B. « Pastoralies, la fête de la montagne vivante
»
Toujours dans un même but de communication, l'Aspap
monte régulièrement son stand, tenu par des
bénévoles de l'association, dans divers évènements
du monde pastoral et agricole 52. Ce qu'ils veulent c'est que le
plus grand nombre de gens possible puissent entendre, comprendre leur point de
vue et pourquoi ils s'opposent au projet de réintroduction. C'est dans
ce but que sur les stands on trouve notamment des photos de prédations.
C'est pour que les gens puissent se mettre à leur place, imaginer ce
qu'ils ressentent quand ils trouvent une bête attaquée par l'ours
et donc comprendre leur colère.
Mais, un des événements majeurs de leur
stratégie de communication envers le grand public, c'est une grande
fête que l'association organise depuis deux ans maintenant au mois
d'août53. Cette fête s'est à chaque fois
déroulée en haute montagne afin que les gens puissent se rendre
compte, au plus près, de ce qu'implique la pratique de la transhumance,
pour leur expliquer, leur montrer le travail des hommes et des troupeaux sur
l'estive. Ils veulent faire valoir, montrer, dans un cadre festif et familial,
ce qui pour eux constitue un patrimoine naturel à préserver et
qui est le fruit du pastoralisme: les prairies d'altitude et l'alternance de
différents types de végétation54,
caractéristiques des montagnes où il y a du pastoralisme. En ce
qui concerne la faune, ce qui est un patrimoine naturel « domestique
» à conserver, ce sont les races domestiques autochtones,
sélectionnées au fil du temps pour leur adaptation au territoire,
qui constituent souvent leurs troupeaux.
Ceci est en droite ligne de cette conception de la nature
comme fille de la maîtrise harmonieuse de l'homme sur son territoire mais
aussi sur les espèces animales. Il leur apparaît comme plus
important de sauvegarder des races domestiques qu'un animal sauvage
emblématique comme l'ours. Ils pensent que c'est prioritaire par rapport
à la réintroduction de l'ours dans les Pyrénées,
reprochent aux associations qui ont mis en place cette réintroduction de
réduire la biodiversité aux seules espèces sauvages et
revendiquent la nécessité de sauvegarder les espèces
domestiques également sources de biodiversité et en voie de
disparition. A ce propos, ils citent la
52 Voir à ce sujet le chapitre: « les
observations » dans la première partie du
mémoire.
53 Voir à ce propos la description de la
fête en page 8
54 Voir en annexe le schéma de l'étagement
montagnard.
68
conférence de Rio de 199255 qui avait
précisé l'importance de la sauvegarde de espèces
domestiques et leur participation à la richesse de la
biodiversité. Il semblerait que pour eux, patrimoine culturel et
patrimoine naturel soit indissociables.
Ensuite, cette fête leur permet de donner l'image
qu'ils souhaitent aux gens des villes venus en vacances en Ariège et
à ceux qui vivent dans le département mais ne connaissent pas
forcément
leur travail. Un des buts principaux est de
véhiculer une autre image des montagnes pyrénéennes et des
éleveurs qui y travaillent. Communiquer, mais sur ce qui leur tient
à coeur, pas uniquement sur l'ours dont ils pensent qu'il les stigmatise
mais sur l'élevage et la pratique de la transhumance qu'ils souhaitent
maintenir notamment grâce au tourisme et aux produits du terroir que
cette activité permet de produire.
Ce type de démarche communicative sous la forme de
fêtes mettant en avant le monde pastoral ou agricole, souvent
associé à un patrimoine culturel, et principalement à
destination des populations citadines, a été l'objet de plusieurs
analyses dans le domaine des sciences humaines. Pour François Labouesse
(1998), ce type de manifestation est motivé par des raisons
économiques de la part des éleveurs. Ainsi, son hypothèse
est que: « Lorsqu'aujourd'hui des agriculteurs entreprennent d'exploiter
le gisement de curiosité qu'ils ressentent à leur égard,
ce n'est pas pour se prêter à un simple échange de nature
culturelle ou pour participer de manière « gratuite » à
des opérations d'animation locale, mais bien, d'une manière ou
d'une autre, pour défendre, promouvoir ou conforter leur
activité, soit à une échelle locale, soit à des
niveaux plus larges, y compris national ». Dans le cas des Pastoralies,
les motivations économiques sont présentes, mais il y a
également l'envie de « conforter leur activité » qu'ils
estiment menacée. Cette fête est organisée par des
éleveurs qui ont une production à valoriser et une idée
à faire passer: le fait qu'ils sont détenteurs d'un patrimoine
culturel qu'ils estiment mis en danger par le programme de
réintroduction de l'ours, alors que l'ours lui est communément
considéré comme un élément du patrimoine
naturel.
François Labouesse évoque également
le même type de démarche mis en place à titre individuel,
comme par exemple les visites à la ferme. Le porte-parole de l'Aspap et
actuel président de l'Addip, Philippe L. a en parallèle à
son activité d'éleveur une activité touristique,
c'est-à-dire qu'il fait visiter son estive à des touristes en
partie citadins. Il fait cela dans le même esprit que ce qui se fait dans
le cadre des Pastoralies, c'est le même type de démarche. C'est
à dire une
55 Notamment dans les publications écrites de
l'association.
69
conciliation entre élevage et tourisme, permettant
à son élevage d'être plus « rentable
».
« Philippe L., il veut pas des ours mais lui par
contre il a proposé des trucs [...] il est dans une dynamique là
[...] de produire [...] de faire un produit touristique avec ça en
emmenant les gens sur les estives moi je trouve que c'est bien ça [...]
je trouve que c'est pas du folklore à carte postale [...] il montre pas
des ours là qu'il faut aller voir dans la nature sauvage [...] il montre
la nature et qu'est ce que l'homme en fait [...] il montre une activité
humaine qui fait vivre des gens qui s'inscrivent dans une histoire humaine, et
les autres ils montrent la nature [...]détachée de l'humain, mais
contre l'humain presque » (Bernadette)
« Comme ça on ne fera rien de bon...on va
sacrifier l'élevage et on va sacrifier le tourisme à long terme,
ça c'est 100% vrai...(pause)...et les gens de l'Aspap ils sont
conscients de ça, P. le premier il est à fond pour le tourisme
[...] il vit que de ça [...] et des produits naturels...il vend de la
viande de par toute la France...il est conscient qu'il faut le tourisme en
Ariège et dans les Pyrénées[...] il défend quand
même l'élevage parce que si un jour il a pas de bêtes
à vendre...aux touristes, il pourra pas leur vendre des produits de
Super U, ça marche pas » (M. Joly)
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