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Réintroduction de l'ours dans les Pyrénées. Discours, représentations et processus d'entrée en résistance.

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par Elise LABYE
Université de Toulouse-Le-Mirail - Master 1 Anthropologie Sociale et Historique 2009
  

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2. À propos des ours réintroduits.

a. Des ours déviants...

Cette question des limites que les ours ne doivent pas dépasser pour être acceptés par les hommes est à rapprocher de ce que Isabelle Mauz(2006, p.37) a relevé concernant d'autres animaux sauvages dans les Alpes, les chamois et les bouquetins:

« Le caractère plus ou moins déviant des animaux est mesuré à l'aune de leur distance à ces repères [l'orée du bois, la rivière, la route,les habitations], comme si en se rapprochant d'eux, et à fortiori en les franchissant, ils trahissaient une aggravation de leur cas. Que les bouquetins, contrairement aux chamois, sortent de la forêt et traversent les routes est considéré comme la preuve qu'ils ne respectent pas des frontières cependant clairement délimitées et bien

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reconnaissables.

La « prolifération » du sauvage doublé de sa « descente » est assimilée à une véritable invasion. Sentiment qu'accentue, par contraste, le retrait apparent des animaux domestiques. Ceux-ci ne sont pas tellement moins abondants que par le passé mais, concentrés dans un petit nombre d'exploitations agricoles, ils semblent moins présents. »

Les ours qui ont été réintroduits sont donc considérés tantôt dans leur dimension d'animal sauvage tantôt dans une dimension qui les rapproche plus d'animaux domestiques ou du moins d'animal sauvage qui sort de son rôle, de ses limites et c'est bien ce qu'on lui reproche. Les ours réintroduits apparaissent comme des animaux « déviants », dont on ne sait plus s'ils sont sauvages ou domestiques, car ils ne respecteraient pas certaines normes et adopteraient des comportements qui ne sont pas tolérés de la part d'animaux sauvages.

Différentes raisons sont invoquées par ces personnes pour expliquer cette vision qu'ils ont de leur comportement. Tout d'abord, les ours ne sont plus chassés par l'homme et ils n'en ont donc plus peur ce qui les rendraient plus dangereux car moins distants, et d'autre part, leur déviance viendrait du fait qu'ils sont inadaptés au milieu naturel des Pyrénées car venant d'un pays où les montagnes sont moins hautes. De plus, la façon dont ils vivent là-bas aurait modifié leur régime alimentaire au fil des générations. Ainsi une des principales mises en cause de ces ours est de dire qu'ils seraient plus carnassiers que les ours autochtones, en raison du fait qu'ils auraient été nourris de carcasses d'animaux pendant des générations, en Slovénie, et que cela aurait modifié leur comportement alimentaire.

« Ces ours slovènes, amenés qui vivent à 600, 700 mètres d'altitude, qui ont des comportements tout autres que nos ours pyrénéens nous ennuient, ce sont des viandards, ils ont été nourris, ils restent habitués à cette viande [...] ils se comportent comme des jeunes chiens qui font les cons »(Bernard)

Selon Annie, agent de l'Oncfs, la fermeture du milieu expliquerait le fait que les ours descendent plus près des zones d'habitation, car la reconquête des espaces de moindre altitude par la forêt et la broussaille leur permet de coloniser ces zones où ils ne sont plus à découvert. On dit que c'est pour cela qu'autrefois les ours restaient dans la haute montagne. A l'époque ils n'y avait pas autant de végétation dans le fond des vallées et en plus, les ours savaient que les hommes les chasseraient s'ils descendaient trop bas, ainsi cela n'arrivait que lorsqu'ils étaient affamés mais dans

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ces cas là, ils étaient bien souvent abattus.

b... qui entraînent un sentiment d'insécurité...

Cette idée que ces ours sont plus familiers et n'ont pas peur de l'homme entraîne chez les habitants des villages de montagne un sentiment d'insécurité et de très nombreuses d'histoires d'ours vus aux abords des habitations circulent en Haute-Ariège. Des histoires où les ours franchissent les « repères » dont parle Isabelle Mauz. Ils traversent régulièrement les routes et on raconte qu'il arrive d'en voir un se désaltérer depuis le café surplombant le torrent dans un village traversé par la route nationale. Au printemps, ces inquiétudes peuvent être fortes dans certaines fermes situées en limite de zone intermédiaire comme c'est le cas de M. et Mme Joly, elle s'exprime ainsi à ce sujet:

«Mais il n'empêche que, après chaque attaque au printemps [...] [nos] petits enfants viennent régulièrement se promener dans les champs et tout...chaque fois qu'il y a une première attaque c'est au printemps, c'est quand même l'époque où on commence à sortir on se promène avec les petits, pendant trois mois y'a une chape de plomb qui tombe, on sort plus et on ne laisse plus les enfants dehors on leur dit de rentrer, ne vous éloignez pas, alors qu'on vit dans un domaine exceptionnel vraiment on est tranquilles, on a la sécurité y'a des espaces verts c'est magnifique c'est la nature [...] et d'un coup on se dit on est agressé, on se sent plus en sécurité, un peu comme si on vivait au centre ville et que y'avait des agressions sur des gens [...] on n'est pas

habitué et pour nous c'est extrêmement choquant ça ».

Parfois, cela s'exprime simplement par un « on y pense » quand il fait nuit et qu'il faut faire un trajet à pied par exemple ou qu'une bête vient d'être attaquée: «Peur on en a pas, mais le moindre bruit tu te dis...c'est peut-être ça...[...] même le plus courageux il y pense »(M.joly). Des craintes sont également évoquées par des éleveurs quant à la sécurité des gardiens de troupeaux sur les estives.

La présence des ours inquiéterait aussi certains touristes24 et le bivouac serait de plus en plus rare, les gens préférant dormir dans les cabanes ou dans les refuges. « En plein été c'était courant de voir des tentes sur les estives [...] y'avait des familles...même des randonneurs qui allaient à la

24 Encore une raison qui selon eux remet en cause le bénéfice que ces ours représenteraient pour le tourisme, certains précisent que si l'ours peut avoir un intérêt touristique pour les Pyrénées, ce n'est pas le cas pour les zones où il est en présence régulière comme en Haute-Ariège.

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pêche, des tentes tu en vois plus, les types s'ils y vont dormir, ils vont dormir dans les cabanes ». La présence d'ours en montagne aurait donc modifié certaines habitudes des randonneurs.

c. ...et victimes de la volonté de l'homme de tout gérer ?

Dans les propos des gens revient souvent l'idée que ces ours sont victimes de la volonté de l'homme de tout contrôler, même le sauvage. On les manipule, on les utilise, on les opère pour leur mettre un émetteur dans le ventre, on les recapture, puis on les relâche, on soupçonne qu'ils sont nourris et on s'étonne de toute cette attention qu'on leur porte25. Ils semblent ainsi perdre leur

caractère sauvage aux yeux de ces personnes qui critiquent le caractère artificiel de cette réintroduction et l'humanisation dont ils sont l'objet. C'est pourquoi Jean refuse de les nommer: « je veux pas les appeler par leur nom, je m'y refuse ».

« Le plus malheureux dans l'histoire euh hormis tous les gens qui étaient touchés, c'était qu'on se servait de ces ours pour véhiculer et pour faire passer surement d'autres enjeux [...] quand je vois la façon dont ils ont été ramenés, capturés ramenés euh en fait il y est pour rien quoi, on aurait mieux fait de les laisser dans les forêts où ils étaient je pense qu'ils étaient mieux qu'ici...opérés équipés d'émetteurs euh suivis nuit et jour...euh c'est pas de l'écologie ça, c'est [...] une opération médiatique ! » (Laurent)

«Pourquoi y'a des secteurs il faut qu'il y soit et des secteurs il faut pas qu'il y soit ? Pourquoi c'est pas à lui à décider où c'est qu'il veut vivre ? Puisqu'il faut le laisser en liberté...Les secteurs qu'ils le jugent qu'il est trop en danger [...] ils y vont ils l'effarouchent, pour le faire partir ailleurs, ça fait que l'ours il est toujours en train de naviguer, il a pas de territoire...et c'est pour ça qu'il y aura des problèmes... c'est parce qu'une fois de plus, l'homme il veut tout gérer...y'a des fois c'est pas à lui à gérer tout, il faut laisser la nature aller...enfin moi c'est mon avis ». (M. Joly)

Raphaël Larrère (1999) a souligné la contradiction qu'il y a à qualifier de sauvages les animaux réintroduits par la main de l'homme et qui proviennent le plus souvent de zoos ou d'élevages26 : « Ainsi, le retour du sauvage qui symbolise l'ensauvagement des campagnes, n'est

25 Ce type de réflexions revient souvent à propos de Balou, un des ours relâchés en 2006 qui s'était d'abord dirigé vers la région toulousaine et dont les rumeurs disent qu'il a été plusieurs fois recapturé ou éffarouché pour être redirigé vers la montagne. Il a été bléssé en 2008 lors d'une partie de chasse et donc l'objet d'une attention particulière de la part de l'équipe du suivi de l'ours

26 A la différence que ce n'est pas le cas ici, bien que Jean qualifie les ours slovènes « d'ours d'élevage », ils vivent en liberté dans les forêts slovènes.

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qu'une image: la pratique est, en fait de contrôler la reproduction d'animaux que l'on a dû ensauvager » . Et à propos du fait que l'on parle souvent de ces animaux comme s'ils étaient des animaux domestiques (ils ont un nom, des métaphores anthropomorphiques sont utilisées pour parler d'eux), il écrit que « s'impose une représentation domestique, familière, parfois même humanisée des animaux réintroduits [et que] cette imagerie conduit à une confusion des catégories du sauvage et du domestique ». La perception que les opposants au plan de réintroduction ont des ours réintroduits semble effectivement symptomatique de cette confusion des catégories du sauvage et du domestique.

Il y a donc deux sortes d'ours pour ces gens, ce qui se traduit de manière flagrante dans leur façon d'en parler. Les ours autochtones jouissent d'une image presque positive, amènent à l'expression de regrets concernant leur extinction et sont même parfois évoqués en termes affectueux. A l'opposé, les ours réintroduits sont décrits comme des animaux déviants dont on ne sait plus s'ils sont sauvages ou domestiques. A la fois ils font peur et sont objet de compassion.

L'attention qu'on leur porte semble amener certains éleveurs à se sentir dévalorisés, mis en marge, estimant que l'on fait plus cas du sort d'un animal, certes emblématique et en voie d'extinction dans les Pyrénées, que du leur. « S'il y a des animaux en voie de disparition c'est nous quoi...nous on est vraiment en voie de disparition, et personne nous protège »(Mme. Joly). Quelque part, ils revendiquent le fait d'être eux aussi emblématiques et en voie d'extinction. Cela leur paraît d'autant plus injuste qu'ils se sentent victimes d'un projet écologique alors qu'ils se considèrent eux-mêmes, en tant qu'agriculteurs de montagne, comme écologistes, appliquant des méthodes d'élevage en accord avec l'environnement, par opposition aux exploitations intensives de la plaine qui utilisent engrais et pesticides.

Les ours réintroduits sont donc pour eux comme le symbole d'une ingérence dans leur territoire et, d'un irrespect de leurs pratiques et de leur avis sur la question de la gestion des espaces montagnards. C'est donc à d'autres hommes qu'ils en veulent, ceux qui ont mis en oeuvre le plan ours et dont ils pensent qu'ils n'ont pas compris la façon dont cela fonctionne en montagne.

En conclusion, les ours réintroduits sont perçus négativement par une certaine partie de la population vivant sur les territoires où ils sont présents. Ils sont considérés comme différents des ours autochtones en raison de leur comportement, ce qui justifie à leurs yeux leur inadaptation et donc en partie leur illégitimité sur le territoire. D'un autre côté, le fait que les ours réintroduits et les ours autochtones soient génétiquement identiques car faisant partie de la même espèce d'ours (ursus

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arctos) et plus précisément de la sous-espèce européenne, remet, selon eux, en cause leur caractère d'animal en voie de disparition, du fait que cette sous-espèce est plutôt abondante dans certains pays européens tels que la Russie par exemple.

Par contre, les personnes qui sont favorables au plan ours ne semblent pas faire cette distinction, pour eux il n'y a qu'un seul ours: c'est l'ours brun. Ils ne font pas de différence entre ours réintroduits et autochtones en tout cas pas en ce qui concerne leur comportement. Et ce, d'autant plus que ces ours réintroduits sont là pour renforcer cette population autochtone, se reproduire avec elle pour sauver le noyau d'ours qui restent. Ce qui semble important pour eux, c'est surtout la présence d'ours sur le territoire pyrénéen comme garant de la « bonne santé » du territoire. Et le fait que ce soit des ours slovènes d'une lignée différente, mais néanmoins génétiquement identique, ne semble pas être une caractéristique déterminante de la perception qu'ils en ont.

Et contrairement à ceux qui considèrent que les ours slovènes ne sont pas adaptés aux Pyrénées, Martine qui est éleveuse et pour la réintroduction, considère au contraire que ces ours se sont parfaitement adaptés, que leur reproduction se passe bien et que le territoire est tout à fait adapté à leur développement.

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"Enrichissons-nous de nos différences mutuelles "   Paul Valery