C. La mobilisation d'éléments identitaires en
lien avec un patrimoine culturel
« La plupart des recherches sur l'identité
locale montrent que se définir par rapport à un lieu c'est
surtout faire référence à une manière d'être
au monde et aux autres, à un patrimoine culturel produit d'une histoire
et d'expériences de la vie quotidienne » (Denis Chevallier et Alain
Morel 1985)
Il y a dans ce contexte la mise en avant de deux
éléments identitaires, l'un est professionnel et rassemble les
éleveurs de montagne qui sont pour la plupart transhumants; l'autre est
territorial et permet de fédérer une part beaucoup plus grande de
la population, il s'agit de la notion d'identité
pyrénéenne. Ces éléments existaient
déjà auparavant mais ils ont été
réactivés plus particulièrement dans ce contexte
d'opposition, de lutte. Ces « étiquettes »
fédératrices ont été réinvesties afin de
conforter un rapprochement entre des personnes au sein d'un même projet
ou contre-projet. Les références à ces notions
identitaires sont assez présentes dans le discours de l'Aspap et on peut
les retrouver dans les productions écrites de cette
association56. Et même, concernant la notion d'identité
pyrénéenne, elle est clairement annoncée dans le nom de
l'association qui regroupe les différentes associations
départementales: Association pour le Développement Durable de
l'Identité
56 Voir notamment « le manifeste des
Pyrénées » en annexe.
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Pyrénéenne.
Dans le sens où Nathan Glazer et Paul P. Moynihan
(1975) l'ont écrit à propos du concept d'ethnicité, il
semble qu'il y ait un but stratégique à ce
phénomène, comme une stratégie identitaire au service
d'une stratégie sociale collective. Ces éléments ne
semblent pas ici être créés artificiellement, mais
plutôt réactivés dans un but stratégique,
utilisés pour revendiquer une légitimité sur un territoire
et le droit à en disposer comme ils le souhaitent. Ils se revendiquent
pyrénéens ou éleveurs transhumants pour appuyer leurs
revendications. Et aussi tout simplement parce qu'ils peuvent se sentir plus
forts en tant que groupe pour atteindre un but: faire stopper le plan-ours et
promouvoir une façon différente de développer le
territoire. Comme cela a été décrit dans d'autres
situations du même type, les érudits locaux investis dans la lutte
contre le projet de réintroduction, ne sont probablement pas
étrangers à la mobilisation de ces éléments
identitaires. Et dans le cas de ces associations il y a effectivement des
érudits devenus des acteurs essentiels du mouvement. Ces
éléments identitaires sont à la fois
fédérateurs, pour rallier le plus grand nombre possible de
personnes à la cause, et légitimant quant aux revendications qui
sont faîtes.
Au delà d'une conception purement utilitariste des
concepts identitaires, il y a aussi chez les personnes que j'ai
interviewées cette idée qu'ils se battent pour la
perpétuation d'un système ancien qui risque de disparaître,
ou bien une sorte de sentiment retrouvé de se sentir appartenir à
une communauté unie avec des idéaux et des valeurs communes. Et
même une vision commune de ce qu'ils veulent pour l'avenir du territoire
qu'ils partagent. Tout cela dans le contexte d'une culture de montagne
pyrénéenne revendiquée. Avant ces
événements, il semblerait que les éleveurs et même
tout simplement certains habitants des Pyrénées avaient un plus
grand sentiment d'isolement. Et qu'ils n'avaient pas cette sensation de faire
partie d'un groupe, d'une culture particulière, celle des gens de
montagne. Paradoxalement, les opposants reconnaissent que cette oppositions au
plan-ours a eu des conséquences positives pour les relations entre les
gens de montagne et ceci pour une grande partie des
Pyrénées.
« Y'a le côté humain qui a
été superbe parce que ça a permis aux gens de se
retrouver, parce que y'avait plus d'identité montagnarde, ça
s'était bien perdu, les gens ils se sont retrouvés dans les
manifs et ils se sont retrouvés avec cette identité là
qu'était oubliée. » (Bernadette)
« Pour moi ça reste un combat pour une vie et
pour la perpétuation d'une civilisation pastorale. »
(Laurent)
« L'ours ça a permis de conforter, de donner
un nom et de matérialiser la mentalité
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pastorale [...] de rassembler des gens qui se seraient
jamais vu. » (Jean)
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