5. l'impact des prédations sur les hommes et
leur travail
Les adhérents de l'Aspap estiment que les
indemnités ne sont qu'une compensation financière
33 Sur ce point, pour M. Joly, c'est le fait que ses
bêtes mangent principalement de l'herbe qui en fait des produits naturels
et même «bio ».
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qui ne peut réparer le tort émotionnel
causé aux éleveurs et aux bergers, selon leur degré de
sensibilité. Et aussi le tort causé au travail que constitue
l'élaboration du troupeau. Et cela d'autant plus qu'ils se
présentent comme des passionnés, travaillant beaucoup, mais avec
plaisir. Sans cette passion, beaucoup disent qu'ils ne feraient pas ce
métier là qui ne rapporte pas beaucoup voire même,
quasiment rien.
« On a les exploitations qui sont sentimentalement
vivables...mais...pas pratiquement... » (M. Joly)
«L'argent ça n'a rien à voir avec
avec le fait du sentiment qu'il retrouve l'éleveur...l'éleveur il
a tout perdu là...il a perdu toutes les brebis qu'il avait tous les
jours qu'il a nourri, les brebis les agneaux qui sont nés...qui sont
passés par les doigts, que tu fais téter, t'y passes des heures
à faire téter et...merde tu t'y attaches à ces bêtes
! C'est obligé ou alors t'es mauvais éleveur ». (M. Joly
à propos d'un éleveur qui a perdu un grand nombre de brebis suite
à un dérochement causé par une attaque d'ours)
« Nous au début on l'a perçu comme une
atteinte à notre travail voilà...dans la mesure où on
considère que, on vit la constitution, l'élaboration, la
construction d'un troupeau comme le travail de toute une vie...(pause) donc
quand on a eu les premières attaques, ça m'a beaucoup
touché parce que j'ai pas compris [...] qu'on détruise, qu'on
touche à la production...au travail d'autrui, quand je dis travail [...]
ça fait plutôt appel à la créativité de
l'individu ». (Laurent)
Ensuite, ils estiment que les dommages
collatéraux34 ne sont pas suffisamment pris en compte et que
parfois ils ne peuvent pas être pris en compte comme dans le cas des
bêtes qui ne sont pas retrouvées. Il faut bien une preuve pour
être indemnisé, mais dans ces cas là, ils ne peuvent pas
l'être faute de preuve.
Ils pensent que ceux qui ne vivent pas la situation ne
peuvent pas comprendre et que c'est pour cela qu'ils ne sont pas soutenus au
delà du niveau local. Et il semblerait également que certains de
ces éleveurs de montagne souffrent du fait que l'image qu'ils ont
d'eux-mêmes est très différente de celle que le reste de la
société leur renvoie. L'image de personnes qui vivent en dehors
des réalités de la société, peu sociables,
égoïstes, qui ne veulent pas laisser de place à l'ours. Et
c'est notamment par le biais de l'Aspap qu'ils souhaitent pouvoir exprimer et
changer cela.
« Mais celui qui est pas dedans, il peut pas se
rendre compte, c'est pas possible » (M. Joly)
34 Tels que les avortements, le stress causé aux
bêtes, le temps parfois très long qu'il faut pour rassembler le
troupeau et qui oblige à abandonner les autres tâches en
cours.
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« C'est sûr que suivant qu'on est
éleveur et victime d'attaques, on a pas le même raisonnement que
celui qui le voit de l'extérieur. [...]Ce qu'il faut lutter aussi, c'est
contre cette image de ringardise de tous ceux qui sont contre, c'est des
ringards c'est des vieux machins heu...ils ne pensent qu'à eux, non
c'est pas ça quoi, enfin nous on se considère pas du tout comme
ça quoi...on est ouverts à plein de choses »(Mme.
Joly)
A propos de cet impact psychologique, une des
éleveuses interviewée raconte qu'il y a une
spécificité dans le rapport entre un éleveur et son
troupeau de brebis qui pourrait expliquer une sensibilité
particulière en cas d'attaque sur le troupeau. En effet les brebis sont
des animaux qui vivent en troupeau, et ont l'esprit grégaire, comme
s'ils ne formaient qu'une seule entité, un peu comme un banc de
poissons. Et cela obligerait l'éleveur ou le berger à une
attention constante particulière à son troupeau le rendant plus
sensible en cas de perturbation par un élément extérieur.
Voici comment Bernadette exprime cette idée:
« T'as quand même une sensibilité comme
ça au troupeau, c'est un effet de troupeau les brebis c'est pas des
animaux c'est un troupeau, c'est très particulier et...t'es toujours en
communication avec le troupeau donc quand y'a des événement comme
ça qui arrivent c'est c'est très traumatisant... même si tu
fais pas de la sensiblerie si tu veux, je sais pas comment dire donc
voilà...y'a une réponse quoi tu réponds et si t'as pas
cette capacité là, tu fais pas d'élevage longtemps parce
que tu te plantes, ça veut dire que tu perçois pas les
problèmes » (Bernadette)
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