I.2.4. Le Roller Street, une activité à
risque
Afin de permettre la compréhension de cette analyse de
pratique dite « à risque », il apparaît essentiel de
définir, dès maintenant le « risque ». Nous
présenterons de manière synthétique ses concepts tels
qu'ils sont considérés dans la littérature
scientifique.
I.2.4.1. Définition du risque
Comme nous venons de le souligner, la notion de risque est
intégrée à la pratique. Le sens commun connote le risque
de façon négative, comme le précise Douglas2 en
1992. La représentation du risque est synonyme de « danger
».
I.2.4.2. Définition de la prise de risque
La prise de risque est une extension du risque. Dans le sens
commun, la prise de risque « tient à désigner une mise
en danger volontaire de la santé physique et/ou mentale »
précise Luption & Tulloch3. Les études
scientifiques sur lesquelles nous nous sommes penchés visent à
identifier notamment les facteurs contextuels qui motivent un individu à
volontairement mettre son intégrité en danger alors qu'il
pourrait ne pas faire ce choix.
L'analyse cognitive de l'activité experte n'a pas pour
objectif de comprendre pourquoi un individu, à priori rationnel, peut
prendre des décisions « irrationnelles » (Barberies
& Thaler, 2002 ; Lupton & Tulloch, 2002) mais plutôt de
comprendre le processus cognitif de prise de décision du Rider expert
dans lequel est intégrée la composante d'évaluation du
risque en situation.
En effet, la notion de risque est au coeur de la pratique et
notamment du fait que le Roller Street s'opère souvent dans les lieux
animés de la ville. Ainsi se pose la question des risques
associés à l'environnement et la question du partage de l'espace
avec les autres usagers: piétons, commerçants ou encore
automobilistes.
2 Donglas, «Risk and Blame»,
Essays in cultury theory , 1992.
3 Luption & Tulloch Risk and everyday
life, 2002
11
? Une co-activité à risque
La pratique du Roller Street s'effectue dans les centres
villes urbains constitués de mobiliers urbains aux formes et
matières singulières. Ce milieu est partagé par un nombre
important d'usagers. Les caractéristiques des spots (hauteur,
matière, formes), les caractéristiques de la pratique (vitesse,
glisse, saut) et les caractéristiques de l'environnement urbain forment
des variables qui favorisent le risque d'accident.
? Risque pour les usagers piétons
Partageant le même territoire, les usagers et les Riders
sont confrontés à des situations à risque. Nous nous
sommes intéressés au risque perçu de la pratique du Roller
Street par les usagers des centres villes en intervenant sur le terrain. Nous
constatons que des stratégies sont mises en place par les usagers pour
se préserver des risques. Par exemple, nous avons observé une
modification des circuits des usagers dans les espaces à la fois
publiques et à la fois espaces sportifs. Nous sommes allés
à la rencontre d'usagers, que nous avons interviewés dans la rue,
pour mieux comprendre le phénomène (Cf. Partie II.3.1. Les
sujets de l'étude, tableau : Caractéristique des sujets).
Sujet interviewé 1 : habitant de Bordeaux
centre.
Fréquence moyenne de passage sur la Place de l'Hôtel
de Ville = 3 fois par semaine
Interviewer : Que pensez-vous de la pratique du
roller sur la Place de l'Hôtel de Ville ?
Interviewé1 : « Depuis
quelques années, il y a un espace prévu à la pratique du
roller sur les Quais des Chartrons, je ne vois pas pourquoi ça a
été construit pour que tous ces jeunes se retrouvent ici et
abiment la place. »
Interviewer : Selon vous, ils abiment la place
?
Interviewé1 : « Tout à
fait, il abime tout sur leur passage avec leurs patins. On ne peut même
plus s'asseoir sur les bancs. En plus de ça, ils font du bruit, ils ne
regardent pas où ils vont, ils sont vraiment dans leur monde.
»
Interviewer : Vous dîtes, ils ne regardent
pas où ils vont ?
Interviewé1 : « Oui, oui, une
fois, j'ai failli m'en prendre un, à la vitesse où ils vont. Ils
ne se soucient pas des passants. »
Interviewer : Ce presque accident a-t-il
provoqué une modification d'attitude lorsque vous marchez sur la place
de l'Hôtel de Ville ?
|
12
Interviewé1 : « Oui, disons que
je continue à passer par cette place. Mais maintenant, je devine leur
trajectoire. Je n'ai pas envie de m'en prendre un ou de me faire bousculer.
Donc je suis vigilant. »
Interviewer : Vous sentez vous en
sécurité lorsque vous traversez la place, et qu'il y a des
rollers ?
Interviewé1 : Je me sens plutôt
gêné, entre le bruit, les bousculements, la dégradation du
mobilier ...
L'interview souligne la dimension conflictuelle du partage de
ces espaces entre pratiquants et non pratiquants. La représentation du
risque perçu est très différente du Rider à
l'usager. Traditionnellement, le risque perçu est
considérablement dominé par l'idée fondamentale que le
pratiquant n'a pas conscience du risque. Nous soumettons alors l'idée
que cet écart de perception est source de risque.
Nous nous proposons de faire le point sur la base des travaux
sur le risque en psychologie. En effet, dans son ouvrage, « Perception of
Risk Posed by Extreme Events » en 2002, Slovic et al. proposent trois
traitements possibles du risque:
- par les sentiments :
Ce traitement relève des réactions
émotionnelles face à un danger.
- par l'analyse :
Le risque s'appuie sur les représentations, les
différentes logiques pour gérer l'aléatoire.
- par la politique :
Dans le sens de la gestion du risque.
Les traitements du risque sont réalisés par deux
types de personnes : pratiquant et non-pratiquant. Les usagers non pratiquants,
évaluent le niveau de danger inhérent à une
activité sportive perçue et non connue. Ils sont alors
d'avantages sensibles aux conséquences des risques encourus et ainsi
perçoivent la pratique du Roller comme une confrontation à un
danger réel.
En revanche, pour les pratiquants, la perception du risque est
tout autre. En associant la probabilité, l'exigence de la tâche
à effectuer et la gravité de cette tâche dans
l'environnement, les Riders semblent évaluer le niveau de danger et
adapter leurs actions. Un des Rider que nous avons rencontré, que nous
nommerons Rider1, explique : « le risque de collision avec les
passants est faible pour moi. Je n'ai jamais foncé dans un passant.
Avant même de se lancer dans une figure, on regarde toujours s'il y a du
monde sur notre circuit. Si oui, alors, on attend qu'il s'éloigne pour
se mettre à patiner, on n'a pas le choix. C'est comme une condition.
Puis,
13
déjà que le risque de tomber, tout seul
(rire) est élevé quand on fait un tricks (figure en
anglais), alors tomber à cause d'un passant, c'est vraiment noob
(débutant en anglais) ».
? Risque pour les usagers cyclistes
La pratique du Roller Street est aussi utilisée, nous
l'avons évoqué, comme un moyen de déplacement. Cette
co-activité urbaine entre Roller et cyclisme génère un
risque de collision.
Selon l'article R. 412-34 du Code de la route, « les
pratiquants de patins à roulettes, lorsqu'ils circulent sur une voie
publique, sont assimilés à des piétons ». La
vitesse moyenne réalisée par un individu circulant à
roller est de 12 km/h contre 4 km/h à pied. En référence
au code de la route, nous faisons l'hypothèse que le risque de collision
entre un cycliste et un "piéton" peut augmenter selon la variable
"vitesse de circulation", relative aux deux pratiquants. Ces deux pratiques
peuvent représenter un degré de risque certain, sachant qu'un
"piéton" en Roller se déplace trois fois plus vite qu'un
"piéton" se déplaçant à pied.
|