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Réintroduction de l'ours dans les Pyrénées. Discours, représentations et processus d'entrée en résistance.

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par Elise LABYE
Université de Toulouse-Le-Mirail - Master 1 Anthropologie Sociale et Historique 2009
  

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II. D'AUTRES AVIS, D'AUTRES PERCEPTIONS

A. Martine, une éleveuse du label: « le Broutard du Pays de l'Ours »35

Martine est éleveuse de vaches et de brebis avec son compagnon, ils sont arrivés dans la région au début des années quatre-vingt pour se former au métier de berger. Elle est née à Paris, son père était professeur et sa mère psychologue. Son compagnon lui, est originaire d'une région rurale du centre de la France et est issu du milieu rural. Elle explique leur démarche par une « prise de position au départ » avant les premiers lâchers en 1996. A la suite de réunions, avec quelques autres

35 Les parties entre guillemets sont extraites de l'interview de Martine

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éleveurs, ils ont pris contact avec l'association « Adet, pays de l'ours » qui était en train de mettre en place la marque « pays de l'ours » en lien avec un territoire. De ces réunions entre éleveurs a découlé une volonté de « profiter de la présence de l'ours, du côté positif » pour réfléchir sur « comment valoriser cette présence auprès de [leurs] produits ». Ils ont donc créé leur association et mis en place un cahier des charges prévoyant entre autres que les agneaux de ce label doivent avoir passé l'été sur une estive en « zone à ours ».

Ce produit a trouvé de nombreux débouchés notamment pour une clientèle citadine

« écolo ». Martine explique ce succès par le fait que cette clientèle citadine est prête à consommer ce produit car il est de qualité, mais aussi pour soutenir les éleveurs qui cohabitent avec les ours36 et que pour cela ils sont prêts à payer un peu plus cher. Cette démarche a donc permis une forte augmentation du prix de la viande, permettant aux éleveurs un plus grand bénéfice. Martine pense que le développement de ce label permettrait à de nombreux éleveurs de valoriser leur production car la demande est très grande pour ce genre de produit.

Ce qu'elle déplore, c'est que très peu d'éleveurs souhaitent utiliser l'image de l'ours, car dans le monde agro-pastoral, le consensus se fait autour du refus des réintroductions. Elle pense aussi que certains éleveurs souhaiteraient le faire mais ne font pas la démarche en raison de la pression sociale parce que « vendre avec le label de l'ours, c'est pactiser avec l'ennemi ». Pour cette raison, elle explique que le nombre d'éleveurs qui font partie de l'association est faible (actuellement, trois éleveurs plus un ou deux « en périphérie ») ce qui fait que l'offre est très réduite alors qu'il y a une forte demande. Pour elle il y a là un non sens, car des gens qui ont des difficultés pour « faire tourner » leur exploitation auraient pu « avoir un produit nettement plus facile à vendre et à produire37 ».

Pour elle, il y a deux explications principales au fait que la majorité des éleveurs se soient ainsi opposés. Tout d'abord, il y a une peur « qui n'est pas raisonnée », une peur du « côté sauvage de l'animal ». Elle estime que l'on ne peut rien faire contre ça. Ensuite, la deuxième explication qu'elle donne est d'ordre plus technique. Elle pense que c'est parce que des gens ont été dérangés dans leur pratiques.

Selon elle, autrefois, la lutte contre les ours était plus justifiée qu'elle ne l'est aujourd'hui car

36 Il ressort des sondages que la population des villes est plus majoritairement favorable au projet de réintroduction que la population rurale et surtout montagnarde. Les résultats des différents sondages réalisés sont consultables sur le site du gouvernement dédié au programme de réintroduction: voir adresse en annexe.

37 Plus facile à produire, car elle explique que les naissances d'agneaux se font alors au printemps comme il est

« naturel » de le faire pour les brebis et non pas à l'automne comme le font de nombreux éleveurs, les obligeant à « désaisonner les naissances ».

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c'était une « question de survie » même si « en tant qu' écolo » elle ne « la tolère pas plus ». Elle dit que, à cette époque, il y avait « beaucoup de gens, pas un seul arbre, tout le monde essayait de vivre sur son petit lopin de terre, c'était très difficile, y'avait des ours et des hommes donc c'était forcément la lutte ». Elle pense que ceux qui sont des descendants des paysans de cette époque ont gardé cet état d'esprit selon lequel « leurs ancêtres se sont battus contre l'ours » et il faut donc « défendre [son] lopin de terre ».

En ce qui concerne les néo-ruraux venus s'installer dans la région à partir des années soixante-dix, elle avance une explication tout à fait différente. Elle dit que lorsqu'ils sont arrivés dans la région, celle-ci était très dépeuplée, ils sont donc arrivés dans des « territoires inoccupés » et ils ont pu les occuper « en toute liberté, en toute quiétude, surtout en montagne » contrairement à ceux qui comme elle et son compagnon, habitant dans une zone de piémont, ont « toujours dû contenir [leurs] bêtes pour qu'elles aillent pas chez les voisins ». Et donc, dans ce contexte, comme elle le décrit, « quand l'ours est arrivé il a été un voisin particulièrement désagréable ». Elle estime que « les ancêtres n'occupaient pas l'espace comme il le font » et qu'ils avaient « une gestion du pâturage qui était très correcte ». En gérant l'espace comme ils l'ont fait, ils auraient favorisé une fermeture du paysage. Car « les brebis en liberté ne gèrent pas le pâturage, elles laissent le mauvais qui continue à grandir, les arbres montent et referment le paysage alors qu'avec un berger et un chien la forêt se tient là où elle est ».

Pour ces raisons, selon elle, de nombreux éleveurs n'appliquent pas les méthodes de protection de leur troupeau et donc ceux qui sont « vraiment embêtés avec l'ours, sont ceux qui ne mettent rien en place pour protéger [leurs troupeaux], si on veut prouver que l'ours est négatif, on met pas en place des mesures de protection ».

Pour Martine, la présence de l'ours est « un plus pour le métier de berger car ça a permis de faire voir que ce métier a été abandonné et les brebis laissées en liberté » et que quand « y'a un ours en liberté dans ces espaces là c'est impossible ». Et donc avec les subventions de l'Etat dans le cadre du plan ours, on peut « remettre des pratiques, reformer des bergers, des chiens, re-garder ses brebis, refermer des espaces, re-clôturer ». Pour elle c'était donc « enfin une possibilité d'avoir une reconnaissance, enfin Paris s'occupait de savoir qu'il y avait des bergers en montagne qui s'occupaient d'un espace ». Et donc elle trouve dommage que les politiciens ne l'aient pas « tourné à l'avantage du département et de toute la chaîne des Pyrénées ». Selon elle, des personnalités politiques ont attisé « la grogne ».

Contrairement aux adhérents de l'Aspap, Martine relègue dans le passé le fait qu'il n'y ait plus

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de place pour les ours sur le territoire pyrénéen, pour elle c'est une époque révolue du temps où les Pyrénées étaient surpeuplées et les montagnes exploitées au maximum. « Jamais de la vie on ne réutilisera tous ces espaces au point que l'ours ou le loup ne puissent plus vivre ». Pour elle, le refus de cohabiter avec les ours n'est plus justifiable car s'il pouvait se comprendre de la part des paysans qui vivaient il y a un siècle quand c'était une question de survie, il est par contre irrationnel de la part des paysans contemporains qui sont moins nombreux, qui ne sont pas en situation de survie et à qui on donne les moyens financiers de protéger leurs troupeaux.

Ensuite, elle condamne le fait que face à des éléments qui perturbent les activités humaines, la réponse des hommes soit de tuer. « La politique de tuer ce qui nous ennuie elle est impossible à long terme ». Pour elle l'homme doit se protéger face aux éléments qui freinent ses activités. L'ours est donc dans sa vision un élément auquel il faut s'adapter au même titre que « les guêpes, les scorpions, les accidents de voiture, les orages,... ». Martine explique ainsi les raisons pour lesquelles elle et son compagnon croient en la cohabitation:

« C'est vrai que nous on a toujours été écolos donc forcément quand on est écolos [...] on se place nous êtres humains à la même hauteur que le reste, on se met pas en tant que supérieurs et comme ayant des droits que les autres n'ont pas. On estime au départ que l'ours a autant le droit que nous de vivre dans les Pyrénées, [...] à partir du moment où on pose cette loi qu'il a autant le droit que nous de vivre que nous ainsi que tout ce qui existe quoi, [...] il faut bien trouver un moyen de cohabiter ».

Dans le monde agro-pastoral, en tant que personnes favorables à la réintroduction, Martine dit qu'ils se sentent « à côté, pas entendus, pas reconnus ». Puis, à propos de ceux qui ont fait la démarche d'oeuvrer dans le sens d'une cohabitation avec l'ours: « on est pas cachés mais on est dans l'ombre parce qu'on peut pas s'afficher publiquement ». Au niveau de la mise en place de nouvelles pratiques et de nouveaux aménagements pour le monde pastoral, elle déplore le fait que « les pôles de compétences [soient] séparés par des clivages politiques et idéologiques ». Ce qui selon elle amène à des contradictions et à un manque de cohésion sur le terrain en partie dûes au fait qu'il n'y a pas assez de corrélations entre la politique du ministère de l'écologie et celle du ministère de l'agriculture. Elle pense que s'il n'y avait pas ces clivages sur le terrain « toutes les montagnes auraient des bergers compétents et des pratiques correctes [...] [et que] mille et une choses pourraient être faîtes [...] soutenues financièrement ».

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Néanmoins, Martine ne perd pas espoir. Elle pense pour l'instant que la situation est bloquée. Mais elle dit que progressivement « ça se tassera ». Il faut selon elle attendre un changement de génération afin que les mentalités évoluent et que les personnes qui actuellement veulent stopper le projet ne soient plus en activité. Alors seulement, le projet pourra se développer dans de meilleures conditions, les gens accepteront la présence des ours et les éleveurs pourront commercialiser leurs productions avec le « label ours ». « Maintenant c'est foutu pour une bonne décennie, va falloir attendre que ces gens là aient quitté le métier de la politique et de l'élevage ».

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"Je ne pense pas qu'un écrivain puisse avoir de profondes assises s'il n'a pas ressenti avec amertume les injustices de la société ou il vit"   Thomas Lanier dit Tennessie Williams