B- LE CORPORATISME DE LA JUSTICE ARBITRALE
La justice arbitrale a développé des
caractéristiques d'organisation corporative, de professionnalisme et de
technicité. La préoccupation majeure était de
régler les conflits au sein même de communautés
professionnelles et de privilégier la solution rapide des
problèmes et des difficultés techniques qui paraissent être
dans la majorité des cas, la source et les causes les plus importantes
des conflits.
Le droit ne parait pas fondamentalement en cause. Et il est
vrai que les normes étaient beaucoup moins abondantes et que la
liberté ne prédominait pas dans la conclusion des contrats et
l'organisation des divers secteurs de l'économie.
Le monde de l'arbitrage est un monde clos ou qui tend à
l'être. Les raisons sont diverses. Les plus nobles participent de
l'esprit de confiance qu'implique la démarche arbitrale et qui l'a
caractérisée au premier chef ou le caractère professionnel
de l'arbitrage l'emporte sur sa nature juridique.
Cette confiance prend elle aussi sa source dans les
données juridiques et spécialement dans les impératifs
d'indépendance et d'impartialité sur lesquels se fonde, dans la
justice publique comme dans la justice privée, l'oeuvre
juridictionnelle.
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Il demeure qu'en fait, cet esprit d'estime et de confiance
justifie la préférence de ceux qui arbitrent d'y veiller avec des
personnes qu'ils connaissent et qu'ils apprécient du fait de leur haute
compétence et de leur grande expérience.
En outre, l'efficacité de la justice arbitrale en
dehors de son caractère discret, des vertus de liberté qu'on lui
reconnait dépend également de sa fonction d'apaisement. En effet
la sentence qui en résulte permet généralement aux hommes
d'affaires qui y ont recours de sauvegarder leurs relations d'affaires
habituelles.
L'arbitrage a donné l'impression que la conception
positiviste du droit qui accompagnait la majesté des juridictions
publiques l'invitait, sinon l'obligeait à quitter les hautes
sphères de la justice et à se limiter au service professionnel
que les institutions commerciales attendaient de sa part pour résoudre
les litiges de ses membres en leur sein et pour éviter de devoir
étaler ces conflits devant les juridictions publiques et subir les
décisions de ces dernières60.
La planète juridique sinon le paradis juridique que
constitue l'arbitrage procure-t-il le bonheur ou plus modestement
répond-il à leur attente ?
Certains agents économiques subissent le
phénomène comme une nécessité inévitable et
un mal nécessaire. Ils n'ont d'autre souhait que celui de sortir au plus
tôt du monde des juristes, revenir dans le monde qui est le leur et dans
lequel ils n'ont pas encore compris ou voulu comprendre la plus-value qu'y
apportent le droit et les procédures61.
D'autres plus ouverts à la démarche juridique,
s'interrogent sur les raisons pour lesquelles l'arbitrage n'aurait qu'une et
même liturgie pour répondre à tous les problèmes
auxquels les agents économiques sont confrontés. Pourquoi subir
une liturgie qui prétend affirmer solennellement des droits et des
mérites alors que l'on ne souhaite que la solution concrète et
pragmatique de difficultés plus ou moins importantes ? Le monde de
l'arbitrage ne serait-il pas sensible à ces
60 Alexis MOURRE, Article précité,
p.17
61 Alexis MOURRE, « Pourquoi l'arbitrage ?
», Les cahiers de l'arbitrage, Gaz. Pal. Juillet 2002, p.53
demandes et à ces attentes et aurait-il oublié
dans sa volonté et dans sa réussite de rapprochement et
d'indentification avec la justice ordinaire, que sa première
finalité était professionnelle et concrète, et que
celle-ci tendait, principalement à la solution des litiges et à
la proclamation solennelle de droits et de responsabilités ?
Il serait important que les juristes réservent une
écoute plus attentive aux agents économiques et fassent preuve de
l'imagination suffisante pour tenter d'y répondre de la manière
la plus pertinente et la plus appropriée.
Il s'agit d'unir de la manière la plus heureuse,
l'oeuvre de justice et la recherche d'efficacité nécessaire
à la réalisation des finalités humaines de
l'économie. La procédure arbitrale et la sentence qui en est le
terme n'assurent l'efficacité recherchée par les agents
économiques qu'à la faveur de la volonté de ceux qui y
veillent spontanément ou de l'intervention du juge ordinaire dans le
cadre de la procédure d'exequatur.
La force exécutoire est et demeure le monopole des
Etats et de leur justice publique et la justice privée qu'est
l'arbitrage n'y a pas accès. Elle n'est qu'un prélude à
son obtention qui doit être sollicitée auprès de la justice
ordinaire. A ce niveau le mérite qu'on reconnait au système
d'arbitrage OHADA est l'exequatur communautaire, à travers le sceau de
la CCJA62.
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62 Pierre MEYER, Article précité, pp
236-237
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