CONCLUSION DE LA PREMIERE PARTIE
Mes observations ont eu lieu en différents
endroits des Pyrénées, principalement en Ariège mais aussi
dans le département voisin de la Haute-Garonne et dans le Val d'Aran en
Espagne et j'ai parallèlement réalisé une dizaine
d'entretiens. A l'exception des deux personnes travaillant pour l'ONCFS, tous
ceux que j'ai interviewés font parti du monde agro-pastoral
ariègeois. La lecture d'une partie des nombreuses informations
écrites existantes sur le sujet, notamment sur internet, m'a permis
d'avoir un autre aperçu de la situation notamment concernant
l'historique du programme de réintroduction, et les réactions
qu'il a suscité. Ainsi, j'ai pu rassembler de nombreuses données
qui constituent le corpus sur lequel je me suis appuyée pour mener
l'analyse présentée dans ce mémoire. Dans la partie
suivante, je vais présenter tout d'abord quels sont les discours tenus
à propos du programme de réintroduction par ses opposants et
donc, ce qui constitue dans ses grandes lignes leur logique de rejet de ce
projet. Ensuite, je présenterai d'autres témoignages sur le sujet
et enfin, je tenterai d'expliquer en quoi ces différents points de vue
sont liés à une façon de concevoir la nature et le
territoire.
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2ème partie: DISCOURS ET REPRESENTATIONS
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I. LES ADHERENTS DE L'ASPAP.
Ils sont opposés au plan de réintroduction
de l'ours dans les Pyrénées et pourtant, la plupart d'entre eux
se disent écologistes et même les « vrais écologistes
» par opposition à ceux qu'ils qualifient souvent d'«
intégristes écologistes » ou d'« écologistes des
villes ». Comment en sont-ils arrivés à se positionner ainsi
? Dans cette partie, c'est donc leur point de vue sur la question dont j'ai
souhaité rendre compte et pour cela j'ai repris la majorité des
éléments de discours qui reviennent chez toutes les personnes
interviewées et donc probablement le point de vue de la majorité
des personnes opposées au plan ours, et plus précisément
celles qui ont fait la démarche d'être adhérentes de
l'Aspap. Ces personnes exposent leur point de vue, mais aussi leur analyse de
la situation, comment elles l'expliquent et la perçoivent, ainsi que les
raisons de leur engagement dans un processus d'entrée en «
résistance » en se fédérant au sein de l' Aspap. La
majeure partie de leurs propos est une critique du projet, depuis sa conception
jusqu'à sa mise en oeuvre, une remise en cause des arguments des «
pro-ours », et d'autre part, une description du travail des
éleveurs, des « gens de terrain », de leur conception de la
façon dont le territoire doit être géré. Ils parlent
aussi, surtout pour ceux qui ont été victimes de
prédations, de la difficulté, du choc des prédations
subies et du sentiment d'irrespect de leurs pratiques, de leur travail. On leur
dit qu'ils doivent protéger leurs troupeaux et que pour cela
l'État finance les équipements, mais c'est pour eux incompatible
avec leurs pratiques, d'une efficacité relative et d'un coût
financier qui leur paraît démesuré par rapport au
bénéfice pour le territoire et pour les gens. Ainsi, ils
développent leur logique d'opposition et ce qu'ils considèrent
être le « bien-fondé » de leur position. Corinne
Eychenne (2006) a décrit ainsi la réaction des éleveurs
ariégeois: « cette réintroduction a été
vécue par les éleveurs comme une négation même de
leur présence en montagne, de leur activité et de leur avenir.
[...] au delà des risques de pertes d'animaux c'est bien l'atteinte
à leur identité, à leur fierté et à leur
honneur qui révolte les éleveurs. »
A. un territoire qu'on veut ensauvager, des pratiques
pastorales mises en danger ?
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1. « Ça va à l'encontre de
l'élevage en montagne »
Tout d'abord, la première remarque d'ordre
général que je puisse faire, c'est que toutes les personnes
interrogées considèrent que ce projet a un impact négatif
sur le pastoralisme et qu'il pourrait précipiter sa disparition en
décourageant les éleveurs. C'est perçu comme une menace
pour la profession d'éleveur en zone de montagne et étant
donné que le système pastoral fait vivre beaucoup de gens en
montagne, ils souhaitent le défendre et ne comprennent pas que l'on
agisse contre lui. La cohabitation avec les grands prédateurs leur
apparaît comme impossible car selon eux les mesures de protection
préconisées sont inutiles, ne peuvent que limiter les
dégâts ou les déplacer ailleurs et surtout sont
inadaptées à leurs pratiques.
« Ça va à l'encontre de
l'élevage en montagne..si un jour y'a davantage d'ours que ça et
davantage même de prédateurs voire des loups et tout ça
quoi...c'est...c'est pratiquement sûr y'aura plus d'élevage en
montagne [...] y'a beaucoup d'éleveurs qui ont arrêté [...]
parce qu'ils ne veulent pas laisser les troupeaux aux ours quoi... »
(M.Joly)
« C'est vrai que avant y'en avait des ours enfin
y'en a eu et c'était tellement peu compatible avec euh l'activité
pastorale que le gouvernement donnait une prime quand on pouvait prouver qu'on
avait abattu un ours [...] c'est évident que c'est incompatible avec
l'activité pastorale euh...de nos montagnes...y'a pas d'endroits
sauvages y'a pas d'endroits inexploités...elles sont sauvages entre
guillemets mais....mais utilisées pour le pastoralisme et
utilisées
intelligemment »(Jean)
«Nous on tient à notre pastoralisme et
à la façon dont on utilise nos montagnes et...et on veut que
ça dure comme ça quoi...et y'a pas de place pour l'ours... »
(Jean)
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