B. Quelles perceptions des ours ?
1. À propos des ours autochtones.
Lorsqu'ils parlent des ours, ils le font dans des termes
très différents selon qu'il s'agit des ours réintroduits
ou des ours de la population autochtone. Le fait que certains utilisent le
terme
« introduction » et non «
réintroduction » lorsqu'il parlent du plan ours marque cette
différence. Tous sont d'accord pour dire que la présence de
prédateurs est incompatible avec le pastoralisme et se justifient
souvent en faisant référence au passé: on éliminait
les ours qui attaquaient les troupeaux et l'État donnait des primes pour
cela. De plus, du fait que les ours bruns ne sont pas classés par l'UICN
(Union Internationale pour la Conservation de la Nature) comme espèce en
voie de disparition au niveau européen, ils estiment qu'il n'est pas
primordial de recréer ou de renforcer la population d'ours sur la
chaîne pyrénéenne.
Néanmoins, lorsque qu'ils parlent des ours
autochtones certains le font avec sympathie et regrets quant à leur
disparition, mais ils estiment que c'est trop tard, que la lignée
pyrénéenne est éteinte. Le plus souvent ils en parlent
pour les comparer, les opposer aux ours réintroduits, jugés
différents .
« J'étais vraiment pour défendre ce
que j'appelle une population ursine autochtone, donc ça c'était
nos vieux ours, je, c'était très difficile, c'était
très difficile, notre ourse qui a été tuée par un
chasseur, qui était ce que j'appelle moi des nôtres... »
(Bernard).
« Vouloir préserver la souche
pyrénéenne de toute façon c'est trop tard il ne reste plus
que
de petits vieillards édentés qui ont
largement dépassé l'andropause... » (Nicolas).
« Voilà c'est vrai que c'est sûrement
un constat malheureux que l'ours autochtone ait disparu mais bon euh c'est
comme beaucoup de choses de l'existence du règne végétal
animal, voilà c'est comme nous...euh un jour ou l'autre euh y'a quelque
chose qui s'éteint...bon je le vois comme ça...peut-être
que c'est à ce moment là mais euh maintenant on peut tout dire,
à cette époque là qu'il aurait fallu des mesures de
conservation plus draconiennes, se pencher sur le problème, en attendant
le constat c'est que y'a je sais plus trois quatre ours autochtones qui
tournent en rond qui sont en consanguinité... »
(Laurent)
Le plus souvent, ils évoquent les ours autochtones
pour opposer leurs qualités à celles des ours
réintroduits, pour dire qu'ils étaient, eux, plus adaptés
au milieu, qu'ils savaient les limites à ne pas dépasser,
c'est-à-dire se cantonner aux zones de haute-montagne loin des villages
et des exploitations agricoles. Et de toute façon, s'ils
dépassaient ces limites, les gens avaient la possibilité de les
abattre et les ours « le savaient » ce qui les incitait à
rester à l'écart des hommes. Et ce par opposition aux ours
réintroduits qui ne respecteraient pas ces limites.
« C'est absolument pas une espèce en voie de
disparition maintenant que l'ours des Pyrénées on ait fait tout
ce qu'on a pu pour maintenir la population et bé j'aurais un tout autre
discours mais pas l'introduction...[...] parce que ça aurait
été de toute façon en nombre limité avec des
bêtes habituées à , au système d'exploitation donc
des bêtes qui vivent que dans des endroits assez reculés mais
là ces ours introduits y connaissent rien au pays, ils ont des habitudes
alimentaires complètement différentes...[...] qu'il y ait trois
ours qui se tiennent à peu près correctement, mais des ours de
montagne enfin des...pas des ours d'élevage quoi !
»(Jean)
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Cet extrait de l'entretien de M. et Mme Joly m'a paru
particulièrement significatif de cette
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distinction qui est faite entre ours autochtones et ours
réintroduits:
« Lui:...dans les Pyrénées y'en avait
toujours des ours...y'a y'a enfin le noyau ici mon grand-père il me
disait qu'il y en avait...mais la seule euh la seule présence de l'ours,
de sentir l'odeur humaine il s'enfuyait...
Elle: et puis quand y'avait un ours qui descendait trop
dans les villages ils prenaient le fusil ils l'abattaient point...ça
faisait partie des moeurs de l'époque donc ils n'étaient pas
menacés directement, les ours se tenaient en altitude et quand y'en
avait un par hasard qui s'amusait à descendre trop bas bah ils prenaient
les armes et ils s'en débarrassaient!
Lui: un ours qui est vraiment affamé qui
descendait dans des exploitations...ils le tuaient point...et ils avaient des
primes en plus...[...] donc ils étaient en estive et ils entendaient les
plombs de temps en temps et ils avaient peur de l'homme quoi...et là
y'avait, ça se passait très...comme ça...
Elle: ils avaient pas le même
comportement...
Lui: non mais c'est pas...et puis...ça a pas
été des ours qui ont été réimplantés
ça avant ils étaient de souche naturelle...
Elle: comme l'an dernier y'en a un qui se fait prendre
sur la route nationale par une voiture hein là y'en a une autre qui se
retrouve en pleine partie de chasse qui prend un plomb enfin ils sont en plein
milieu de la civilisation là euh...ils vivent avec les gens ce qui
n'était pas le cas à cette époque là...personne
n'aurait supporté de voir des ours traîner comme ça
».
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