INTRODUCTION
La recomposition de l'environnement juridique mondial sous
l'impulsion des lois du marché suscite des enjeux importants
relativement à la croissance économique des nations. Pourtant, le
financement du développement économique et social des pays
africains nécessite qu'ils attirent les flux privés de capitaux,
développent l'initiative privée et qu'ils créent un climat
propice aux affaires. Or, les opérateurs économiques et autres
partenaires au développement ont toujours formulé des griefs
relatifs à l'instabilité des Etats africains et aux risques
liés aux investissements en Afrique en se fondant sur
l'insécurité juridique ou judiciaire supposée ou
avérée1.
En réalité, ces griefs relèvent surtout
de la corruption qui sévit dans le milieu judiciaire en Afrique, mais
également des difficultés à identifier les normes
juridiques et arbitrales. En effet, la plupart des Etats Africains
étaient encore régis par des règles obsolètes et
désuètes héritées de l'ère coloniale. Ainsi
l'unification du droit des affaires devrait constituer une priorité,
cette priorité était d'ailleurs largement suivie et
appuyée par les investisseurs qui se heurtaient à un droit
disparate, confus et suranné. Dès lors a germé
l'idée d'harmoniser et de rénover les législations
existantes afin de limiter les disparités dans une même zone
économique et monétaire dont les intérêts et les
cultures sont très proches2.
A l'heure de la mondialisation de l'économie, les
principaux pays du monde se regroupent pour constituer des unions
économiques et le cas échéant
monétaires3.
L'Afrique n'est pas restée en marge. Les Etats
Africains ont procédé à des regroupements
économiques tels que la CEDEAO, l'UEMOA, la CEMAC, la
1 Keba Mbaye, « L'histoire et les objectifs de
l'OHADA », Petite affiche n°205 du 16 octobre 2004, p. 5
2 Keba Mbaye, Ibid
3 Jean Paillusseau, « Le droit de l'OHADA : un
droit très important et original », JCP n°5
supplément n°44 du 28 octobre 2004, p. 1
2
SADC. L'intégration économique pour atteindre le
but visé, c'est à dire contribuer efficacement au
développement économique du continent africain en offrant aux
investisseurs étrangers et nationaux de vastes marchés
économiques et répondre aux espoirs suscités par sa mise
en place se devait d'être doublée par une intégration
juridique. Cette intégration juridique a pour objectif de trouver les
solutions juridiques les meilleures et les mettre à la disposition de
tous les pays quelles que soient leurs ressources humaines; favoriser les
échanges entre Etats; stimuler le transfert des technologies et les
connaissances et notamment les techniques modernes de gestion des entreprises;
instaurer la sécurité juridique ; restaurer la
sécurité judiciaire; encourager la délocalisation vers
l'Afrique de certaines grandes entreprises; fortifier l'unification
monétaire et la monnaie elle-même; rétablir la confiance
des chefs d'entreprises et des investisseurs; développer l'arbitrage en
Afrique; améliorer les conditions de la libre concurrence; faciliter
l'intégration économique sur le continent et renforcer
l'unité africaine4.
Il était impératif pour tous les pays
concernés, d'adopter un même droit des affaires moderne,
réellement adapté aux besoins économiques, clair, simple,
sécurisant les relations et les opérations économiques.
Cette intégration juridique poursuivie se justifie par
plusieurs raisons, notamment limiter, voire éliminer les conflits
liés aux disparités entre les législations nationales ou
encore identifier et garantir plus facilement l'application d'une même
loi5.
C'est pourquoi les Etats africains6 ont
suscité la naissance de l'Organisation pour l'Harmonisation en Afrique
du Droit des Affaires (OHADA) par la signature du traité le 17 octobre
1993 à Port Louis (ILES Maurice).
4 Keba Mbaye, article précité, pp. 5
à 6
5 Boris Martor et Sébastien Thouvenel,
L'uniformisation du droit des affaires en Afrique par l'OHADA, p.
17
6 Les Etats membres de l'OHADA sont : Benin,
Burkina Faso, Cameroun, Centrafrique, Comores, Congo, Côte d'Ivoire,
Gabon, Guinée, Mali, Togo, Tchad, Sénégal, Guinée
Bissau, Niger, Guinée Equatorial, République Démocratique
du Congo
3
L'OHADA a voulu garantir la sécurité juridique
aux agents économiques régionaux et étrangers en offrant
à un vaste espace économique un droit des affaires commun dont
l'interprétation ultime est confiée à une seule instance
juridictionnelle dotée par ailleurs du pouvoir exceptionnel
d'évoquer après cassation, le fond des affaires qui lui sont
soumises. La volonté de créer un grand marché
régional, le souhait aussi de rassurer les investisseurs
étrangers a justifié des abandons de souveraineté de la
part des Etats parties au traité OHADA7.
Ainsi plusieurs actes uniformes8 ont
été pris en application de ce traité. Parmi ceux-ci figure
l'acte uniforme sur le droit de l'arbitrage par lequel les signataires ont
entendu faire de l'arbitrage un mode normal de règlement des litiges. Le
système juridique de l'OHADA accorde une attention toute spéciale
à l'arbitrage qu'il reconnait comme un mode privilégié de
règlement des différends économiques. Pourtant l'acte
uniforme relatif à l'arbitrage n'a pas donné de définition
de l'arbitrage. Selon la doctrine9, l'arbitrage est une
procédure facultative de règlement des litiges, qui consiste
à recourir à une ou plusieurs personnes privées choisies
par les parties appelées arbitres, parfois même à recourir
à un juge d'Etat déclaré amiable compositeur10
par les plaideurs. Il s'inscrit au coeur des modes alternatifs de
règlement des conflits (MARC), préférés des
opérateurs économiques internationaux et des investisseurs. En
effet, le phénomène de règlement amiable est l'une des
manifestations du passage d'un ordre juridique imposé à un ordre
juridique négocié. Les acteurs sociaux et économiques
retrouvent la faculté de régler eux-mêmes leurs
différends par
7 Jacques DAVID, Avant-propos de l'ouvrage de
Pierre Meyer sur le Droit de l'arbitrage, OHADA, Bruylant Bruxelles,
2002.
8 Il s'agit de l'acte uniforme portant droit
commercial général ; l'acte uniforme portant droit des
sociétés commerciales et des GIE ; l'acte uniforme portant sur
l'organisation des sûretés ; l'acte uniforme portant sur
l'organisation des procédures simplifiées de recouvrement et
voies d'exécution ; l'acte uniforme portant organisation des
procédures collectives d'apurement du passif ; l'acte uniforme relatif
au droit comptable ; l'acte uniforme relatif au droit de transport des
marchandises par route; l'acte uniforme relatif au droit de l'arbitrage
9 Laurent GOUIFFES, Recherche sur l'arbitrage
en droit international et comparé, LGDJ, Paris, 1997, p. 43, voir
également Charles JARRASSON, La leçon d'arbitrage, LGDJ,
Paris, 1987, p. 372.
10 Arbitre ayant reçu des parties le droit
de rendre sa décision non selon le droit, mais en équité
et sans observer les règles ordinaires de la procédure. Le
même pouvoir peut être donné aux juges d'Etat, en
matière civile, lorsque les parties ont la libre disposition de leur
droit.
4
convention au lieu de subir un jugement qui leur est
imposé par une autorité étatique11.
Le recours au règlement des litiges par la voie
arbitrale permet très souvent aux parties de sauvegarder les relations
d'affaires habituelles. Il présente de nombreux avantages pour les
parties : suppression du formalisme procédural, rapidité, secret
de la procédure, efficacité de la sentence.
C'est une justice contractuelle parce qu'elle fait une grande
place à la volonté des parties, soit par l'insertion dans le
contrat d'une clause compromissoire, soit par la conclusion d'un compromis
quand le litige est déjà né. La justice arbitrale reste le
choix12 de la volonté des parties entre le droit et
l'équité13.
Avant la mise en place du système d'arbitrage de
l'OHADA, peu d'Etats membres avaient développé ce mode de
règlement des litiges dans leur législation interne et les
opérateurs économiques en Afrique y recouraient peu. Or le bon
fonctionnement du commerce international appelle une adaptation des
législations nationales dans le sens d'une libéralisation de
l'arbitrage. Les efforts déjà entrepris dans ce sens
s'étaient révélés inefficaces. Il était donc
légitime que le traité de l'OHADA lui accorde une place
privilégiée.
Dans le cadre de l'harmonisation du droit des affaires que
l'Afrique a engagée, l'arbitrage occupe une place de choix. Cette place
est perçue dès la signature du traité constitutif de
l'OHADA dont le préambule déclare que les hautes parties
contractantes sont « désireuses de promouvoir l'arbitrage comme
instrument de règlement des différends contractuels ».
On l'appréhende encore dans la dénomination de
la juridiction suprême de l'OHADA.
11Bertrand MOREAU et Louis DEGOS, «La clause
compromissoire réhabilitée», les cahiers de l'arbitrage,
volume I, juillet 2002, p. 16
12Jean PAILLUSSEAU, « Le choix entre le droit et
l'équité », JCP.G n°5, 1er
février 2006, p.185
13 C'est la réalisation suprême de la
justice, partant parfois au-delà de ce que prescrit la loi. Il est
reconnu à toute juridiction arbitrale le pouvoir de trancher en
équité, lorsqu'il s'agit des droits dont les parties ont la libre
disposition et qu'un accord exprès des plaideurs a délié
l'arbitre de l'obligation de statuer en droit.
5
En effet, la dénomination «Cour Commune de Justice
et d'Arbitrage » (CCJA) est évocatrice de
l'importance de sa fonction arbitrale, de même degré que sa
fonction juridictionnelle et consultative, c'est-à-dire
l'interprétation et l'application des actes uniformes portant sur le
droit des affaires.
Cet intérêt accordé par l'OHADA à
l'arbitrage justifie qu'on s'intéresse à l'étude de la
justice arbitrale dans l'espace OHADA. Cette étude soulève la
question centrale suivante :
La justice arbitrale peut- elle contribuer à la
sécurisation juridique des affaires dans l'espace OHADA ?
La réponse à cette interrogation impose d'une
part l'analyse de l'organisation de la justice arbitrale dans l'espace OHADA
(première partie) et d'autre part d'appréhender
l'efficacité de la justice arbitrale dans cet espace communautaire
(deuxième partie).
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