CHAPITRE I : L'EFFICACITE AFFIRMEE DE LA JUSTICE
ARBITRALE DANS L'ESPACE OHADA
Il est sans nul doute tôt de se prononcer sur la
capacité de la justice arbitrale de l'espace OHADA à remplir sa
mission de système d'avant-garde de sécurisation juridique des
investissements en Afrique. Cependant, les vertus de l'arbitrage international
doivent être mises à son compteur puisqu'il intègre
parfaitement les acquis.
Pour comprendre les performances de la justice arbitrale dans
l'espace OHADA, il est essentiel de savoir qu'on est en présence d'une
organisation contractuelle du règlement des litiges. D'un commun accord
les parties choisissent leur juge, la loi de procédure et la loi
applicable au fond. Un tel choix implique également que l'on accepte
à l'avance de se soumettre à la sentence arbitrale. D'ailleurs
l'arbitrage est l'une des manifestations du passage d'un ordre juridique
imposé à un ordre juridique négocié.
En effet, les investisseurs et autres opérateurs
économiques retrouvent la faculté de régler
eux-mêmes leurs différends au lieu de subir un jugement qui leur
est imposé par une autorité étatique.
En outre, la justice arbitrale permet de répondre aux
exigences de plus en plus croissantes des usagers en matière de
sécurité juridique, mais aussi à la complexité
grandissante des affaires ,impliquant une pluralité de parties,
d'origines et de cultures juridiques différentes , que la justice
arbitrale d'inspiration OHADA vient canaliser. Les succès de la justice
arbitrale s'expliquent par diverses raisons (Section I) et ses performances
sont multiformes (Section II).
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SECTION I : LES RAISONS DE L'EFFICACITE AFFIRMEE
Deux raisons au moins expliquent que l'arbitrage soit assez
fréquemment utilisé par les milieux des affaires. L'une est une
raison de droit. Les contentieux commerciaux n'ont que rarement un
caractère d'ordre public. Dès lors, le recours à un
arbitre y est en principe licite et très souvent opportun, d'où
la consécration du règlement contractuel du litige. L'autre est
une raison de fait. Les milieux d'affaires sont sensibles aux avantages que
présente l'arbitrage par rapport à la justice d'Etat.
PARAGRAPHE II: LA CONSECRATION DU REGLEMENT
CONTRACTUEL DU LITIGE
La politique économique actuelle des Etats africains
est caractérisée par le retrait de l'Etat des activités
économiques. Or, le recul de l'interventionnisme économique de la
puissance publique s'accompagne très souvent de la diminution des
règles de droit à caractère impératif et,
corrélativement de la consécration du règne de l'autonomie
de la volonté et de la liberté individuelle.
Dans le même élan, la justice arbitrale a
développé des caractéristiques d'organisation corporative,
de professionnalisme et de technicité.
A- L'EXALTATION DE L'AUTONOMIE DE LA VOLONTE
La liberté individuelle et l'autonomie de la
volonté ne peuvent trouver leur plein épanouissement que dans un
cadre propice à l'expression des différences. Dès lors
qu'une autorité suprême, même légitime se met
à régir dans le sens de leur uniformisation les comportements
individuels, il y a de fortes chances d'annihiler tout effort en vue
d'atteindre un résultat performant. C'est ce qui explique que
l'idée d'une « privatisation de la justice » ne soit plus
hérétique.
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Mieux, elle est devenue l'un des lieux communs du discours sur
la promotion du secteur privé en Afrique. Partout des institutions
permanentes d'arbitrage sont installées sous l'égide des milieux
d'affaires.
Traditionnellement, quand on parle de justice, on fait
référence à la justice étatique. Or, on peut
démembrer au moins trois modes de règlement des conflits.
Le premier est le mode conciliatoire, qui regroupe les
techniques de régulation telles que l'expertise, la conciliation, la
médiation et les autres procédures assimilées. Le second
est le mode judiciaire qui possède à la fois la
juridiction53 et 1' impérium.
Le troisième est le mode arbitral qui est
appréhendé comme l'institution par laquelle un tiers
indépendant règle le différend qui oppose deux ou
plusieurs parties en exerçant la mission juridictionnelle qu'elles lui
ont confiée54. C'est dire que l'arbitrage est l'une des
manifestations du passage d'un ordre juridique imposé à un ordre
juridique négocié. Au contraire du mode judiciaire d'apurement du
contentieux, l'arbitrage permet aux acteurs sociaux de régler
eux-mêmes leurs différends sans subir un jugement qui leur est
imposé par une autorité étatique. C'est la traduction
juridique de l'exaltation de l'autonomie de la volonté.
L'arbitre demeure un juge. Il a, à certains
égards, plus de pouvoir qu'un juge étatique car ses sentences ne
peuvent être frappées d'appel. Comme tout juge, il est soumis au
contrôle d'autres juges : C'est le recours en annulation.
En un mot, l'arbitrage est une justice55. Il n'est
pas tenu, certes aux strictes formes de la procédure étatique
mais en partage des soucis identiques, en particulier le respect des principes
directeurs du procès56, quelle que soit la règle
applicable au fond. Sans ce respect, l'arbitre ne remplit pas sa mission.
53 Juridiction désigne le pouvoir dont est
investi le juge de dire le droit en répondant à une situation de
fait dont il est saisi par déclaration rendue selon les règles
légales, la procédure prescrite et les preuves
autorisées.
54 Charles JARRASSON, La notion d'arbitrage,
Paris LGDJ, 1987, p. 372
55 Alexis MOURRE, « Le conseil et l'arbitrage
», Les Cahiers de l'arbitrage, Gaz. Pal., Juillet 2002, p.15
56 Il s'agit du principe du dispositif, du principe du
contradictoire et du principe accusatoire
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L'arbitrage est peut être, avant tout un espace de
liberté57 ; liberté de choisir ses juges ;
liberté d'organiser la procédure de façon souple et
confidentielle ; liberté de régler ses différends
indépendamment des systèmes étatiques nationaux, selon les
usages du commerce international. La consécration du principe de la
liberté est également perceptible dans la volonté
exprimée des parties du choix de voir régler leur
différend soit en droit soit en équité. La justice
arbitrale se meut dans le mouvement contractuel qui y fait appel. Elle vient le
rejoindre dans la finalité précise que les parties, maitresses de
leurs droits et de leurs conflits lui demandent d'assurer dans les conditions
et sous les modalités qu'elles déterminent58.
En effet, les parties à un contrat peuvent soumettre
leur litige à l'arbitre soit par l'insertion dans le contrat d'une
clause compromissoire, soit par la conclusion d'un compromis quand le litige
est déjà né. Dans les deux cas, elles peuvent librement
décider que leur litige soit tranché en droit ou en amiable
compositeur. Pour que l'arbitre puisse statuer en amiable
compositeur59, il faut que les parties lui aient confié cette
mission dans la convention d'arbitrage. Dans ce cas, la sentence n'est
susceptible d'appel, à moins que les parties n'aient expressément
réservé cette faculté.
En revanche, si les parties ne lui ont pas
conféré la mission d'amiable composition, il statue en droit, et
la sentence est susceptible d'appel, à moins qu'elles n'y aient
renoncé dans leur convention.
La pratique arbitrale montre que dans plusieurs affaires les
arbitres ont continué à juger en droit ce qui devait l'être
en équité, en employant le thème «
équité » dans leur sentence pour éviter
l'annulation.
Ceci étant l'arbitre doit respecter la volonté
des parties en jugeant en équité lorsque la finalité de sa
mission n'est pas de juger en droit. L'équité n'est pas
nécessairement le contraire du droit et une solution résultant de
raisonnement
57 Alexis MOURRE, « où va l'arbitrage ?
», les cahiers de l'arbitrage, Gaz. Pal., juillet 2002, p.1
58 Guy HORSMAN, Article précité, p.33
59 Arbitre ayant reçu des parties, le droit
de rendre sa décision non selon le droit, mais en équité
et sans observer les règles ordinaires de la procédure
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juridique n'est pas nécessairement l'opposé de
l'équité et de la justice. Il est vrai que des divergences
peuvent apparaître entre le droit et l'équité quand le
droit poursuit dans certains cas des finalités étrangères
à la seule recherche de la justice comme par exemple les prescriptions
instinctives qui répondent généralement à des
impératifs d'ordre, de sécurité et de paix sociale.
Malgré ces divergences le droit et l'équité conduisent
à la même solution.
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