5. réinvestir les territoires de montagne
33
Face à ce qu'ils voient comme une volonté
d'ensauvager les montagnes, ils estiment qu'au contraire, il faudrait que les
montagnes soient plus peuplées et ils trouvent illogique que l'on mette
en oeuvre des actions qui ont pour conséquence une
accélération de la diminution du nombre d'éleveurs de
montagne. Ils voudraient que l'on favorise plus l'installation de gens dans les
montagnes et ils y voient même une solution à certains
problèmes de société.
«Quand tu vois dans les villes au contraire
où tout est prêt à exploser parce qu'y a pas de boulot, que
les gens ils n'arrivent plus à se loger, ils n'arrivent même plus
à manger correctement et qu'on ne favorise pas justement l'installation
dans les campagnes mais c'est c'est la solution de demain c'est ça!
...au moins laisser ceux qui y sont., ne pas leur dire vous fermez les portes
et vous allez pointer au chômage à Toulouse» (Mme
Joly)
C'est donc plutôt un réinvestissement des
milieux ruraux qu'ils préconisent, pas simplement comme lieu de
résidence mais comme lieu de travail, d'exploitation des ressources
naturelles pour l'agriculture, l'élevage. Donc pour eux, il y a quelque
chose d'illogique, dû au système économique dans lequel on
évolue, dans le fait de laisser à l'abandon des zones qui
pourraient faire vivre des gens, les «nourrir ». Ce qui leur
paraît illogique c'est notamment que des gens qui sont dans les villes
n'arrivent pas à vivre correctement alors que des zones rurales sont
à l'abandon sans personne pour les cultiver ou les exploiter. Et c'est
d'ailleurs même en partie pour cette raison que Laurent est venu
s'installer dans la région pour devenir éleveur :
« Je supportais mal de voir tous ces pays euh en
voie de désertification...(pause)...parce que y 'a un potentiel
énorme euh quand je vois tous ces gens qui font les fins de
marché pour ne pas dire les poubelles...qui ont des salaires euh...c'est
y'a y'a vraiment quelque chose qui ne va pas quoi, alors qu'on est sur des
dizaines pour ne pas dire des centaines d'hectares qui pourraient nourrir
euh...toute une population euh...donc moi j'ai choisi ca ».
Les éleveurs de montagnes sont conscients des
difficultés que rencontre leur profession. Mais ils ont aussi conscience
que leur travail est bénéfique pour le maintien d'un certain
paysage et semblent avoir incorporé cette fonction de « jardinier
de la montagne » et même, ils la revendiquent. De plus ils ont
conscience que leur activité longtemps marginalisée, car peu
productive, peut aujourd'hui au contraire être valorisée comme un
mode de production respectueux
34
de l'environnement générateur de produits
naturels de qualité. D'autant plus que la demande en produits
écologiques est en pleine augmentation.
En conclusion, ce que ces gens ont a reprocher à
cette réintroduction, c'est notamment le fait que cela va à
l'encontre de la façon dont ils considèrent que le territoire
doit être géré. Et aussi, parce que cela vient perturber
leurs habitudes, que c'est une contrainte qui s'ajoute à d'autres
déjà existantes. Ils contestent le caractère
écologique de cette opération de réintroduction qui d'un
autre côté leur semble mettre en péril une activité
agricole respectueuse de l'environnement, par opposition aux exploitations
agricoles de la plaine de type plus industriel qui produisent en masse et non
en qualité. Leur activité, ils la voient comme
bénéfique pour le paysage et donc indispensable pour le tourisme
et pour le territoire. Tout ceci les amène à se considérer
comme écologistes, les « vrais écologistes », par
opposition à ceux qu'ils considèrent comme centrés sur une
espèce dite emblématique et voulant « ensauvager leurs
montagnes » pour revenir à une sorte de nature originelle
préservée de l'action « néfaste » de l'homme. Et
c'est pour cela, et ils le disent, que la cible de leur colère, c'est
ceux qui ont fait en sorte que ce plan voie le jour et ceux qui le mettent en
pratique tous les jours, bien plus qu'une colère envers l'animal sauvage
qu'est l'ours: « j'en veux pas particulièrement à l'ours
à la bête [...] [mais]c'est le mode de réimplantation de
l'ours... » (M.Joly).
|