CONCLUSION DE LA DEUXIEME PARTIE
Le discours argumentatif des opposants met l'accent sur
le fait que la présence d'une
46 Voir en annexe le tableau extrait de l'ouvrage
d'Isabelle Mauz.
47 Isabelle Mauz décrit deux grands types de
mondes à propos des personnes auprès desquelles elle a
enquêté sur l'évolution des populations d'animaux sauvages.
Tout d'abord il y a les «mondes réduits du sauvage et du domestique
», structurés par une opposition entre sauvage et domestique et qui
d'une manière générale regroupent les chasseurs, les
éleveurs et les agents du parc national les plus anciens. Ensuite, il y
a le « vaste monde de la nature et de l'artifice » dans lequel des
« îlots de naturalité émergent d'un océan
d'artifice » et qui regroupe principalement les nouveaux gardes du parc et
les naturalistes.
48 De même, Isabelle Mauz parle d'«
évanouissement des frontières » entre les mondes qu'elle a
décrit, au moment de l'arrivée des loups.
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population d'ours est déstabilisante et
décourageante pour les éleveurs de haute montagne alors qu'ils
sont les garants d'un certain type de paysage et les détenteurs d'un
patrimoine culturel paysan qui risque de disparaître. Ils estiment que
les efforts qu'on leur demande dans le cadre de la réintroduction de
l'ours sont impossibles à réaliser, inutiles et
contre-productifs. De plus, ils sont très critiques quant à la
conception et la mise en oeuvre de ce projet. A l'opposé ceux qui
soutiennent le projet estiment que les éleveurs ne veulent pas faire
l'effort de faire évoluer leurs pratiques et que s'ils
protégeaient correctement leurs troupeaux la cohabitation serait
possible. De plus, ils ont une image des ours réintroduits qui oscille
entre celle d'un animal déviant, voire dangereux, et celle d'un animal
quasi domestiqué, victime de la volonté de l'homme de vouloir les
contrôler. Traduisant là une certaine confusion des
catégories du sauvage et du domestique.
De ces discours il ressort qu'il existe
différentes façon de concevoir la nature et un animal sauvage tel
que l'ours, y compris lorsque l'on vit sur un même territoire. Chacun,
selon ses pratiques, ses expériences mais aussi son milieu social
d'origine, a développé une représentation de la nature
différente. Certains mettent en avant le fait que la « nature
naturelle », non domestiquée n'existerait plus vraiment depuis
longtemps dans les Pyrénées, alors que d'autres, au contraire
estiment qu'elle est en train de faire son retour du fait de la déprise
agricole. Certains discours peuvent aussi être le fruit d'une conception
de la nature émanant des concepts diffusés par des associations
telles que l'Aspap. Concepts dont les personnes les plus érudites
semblent être en partie à l'origine. Il s'agit de l'idée
que la nature qui constitue les territoires de montagne, est le résultat
de l'action ancestrale et bénéfique, de l'éleveur [et/ou
berger] et de son troupeau. Et cela ferait de ce qui est communément
appelé patrimoine naturel, un patrimoine culturel au même titre
que les pratiques et les savoir-faire ancestraux.
Les conceptions que les gens ont ne forment pas un tout
homogène pour chaque camp, mais sont au contraire traversées par
de nombreuses nuances. Néanmoins, il me semble que ce projet a
entraîné un renforcement des convictions de chaque camp et
même pour certains une radicalisation des discours. Sur certains forums
internet, les termes utilisés pour qualifier ceux de l'autre camp sont
très forts, et témoignent de cette radicalisation des positions:
ainsi, les associations qui soutiennent le projet de réintroduction sont
parfois appelées les « sectes du sauvage ». A l'inverse, les
opposants sont qualifiés d' « ultrapastoraux ». Renvoyant
ainsi ceux du camp adverse dans leur dimension la plus extrême: partisans
du « tout sauvage » d'un côté et partisans du «
tout pastoral de l'autre »; laissant peu de place pour une voie
médiane.
Chacun des arguments avancé par un camp donne lieu
à un contre-argument de la partie
adverse qui sera lui-même contesté et ainsi
de suite... ce qui rend le débat très complexe et provoque de
vives polémiques. Mon analyse est ici limitée aux grandes lignes
argumentaires et à ce qui m'est apparu comme les grands principes de
chaque « camp ». Ceci pourrait certainement être l'objet d'une
analyse plus fine et plus détaillée notamment concernant les
nuances existantes entre ces deux extrémités.
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