risques d'accélérer vers une
société à deux vitesses car l'arbitrage, justice de
qualité mais justice de luxe, sera réservée aux plaideurs
fortunés alors que les litiges intéressant les citoyens moins
favorisés s'enliseront devant les juridictions d'Etat.
D'autre part, les questions de procédure prennent de
plus en plus d'importance dans les arbitrages de telle sorte que les
juridictions arbitrales s'épuisent à trancher des incidents
purement artificiels de procédures au lieu de se concentrer sur le fond
du litige. Cette évolution est d'autant plus curieuse et regrettable,
qu'au même moment les procédures devant les juridictions d'Etat
tendent à se simplifier. Si l'on n'y prend garde, le moment viendra
bientôt où l'on fera plus de procédure, au mauvais sens du
terme, devant des arbitres que devant des juges.
Enfin le développement des centres d'arbitrage, bien
qu'opportun en lui-même, a parfois des effets contestables. Il peut
recréer les mêmes pesanteurs bureaucratiques que celles qui
entravent le fonctionnement des juridictions d'Etat. Il peut compromettre
l'impartialité des arbitres à partir du moment où ceux-ci,
faisant profession de l'arbitrage, hésitent à mécontenter
un plaideur susceptible de les désigner à l'occasion d'autres
litiges.
L'arbitrage, surtout dans les relations internes, doit
demeurer un mode accessoire de règlement de certains litiges. II ne
saurait devenir l'équivalent de la justice d'Etat. En tout état
de cause, certaines interrogations méritent d'être
soulevées:
Faut-il toujours aller vers plus de règles, de
formalisme, plus de judiciarisation?
En tout état de cause, la justice arbitrale se doit de
servir à la fois la justice des hommes et le développement des
peuples86.
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86 Philippe FOUCHARD, Le rôle de
l'arbitrage commercial, AF Caire, 14.21. décembre 1996.
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