II. CONSEQUENCES: DU NIVEAU LOCAL AU NIVEAU
EUROPEEN
A. Entre resserrement de liens et accentuation de
différences
63 Pour un résumé de sa logique qui est
aussi celle de l'association voir l'extrait de son discours prononcé
lors de la manifestation du Val d'Aran retranscrit à la page
12.
64 Le sommaire de ce bilan est reproduit en
annexe.
65 Équivalent de l'Aspap pour les
Hautes-Pyrénées.
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1. Une plus grande cohésion du monde
agro-pastoral
« Le groupe professionnel trouve dans le refus de la
réintroduction un élément de cohésion et de
résistance face à l'indifférence dont il se sent de plus
en plus l'objet. Sur le sujet, les éleveurs de tous bords
(désormais soutenus par les élus et les techniciens) sont
aujourd'hui solidaires en Ariège. Ils se doivent d 'afficher un front
commun, malgré parfois des positions personnelles un peu divergentes
» (Corinne Eychenne, 2006 p.235)
Les mouvements d'opposition qu'il y a eu autour des
nouvelles réintroductions de 2006 ont fait prendre conscience aux
personnes opposées qu'ils n'étaient pas les seuls à avoir
ce point de vue. Ensuite, au niveau départemental, une solidarité
s'est déployée et il est un fait à propos duquel tout le
monde semble d'accord, c'est que l'opposition au plan-ours a rassemblé
les gens. Face à un projet qui a mis certaines personnes dans une
situation difficile, une certaine solidarité s'est
déployée entre les éleveurs et les gens se sont
régulièrement retrouvés pour mettre en place une
stratégie de défense, au sein de l'Aspap; et lors de la mise en
pratique de cette opposition au plan-ours, c'est-à-dire lors des
manifestations et des actions menées par les opposants au projet. Ainsi,
petit à petit, un réseau s'est créé. Les gens qui
ne se seraient jamais rencontré sans cela se sont mis à se
parler. Avant, chacun était dans sa vallée le plus souvent assez
isolé. Mais ce « combat », cette opposition a fait se
rapprocher les gens, en leur donnant des occasions de faire des choses
ensemble, de communiquer. Et puis, cela fait un sujet sur lequel quasiment tout
le monde est d'accord, un point d'entente qui permet de se retrouver.
Permettant ainsi de dépasser les éventuelles querelles
habituelles.
« Y'a le côté humain qui a
été superbe parce que ça a permis aux gens de se
retrouver, parce que y'avait plus d'identité montagnarde, ça
s'était bien perdu, les gens ils se sont retrouvés dans les
manifs et ils se sont retrouvés avec cette identité là
qu'était oubliée »(Bernadette)
« L'ours ça a permis de matérialiser
la mentalité pastorale [...] de rassembler des gens qui se seraient
jamais vus [...] même moi...y'a des gens que j'aimais pas
spécialement que je connaissais mais comme ça...voilà bon
l'ours voilà salut, et avec qui de par la lutte on est devenus
très proches, et plein d'autres, énormément d'autres que
je connaissais pas, que c'est la bagarre contre l'ours qui a fait que je les
connais, et que j'apprécie» (Jean).
« [l'Aspap] c'est un réseau de connaissances
[...] y'a tous les gens de terrain avec leurs sensibilités
différentes mais qui se retrouvent au sein de l'Aspap parce que y'a
quelque chose de
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commun qui les anime [...] en fait ça a
fédéré beaucoup de gens qui avaient peu ou pas de rapports
entre eux, si ce n'est leur quotidien...ça a fédéré
des gens d'autres départements [...] ça a créé un
tissu, ça crée des liens, ça fait des échanges,
ça fait des adresses qu'on conserve [...] les gens se sont mis à
parler entre eux, ont eu le respect de s'écouter, voilà de se
structurer, ça c'est énorme [...] en plus du côté
efficace de la création de l'Aspap et de sa stratégie...ça
a été un enrichissement pour beaucoup de gens...parce qu'on est
quand même relativement isolés chacun dans son coin [...] par la
force des choses il a fallu se réunir, communiquer et voilà,
là le mot de solidarité il prend tout son sens »
(Laurent).
Le consensus qu'il y a autour de la question des ours a
permis à des gens très différents de trouver un terrain
d'entente, de se rapprocher, de se retrouver et dans ce cadre, de mettre en
avant ce qui les lie: leur lieu de vie, les Pyrénées et donc une
certaine identité pyrénéenne et pour les éleveurs,
l'identité d' éleveur transhumant. S'opposer à ce projet
les a amenés à revaloriser, réinvestir des notions
identitaires. Ce qui lie tous ces gens au delà de leur opposition au
projet de réintroduction, c'est aussi leur lieu de vie et leur
profession. Ces deux éléments correspondent à la notion
d'identité pyrénéenne de gens de montagne et à
celle d'éleveur transhumant de montagne. Certains font uniquement partie
de la première catégorie, ils habitent en montagne mais ne sont
pas éleveurs. D'autres cumulent les deux, c'est-à-dire qu'ils
vivent en montagne et sont aussi éleveurs transhumants. Et enfin, mais
ils sont moins nombreux il y a les éleveurs qui font transhumer leur
troupeau mais qui habitent plutôt vers la plaine.
Au niveau départemental, le renforcement de la
cohésion et la puissance fédérative de l'Aspap s'est
manifestée lors de la crise de la FC066. Une manifestation a
eu lieu, et pour mobiliser le plus de monde possible, les syndicats agricoles
ont fait appel à l'Aspap pour y convier tous les
éleveurs.
«Aujourd'hui, les gens se sont structurés
pour se battre contre les grands prédateurs de manière
extrêmement efficace [...] l'Aspap arrive même à faire un
consensus comme par exemple de réunir autour d'un problème commun
comme la fièvre catarrhale ovine l'ensemble des syndicat agricoles [...]
l'Aspap y est pour beaucoup de structurer l'ensemble de la filière
d'élevage dans le département» (Nicolas )
« [Les syndicats agricoles] pour appeler à
manifester ils sont venus faire appel à l'Aspap parce que ça
concerne tous les éleveurs et il savaient bien que l'Aspap allait
mobiliser beaucoup plus qu'eux, parce que l'Aspap c'est pas syndical donc
ça rassemble plus de monde » (Jean).
66 Il s'agit de la fièvre catarrhale ovine. A
l'automne 2008 a eu lieu cette épidémie qui a
décimé de nombreuses bêtes au sein des troupeaux, les
troupeaux ariègeois ont été particulièrement
touchés par cette épidémie.
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Il semblerait donc que les structures associatives
nées de la lutte contre les grands prédateurs aient
fédéré les gens, comme ici les éleveurs, et que les
effets s'en ressentent au delà de l'opposition au projet de
réintroduction. Puisque dans l'exemple précédent, on peut
voir que son action, son influence s'est étendue au monde agricole en
général, à un niveau départemental. Le projet
semble avoir également comme effet inattendu de favoriser un
rapprochement des éleveurs et des chasseurs du département. En
effet, ils partagent l'usage du même territoire et la cohabitation entre
éleveurs et chasseurs n'a pas toujours été facile. Et
voici que maintenant les chasseurs commencent également à
s'opposer au plan-ours car on s'en prend à leurs intérêts:
leur droit de chasse à été remis en question en raison des
risques d'accidents de chasse mettant en cause des ours. Et, à la suite
d'une requête judiciaire faite par une association écologiste du
département, un arrêté préfectoral risque
d'entraîner la suspension la chasse dans le département de
l'Ariège67 pour cette année si des mesures ne sont pas
prises pour protéger les espèces menacées dont l'ours. Une
manifestation de protestation des chasseurs a eu lieu au début du mois
d'octobre 200968 et l'Aspap a appelé ses adhérents
à y participer.
Ensuite, le réseau s'est élargi
progressivement à d'autres niveaux. Tout d'abord, les différentes
associations qui se sont créées dans des buts similaires à
ceux de l'Aspap tout le long des Pyrénées se sont
fédérées. Ce qui leur a permis d'élargir le
mouvement, c'est la communication qui s'est mise en place entre les acteurs de
terrain et sur ce point, internet a joué un rôle important dans la
diffusion d'informations et la communication entre les gens. Les personnes
très actives du réseau utilisent beaucoup internet pour
communiquer et échanger rapidement des informations. Ce qui leur permet
d'être en contact quasi permanent même s'ils ne se voient pas
très souvent.
Le réseau s'est encore plus élargi lorsque
des connexions ont été établies avec l'autre versant des
Pyrénées, du côté espagnol. Déjà en
2006, des manifestations avait eu lieu en commun avec les espagnols, permettant
la créations de liens. Et en décembre 2008, il y a eu la
manifestation du Val d'Aran69 avec la signature du « Manifeste
des Pyrénées », apparaissant comme un point culminant de la
rencontre du mouvement amorcé côté français, avec
les espagnols. Des liens ont également été établis
avec des éleveurs des Asturies, région d'Espagne où l'ours
est également présent. Le réseau s'étend
également aux Alpes, où les éleveurs confrontés aux
loups se sont également mobilisés dans
67 Voir à ce sujet l'actualité de la fin du
mois de septembre et du début du mois d'octobre 2009. dont: « la
Depêche du Midi » du 18 septembre 2009.
68 Cette manifestation, qui a eu lieu à Foix,
aurait réuni environ 7000 personnes
69 Voir à ce propos la description en page
12.
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un mouvement d'opposition à la présence de
grands prédateurs sur leur territoire. Une rencontre inter-massifs a
déjà eu lieu en avril 2007. Cette rencontre réunissait des
éleveurs des Alpes, des Pyrénées et du Massif Central. Au
cours de cet événement, l'ADDIP a proposé de redynamiser
« l'association européenne de défense du pastoralisme contre
les grands prédateurs ». On peut donc remarquer que ce
réseau comprend différents degrés qui vont d'un niveau
local à un niveau européen. Ce dernier semble être le but
à atteindre pour être plus reconnus et mieux entendus.
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