3. un territoire, des savoir-faire: un patrimoine
local
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En ce qui concerne le territoire, en premier lieu, ils
estiment qu'il n'est plus adapté à la présence de grands
prédateurs comme l'ours, car selon eux il y a trop d'infrastructures
humaines (notamment routières) et trop d'humains pour qu'il puisse y
avoir à nouveau une population d'ours importante sur le massif. Ils
pensent par exemple que le dense trafic présent en Haute-Ariège
sur la nationale qui conduit au Pas de la Case est un obstacle sur le
territoire des ours. Le danger que cela représente pour les
automobilistes est également mentionné, ils prennent en exemple
pour justifier cet argument la collision qu'il y a eu au cours de
l'été 2008 en Haute-Ariège entre un minibus et un
ours.
Ensuite, les éleveurs ont le sentiment qu'avec
cette réintroduction on veut les exclure ou du moins limiter leur action
sur le territoire pour laisser la place aux ours et aux loups. « On veut
pas être parqués...parqués là dans un coin »
(Jean). On retrouve aussi ce sentiment que l'on cherche à les
déposséder de quelque chose que les générations
précédentes ont contribué à créer, à
entretenir et qui est aussi un savoir-faire. Sur ce thème, certains font
référence à la « guerre des demoiselles » dans
laquelle ils trouvent des similitudes avec la situation actuelle et même
en quelque sorte une justification du combat présent qui,comme à
l'époque, est mené contre « le pouvoir central »qui
souhaite modifier leurs habitudes hérités de leurs parents et
limiter leur action sur le territoire.
« Si [...] les mentalités n'avaient pas
changé euh y'aurait pas d'ours en ce moment... ça se serait
passé à coup de fourche et à coup de fusils...parce que
ils auraient pas supporté ça...la propriété
privée était réglementée à
l'époque... » (M.Joly)
« Comme on l'a trouvée la nature comme on l'a
trouvée on veut la laisser comme ça...c'est à dire euh
comme nos parents nous l'ont transmis... » (M.Joly)
« On fait un boulot on le fait bien, on le fait en
conscience [...] on sait ce qu'on a à faire, on a pas la science infuse
mais on sait ce qu'on a à faire sur notre terrain [...] c'est
évidemment intolérable d'entendre des gens d'ailleurs venir nous
dire comment il faut garder les bêtes et comment élever les
troupeaux quoi...ça ça ça tient pas la route ! »
(Laurent)
« Voilà tout le temps être en
rébellion...c'est pas nouveau...y'a eu la guerre des demoiselles avant
nous...si les montagnes elles sont restées ce qu'elles sont c'est parce
que les gens s'y sont accrochés et faut continuer à s'y accrocher
»(Jean)
« C'est exactement le même problème que
celui qui s'est passé après le vote du code forestier en 1827
appelé bêtement souvent la guerre des demoiselles [...] c'est le
même problème de dépossession des gens...d'un territoire et
surtout d'un savoir, [...] le territoire comme croisement d'une
géographie d'une histoire donc...d'une culture...hein c'est ça
euh, et ce qu'il y a
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avec le plan ours ce n'est donc que la suite de quelque
chose qui s'est déjà mis en place bien bien avant hein quant au
fond... » (Bruno Besche-Commenge).
Pour Bruno Besche-Commenge, ce qui est similaire entre la
Guerre des Demoiselles et la situation actuelle, c'est qu'il s'agit dans les
deux cas d'une guerre des savoirs.
« Le scientifique travaille sur les
éléments de la nature, les éléments du vivant
tandis que les éleveurs ils ont affaire à la globalité,
alors ils ont développé des savoirs de la
globalité[...]mais donc y'a un rejet total de ces formes de savoir comme
pas le vrai savoir, et ça s'est retrouvé de façon
magnifique, j'ai beaucoup travaillé sur ces archives là, [...]
les archives forestières du 19ème siècle quand il y a eu
l'opposition hein, la mise en place du code forestier c'était vraiment
une guerre des savoirs[...]nous on sait mieux que vous ce qui faut faire pour
votre milieu, non c'est nous qui savons, et on trouve dans le plan ours les
mêmes acteurs [...] moi j'ai vu des gens dans les deux camps hein [...]
qui me disaient [...] exactement les mêmes phrases, mais au mot
près [...] c'est très impressionnant ».
La majorité des acteurs du monde agro-pastoral
(éleveurs, techniciens de la chambre d'agriculture,...)
perçoivent cela comme une intrusion dans leurs pratiques qui doivent
être modifiées, notamment en ce qui concerne les mesures de
protection préconisées pour faire face aux prédations
d'ours. Ils estiment que ces mesures de protection sont incompatibles avec
leurs pratiques car le regroupement nocturne ne permet pas au bêtes de
brouter « à la fraîche » avant le lever du jour ce dont
elles ont l'habitude et entraîne l'abandon des bons quartiers (zones
riches de l'estive), favorisant ainsi la fermeture du milieu. Le regroupement
des bêtes favoriserait aussi les maladies . Ils contestent aussi leur
efficacité: les troupeaux protégés sont aussi victimes de
prédations où alors les attaques se déplacent sur les
estives voisines. Ils condamnent le coût élevé (bien que
pris en charge par l'État) pour protéger une estive. Selon eux,
des personnes extérieures qui ne connaissent pas le terrain veulent leur
expliquer comment faire leur travail.
Ensuite, en cas de prédations, il y a une charge
de travail en plus dont le berger doit s'acquitter. Il faut retrouver la
bête tuée dans la montagne et la recouvrir avec une bâche
pour que d'autres animaux ne viennent pas effacer les signes permettant de
déterminer que c'est une attaque d'ours et pouvoir être
indemnisé. Ensuite il faut rassembler le troupeau et soigner
éventuellement les bêtes blessées. Puis enfin
prévenir l'équipe technique ours afin que l'expertise puisse
être réalisée le plus rapidement possible. Tout cela les
oblige à modifier leurs pratiques, leurs habitudes, leur
ajoute
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une charge de travail. Cela est ainsi vécu comme
une perturbation de l'équilibre qui permet à leur pratique de
subsister.
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