4. la perturbation d'un équilibre: celui du
système de transhumance.
On retrouve cette idée que le plan ours viendrait
perturber quelque chose de fragile: l'équilibre qui existe en montagne
entre les hommes, leurs troupeaux et la nature qui les entoure. Un
équilibre qui est signifié par la pratique de la transhumance,
c'est à dire l'utilisation des espaces de haute montagne pour
l'élevage.
«Nous, la vie telle qu'on a choisi de l'avoir depuis
des années (Laurent et sa femme ne sont pas issus d'un
milieu agricole et sont venus par choix dans cette région)
c'était une recherche d'équilibre, une recherche
d'harmonie avec tout un milieu naturel et évidement avec un contexte
social et euh donc comme la base de notre économie c'était un
troupeau d'ovins transhumant...c'était l'amélioration du foncier
et euh enfin tout un équilibre entre un pays et des gens, nous on a
ressenti ces attaques comme une atteinte voilà et c'est vrai que moi
dès le début ça m'a révolté [...]
après euh les prédations...c'est c'est j'allais dire c'est du
fait divers c'est...le fond du problème il est pas là...le fond
du problème c'est une perturbation...énorme de tout un
équilibre qui est, qui reste fragile qui reste fragile malgré
tout parce que c'est des conditions géographiques, des conditions
météorologiques qui font que...l'agriculture l'élevage de
montagne euh...et encore plus l'utilisation des grands territoires, les estives
restent quelque chose de très fragile...très très fragile
et le moindre grain de sable peut venir bloquer toute une
dynamique...voilà... » (Laurent)
Et, cette pratique de la transhumance, leur apparait
comme essentielle, pour l'exploitation, et même vitale. C'est une
pratique qui fait partie intégrante de la plupart des exploitations de
montagne et, moins fréquemment tout de même, pour des structures
qui sont plus bas dans les vallées comme c'est le cas de Bernard. Pour
des éleveurs qui ont peu de surface pour faire pacager leurs troupeaux,
cela représente une alimentation de qualité pour leur troupeau et
à un coup raisonnable. L'été quand tout est sec en bas
dans les vallées et en plaine, l'herbe est toujours abondante en
montagne.
« Ici placés comme on est [en zone
intermédiaire, à environ 900m d'altitude] on pourrait pas faire
autrement...non...avec la race qu'on a...puis c'est des terrains pauvres
ici...c'est très c'est
des terrains très légers...euh pour nous
l'estive c'est le poumon, c'est le poumon de
l'exploitation ».(Laurent)
«Pour l'équilibre de nos exploitations une
exploitation de montagne ça se conçoit pas sans une estive
et...l'estive c'est pas un plus à l'exploitation, c'est ça fait
parti de l'exploitation »( Jean)
Le système de transhumance est
présenté comme indispensable, particulièrement
adapté au territoire et le seul qui permette la survie de l'exploitation
en libérant du temps et de l'espace pour l'éleveur pendant les
mois d'été. Ce système est pensé comme actuel,
performant, très adapté et pas seulement comme une tradition d'un
autre âge qui serait maintenue pour son côté
folklorique.
« C'est important parce que c'est...à la fois
en terme de ressources fourragères, les bêtes vont en altitude
pendant l'été et libèrent les prairies et les endroits
plus plats qui sont autour des villages qu'on peut utiliser pour faire du foin,
ça c'est le truc traditionnel et c'est aussi important en terme de
travail parce que pendant une période de l'année on a pas la
charge des bêtes et ça nous permet de faire justement les travaux
des foins et en plus l'été il fait très chaud en bas et
les bêtes sont mieux en altitude, l'herbe y est plus riche, y est plus
variée et c'est tout ce système qui est ancestral et qui est
hyper bien adapté à la région. »(Jean)
Il y a chez les éleveurs le sentiment qu'ils ne
peuvent pas être compris concernant ce système de fonctionnement
et que seuls ceux qui le vivent peuvent le comprendre. Ils pensent que c'est en
vivant en montagne que l'on peut comprendre ce qu'ils décrivent comme
une sorte d'alchimie subtile entre des hommes et un territoire que même
les gens de la profession travaillant dans la plaine ne peuvent pas percevoir.
On touche ici à ce qui fait une des spécificités de
l'identité montagnarde, la façon dont cette population se
perçoit, se définit, se démarque par rapport aux gens de
la plaine, de la ville.
« L'estive c'est pas un plus à
l'exploitation, ça fait parti de l'exploitation et bon je sais que c'est
incompréhensible pour des gens de la plaine même pour des gens de
la profession, pour des éleveurs de la profession...c'est
compliqué à comprendre cette façon de fonctionner euh et
cette organisation... » (Jean)
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