B. une nature où tous les êtres sont «
égaux en droits ».
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Ce que je décris ici, est principalement issu de
l'entretien de Martine, puisque qu'elle est le seul des éleveurs
interviewés qui soutient le projet de réintroduction. Martine
justifie son positionnement du fait que, pour elle, l'homme ne se situe pas au
dessus des autres êtres de la nature, mais que au contraire, il doit se
considérer comme un être parmi d'autres dans la nature. Par
conséquent, il doit reconnaître aux ours le même droit que
l'homme à vivre dans les Pyrénées et donc s'adapter
à la présence d'éléments qui peuvent lui nuire, il
doit faire avec et surtout cesser d'avoir pour principe d'éliminer ce
qui le gène. Elle n'a pas du tout ce discours de dire qu'être
éleveur en zone de montagne, c'est forcément être
écologiste, au contraire, elle pointe du doigt certaines pratiques qui
seraient néfastes pour le paysage, comme l'absence de conduite des
troupeaux.
Et, pour Martine, il semblerait que ce qui fonde
l'idéologie écologiste, c'est notamment ce principe «
d'égalité » qu'il doit y avoir entre l'homme et les autres
êtres. Et c'est ce qui dans le cas présent les a poussés
elle et son compagnon à tout faire depuis le début des
réintroductions pour promouvoir l'idée qu'une cohabitation avec
les grands prédateurs est possible. Ce serait une question de
volonté et d'adaptation de l'homme. Qui doit se traduire par la mise en
place de mesures de protection pour son bien afin de limiter les
prédations. Il s'agit de protéger son troupeau et non
d'éliminer les autres êtres de la nature qui lui font concurrence.
Cela leur est apparu comme étant une évidence pour des gens se
considérant comme écologistes.
On est ici en quelque sorte dans une dimension de droits
et de devoirs auxquels l'homme doit se conformer. Il doit se conformer à
cet état de fait, c'est pour lui une sorte de devoir que de partager le
territoire avec les autres êtres de la nature même si cela doit le
contraindre dans ses activités. Les animaux ont des droits que les
humains doivent respecter. Et être écolo pour un éleveur
c'est, selon Martine, respecter ce principe.
Dans le cas présent, l'homme doit adapter ses
pratiques et sa conception du territoire, accepter qu'il n'est pas au dessus
des autres êtres de la nature. Pour cela, il doit s'adapter et modifier
ses pratiques, ses habitudes de travail. Il doit prendre conscience que ses
pratiques actuelles peuvent être néfastes pour l'environnement.
Notamment en ce qui concerne la conduite des troupeaux et l'impact qu'ils ont
sur l'environnement, le paysage. Les troupeaux qui ne sont pas conduits par un
berger auraient tendance à stagner dans certaines zones de la montagne
qu'ils dégraderaient par le piétinement. Ici, donc
l'activité de l'homme et de ses troupeaux n'est plus
considérée uniquement dans sa dimension bénéfique
pour l'environnement. Elle est perçue comme potentiellement
néfaste
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en l'absence de conduite du troupeau par un berger. Il y
a donc toujours ici l'idée qu'il ne faut pas laisser faire
complètement la nature, mais que le troupeau doit être
maîtrisé pour ne pas endommager certaines zones de la montagne.
Pour Martine, l'arrivée des ours pourrait faire changer les habitudes
des gens pour le bénéfice de la faune ( dont les ours ) et la
flore (dont celle des estives). Pour elle, cela pourrait être donc un
grand bénéfice pour le territoire puisque l'État donne,
dans le cadre de la réintroduction, des moyens financiers importants qui
pourraient permettre une amélioration de la gestion des zones de
montagnes.
De même que les « anti-ours », elle a
conforté son point de vue en opposition à la vision de la nature
qu'elle prête à l'autre camp. Pour elle, ceux de l'autre camp se
considèrent comme plus importants que l'ours et comme les êtres
qui dominent la nature, et qui refusent de changer leurs habitudes par
commodité et par non respect envers les êtres non humains qui
peuplent la nature. Se considérant comme « écolo »,
elle estime que ceux de l'autre camp ne le sont pas.
Et, il semblerait que, sans la présence des ours,
le territoire pyrénéen perdrait en quelque sorte « son sens
». C'est leur présence sur le territoire pyrénéen qui
est importante en plus du fait que l'on sauvegarde une espèce
menacée. Ceci répond à l'argument des opposants de dire
que ce n'est pas une espèce menacée au niveau
européen.
Sa perception du territoire en ce qui concerne la
présence de grands prédateurs est à l'opposé de
celle des adhérents de l'Aspap. Elle estime en effet que le territoire
est redevenu propice à la reconstitution d'une population d'ours puisque
les montagnes pyrénéennes sont de nos jours beaucoup moins
peuplées qu'elle ne l'étaient au 19ème siècle. Sa
perception des ours réintroduits et des territoires de montagne est
très différente de celle des opposants au projet de
réintroduction.
« L'ours se reproduit merveilleusement bien, parce
que y'a un biotope dans tous les espaces que nous n'occupons pas qui sont des
bois, l'ours il a largement de quoi vivre, beaucoup de faune sauvage s'est
développée, il peut continuer à croître avant qu'il
nous pose des problèmes[...] on reviendra jamais aux temps d'avant
où y'avait plus de place pour
l'ours »(Martine).
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