B. deux agents de 1'ONCFS38.
* Annie
Âgée de 55 ans, Annie travaille à
l'Oncfs depuis 16ans. Elle s'occupe de la régulation des nuisibles tels
que: renards, martres, fouines, etc...Elle est également technicienne
cynégétique et en cette qualité, elle s'occupe de la
gestion des milieux et des espèces pour la fédération de
chasse. Elle se décrit comme « à fond » et «
passionnée ». Elle allait à la chasse à l'isard avec
son père quand elle était petite et depuis très jeune,
elle parcourt la montagne. De son enfance, elle a le souvenir d'un jour, quand
elle avait douze ans, et qu'elle était partie à la chasse
à l'isard, avec son père et un groupe de chasseurs, qu'ils
avaient fait un grand feu de bois devant le refuge parce qu'ils avaient entendu
un cri d'ours: c'était une femelle et son petit.
Aujourd'hui,elle s'occupe du suivi de différentes
espèces telles que: le grand tétras, la perdrix grise, l'isard,
le mouflon, le lagopède. La première chose dont elle me parle
lorsque j'arrive pour l'interviewer, c'est qu'elle ne comprend pas que l'on
fasse venir des touristes sur les «places de chant » des grands
tétras39 dont elle suit l'évolution de la population
et la protection de l'habitat. Il y a pour elle, ici, une contradiction entre
la démarche touristique et la démarche de protection d'une
espèce. La fermeture du milieu lui apparaît comme un
problème puisque les animaux tels que les sangliers viennent plus
près des habitations. Mais ce qui est vraiment dérangeant, c'est
que le grand tétras y est sensible car il se nourrit en partie de
myrtilles que l'on trouve sur les terrain dégagés.
En ce qui concerne la réintroduction de l'ours,
elle pense qu'il y a eu un grand manque de
38 Les passages entre guillemets sont extraits des
entretiens.
39 Le grand tétras ou coq de bruyère est
le plus gros gallinacé d'Europe. Devenu rare en France, il peuple les
forêts de conifères des montagnes. Les «places de chant
»sont les lieux où ils se retrouvent au printemps pour la parade
des mâles et l'accouplement.
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communication et d'information auprès des
populations montagnardes40. Au départ, elle était pour
la réintroduction car, pour elle: « quand on aime les animaux, un
ours n'est pas dérangeant ». Mais elle a révisé son
jugement car selon elle, « le vrai ours des Pyrénées ne
cause pas les problèmes que les ours slovènes posent ». Ici
aussi, elle met en cause la fermeture du milieu qui permettrait aux ours de
descendre plus bas.
Pour ces raisons, elle n'est pas pour que de nouvelles
réintroductions soient faîtes, mais elle est pour «
protéger ceux qui sont là » car « ceux-là, les
hommes les ont mis dans la merde » et comme elle dit: « moi je
protège l'animal, pas la bêtise humaine ». Ici aussi, on
retrouve comme chez les adhérents de l'Aspap cette perception des ours
slovènes comme différents des ours autochtones, et cette
idée qu'ils sont les victimes de directives humaines.
En ce qui concerne les éleveurs: elle «
plaint l'agriculteur qui garde ses moutons mais pas ceux qui les laissent sans
surveillance ». Les chasseurs, elle dit qu'ils sont « plus
écolos que les écolos » parce qu'ils sont sur le terrain, et
que: « ceux qui foutent la merde, c'est les écolos qui n'y
connaissent rien au fonctionnement de la nature ».
Annie a un discours un peu à l'entre-deux des
discours présentés précédemment. Sur certains
points elle rejoint les adhérents de l'Aspap et sur d'autres elle se
rapproche du discours de Martine. Elle illustre en quelque sorte une des
nombreuses nuances possibles du discours sur l'ours et sur le plan de
réintroduction. Elle rejoint les adhérents de l'Aspap sur la
question de la revendication d'un écologisme en lien avec la
connaissance et la pratique du terrain montagnard, sauf que pour elle ce sont
les chasseurs et non plus les éleveurs dont elle parle comme des «
vrais écolos ». Par contre, sur la question de la surveillance des
troupeaux, elle rejoint le point de vue de Martine c'est-à-dire que ceux
qui ne protègent pas leurs troupeaux ne sont pas à
plaindre.
* Cédric
Il est technicien au sein de l'Equipe Technique du
suivi de l'Ours (ETO) qui dépend à la fois de l'ONCFS et de la
Fédération Départementale de la Chasse. Âgé
d'environ 25/30 ans il a comme formation un « Brevet de Technicien
Agricole en gestion de la faune sauvage » et un « Brevet
de
40 Elle fait ici référence notamment
à ce qui s'est passé lorsque l'ours Balou a été
blessé au cours d'une partie de chasse, et que le préfet n'a pas
souhaité communiquer sa localisation. Cela a été
perçu par certains comme un manquement au devoir de protection des
populations face au risque que représente un ours
blessé.
53
Technicien Supérieur en gestion et protection de
la nature ». Cela fait environ deux ans qu'il travaille au sein de cette
équipe. Son travail comporte deux volets en ce qui concerne le «
suivi de l'ours ». Il y a une partie technique qui se situe sur le terrain
et une partie scientifique de traitement des données recueillies. Cette
équipe remplit différentes missions.
Tout d'abord, ils doivent assurer « le suivi
technique de toute la population ursine des Pyrénées ». Il y
a le « suivi direct », qui se fait grâce aux
émetteurs41 dont sont équipés les ours, et
permet d'avoir instantanément une idée de la localisation des
ours. Ces données sont ensuite retranscrites par les ingénieurs
et permettent la réalisation d'une cartographie des déplacements
des ours sur le territoire. Ce suivi ne peut se faire que pour les ours qui
sont équipés d'émetteurs.
Quant au « suivi indirect », il consiste en la
récupération de données matérielles sur le terrain.
C'est à dire des « échantillons » comme ils les
appellent. Il s'agit de poils, d'excréments, mais aussi de traces
laissées par les ours. Sur tout le massif des Pyrénées, un
« maillage » a été réalisé par les
techniciens dont chaque carré de 4km2 a été
équipé d' une « station de suivi 42». Il
s'agit d'un enclos d'environ 25 m2 situé dans une zone boisée,
réalisé en fils barbelé et dans lequel on met des
appâts (poisson, sang de veau, maïs). Ainsi, ils peuvent recueillir
des poils et d'autres échantillons qui sont ensuite analysés
génétiquement, permettant ainsi de savoir de quel ours il s'agit
ou du moins de connaître son sexe et savoir de quelle lignée il
est issu. Ces stations sont visitées tous les quinze jours. Ce «
suivi indirect » permet aussi la réalisation de cartes et de
savoir, par exemple, si des naissances ont eu lieu.
Ces deux méthodes de suivi permettent donc de
réaliser année par année des cartes de déplacement,
d'occupation de zone et donc de voir « quel type d'habitat [l'ours]
sélectionne en priorité ». Et ainsi ils peuvent «
déterminer les sites et les domaines vitaux de l'ours » et «
ces informations [sont] essentielles pour avoir une idée de
l'activité de l'espèce, de sa situation dans les
Pyrénées ».
Leur travail consiste aussi à vérifier les
témoignages d'observation d'ours, communiquer avec le monde de
l'élevage et sensibiliser le public43. Les discussions avec
les personnes présentes sur le terrain représentent
également une part non négligeable de leur emploi du temps. En ce
qui concerne la réalisation des constats de dommages causés par
les ours, généralement, ce sont les
41 Les ours réintroduits en 2006 ont
été équipés d'un collier (qui devait être
récupéré au bout d'un an mais une défaillance
technique a fait certains colliers ne sont pas tombés) permettant de
récolter de nombreuses informations sur les activités des ours et
d'un émetteur intra-abdominal qui a une durée de vie de trois
ans.
42 Une soixantaine en tout sur le massif des
Pyrénées.
43 Cela se fait par la tenu de réunions
d'information auprès de différents publics tels que les
scolaires, les chasseurs, les éleveurs et aussi par la
réalisation de plaquettes d'information.
agents départementaux qui les réalisent,
car « ce n'est plus la branche études et recherches qui s'en occupe
». Mais ils sont habilités à les réaliser au cas
où ils seraient présents sur le secteur au moment du
dommage.
Cédric se dit satisfait de son travail, c'est
d'ailleurs lui qui a demandé à être « à 100%
sur le suivi de l'ours » parce que c'était ce qui lui plaisait le
plus. Voici ce qu'il en dit:
« C'est un travail intéressant qui permet
de rencontrer du monde, de voir une espèce qui est quand même
emblématique on peut dire, et surtout passionnante à observer et
ça jamais personne m'a dit le contraire, même les pires opposants
quand on leur a montré de l'ours, ils ont toujours été
émerveillés. On a la chance de pouvoir avoir ça assez
fréquemment. [...] C'est une passion mais [...] en même temps faut
que ça en soit pas trop une, puisque faut souvent faire la part des
choses [...] faut pas qu'on ait d'avis tranché [...] on se doit
l'impartialité»
Néanmoins, il dit que cela peut être
très difficile et qu'il y a des moments de pression dûs au fait
qu'ils sont « un peu victimes du rejet du plan ours par les opposants dans
le département ».
« Ils s'en prennent à nous parce qu'on est la
cible, on est les agents de l'État chargés du suivi des ours.
Donc on est souvent la cible de ces attaques là, c'est très dur
à supporter, on a des collègues qui ont eu des problèmes
à cause de ça et il faut être vraiment blindé et dur
et bien moralement et aussi physiquement pour supporter tout ça
».
En ce qui concerne les relations sur le terrain avec les
espagnols, Cédric dit que cela se passe très bien avec les agents
de terrain et même des fois, les agents espagnols font appel à eux
parce qu'ils sont mieux formés sur certains points. Ils déplorent
par contre quelques difficultés dues au fait que la politique locale,
concernant le suivi de la population d'ours, de certaines Régions
Autonomes espagnoles est parfois différente de la politique
ministérielle nationale. Aussi, les « échanges de
données se font plus ou moins bien selon les lieux », selon que
cela soit considéré comme prioritaire ou pas par la Région
Autonome. Il y a aussi beaucoup d'échanges de données et de
techniques avec d'autres pays d'Europe où il y a des population d'ours.
Notamment certains pays de l'est de l'Europe comme la Slovénie et la
Croatie mais aussi l'Italie et les Monts Cantabriques en Espagne.
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