3-APPROCHE ANALYTIQUE
La commune de Sinendé appartient à
l'aire socioculturelle `'baatonu `'. C'est une société paysanne
au sein de laquelle les comportements sociaux sont fortement influencés
par les habitudes et pratiques traditionnelles. Cette situation inculque
à la communauté des formes de pensées et d'actions
collectives qui sont des références symboliques des comportements
quotidiens. Pour être plus explicite on parlera de représentations
sociales. De façon plus précise c'est « le savoir du
sens commun, socialement élaboré et partagé, construit
pour et par la pratique et qui concourt à la structuration de notre
réalité. Connaissance du réel qu'elles contribuent
à édifier, les représentations sociales sont donc produits
et processus d'une élaboration tant psychologique que
sociale. » (Gilles Ferréol/Dictionnaire de sociologie p-242).
Cette définition permet de dire que les représentations sociales
influencent l'éducation de membre de la communauté. Elles
demeurent les supports cognitifs dans l'éducation traditionnelle des
enfants en marge de l'éducation scolaire. Ce sont ces
représentions qui déterminent les perceptions communautaires
évoquées plus haut par rapport à la fille/femme et aussi
par rapport à l'école.
La représentation sociale de la
communauté sur la femme se fonde sur le faite que les
collectivités paysannes sont des sociétés
d'interconnaissance. La structure sociale de ces sociétés reste
dominée par les relations de parenté. Dans ces types de
relations, la fille/femme constitue un enjeu majeur de part son rôle
social d'épouse. Ce rôle social de la femme est lié au
principe de l'exogamie qui est réalisé par le biais du "kuro
kparu" chez les baatombu. Le "kuro kparu" unit ou réconcilie des
familles, des clans et des lignages. La communauté et aussi les parents,
accordent beaucoup plus d'intérêt à cette fonction du "kuro
kparu" et n'hésitent pas pour cela d'interrompre la scolarité de
leur fille afin satisfaire ce besoins social.
Le `'Kouro-Kinrou'' (don de femme) est un fait social
qui mobilise toute la communauté environnante en ressources humaine,
financière et matérielle jusqu'à la
célébration du mariage proprement dite. La famille donneuse
reçoit en retour et à vie, par le biais de ce mariage les
avantages honorifiques et matériels : respect total à tous
les membres de la belle famille, serviabilité et solidarité
inconditionnelles à cette famille, don d'objets et d'aliments divers
à chaque cérémonie et à l'occasion de chaque
fête pour la belle famille. Ces avantages du mariage confèrent
à la fille / femme un rôle social qui la prédestine au
ménage et à la procréation. Cette représentation
sociale de la population sur la fille / femme ne tient pas compte des normes de
l'éducation scolaire. Ainsi, les avances des prétendants et les
premières négociations des parents commencent quand la fille a un
âge compris entre 9 et 12 ans. C'est ce qui explique cette
déperdition massive des filles à partir de la classe
CE2. La communauté intervient à ce moment
précis pour leur imposer leur futur rôle d'épouse mettant
ainsi en évidence leur retrait du système scolaire.
Il est également important de rappeler que la
population de Sinendé est majoritairement rurale. Et que l'agriculture
est l'unique et principale source de revenu des habitants. La main d'oeuvre
familiale est généralement le seul recours pour la
réalisation des activités champêtres. Tous les enfants,
filles comme garçons participent équitablement aux travaux
champêtres. Mais, lorsqu'il s'agit des travaux ménagers, seules
les filles sont concernées. Le mode traditionnel de division du travail
surcharge les filles de multiples et importantes tâches dans les
ménages. Elles peuvent supporter cette condition et tenir jusqu'en
classe de C.E2. Mais à partir du C.M1 où
les leçons deviennent plus nombreuses et relativement plus complexes,
nécessitant de ce fait des exercices personnels, la fille se trouve
accablée par les activités de production de biens et de services.
Cette situation met en exergue l'influence et la prééminence de
la culture traditionnelle sur la scolarité des filles. Les
éducateurs des écoles coraniques dans ces localités ont
bien compris ces principes des sociétés communautaires. Et c'est
pour quoi ils programment leurs cours les soirs et très tôt les
matins. Aussi ils encouragent la communauté dans l'entretien et le
renforcement des représentations sociales et participent au processus
des mariages. Ils sont ceux qui enseignent les vertus du mariage et de ses
bienfaits au paradis pour les filles qui y accèdent à temps
(dès la puberté) en respectant les comportements de bonne
épouse. Ils favorisent de ce fait la déscolarisation des filles
au profit de la vie conjugale.
En abordant cette analyse par rapport au
système scolaire béninois, on retient qu'il est fondamentalement
calqué sur la culture occidentale. Les diverses réformes pour
l'adapter à nos réalités socio-culturelles n'ont
jusque-là pas été concluantes. Au départ, on allait
à l'école pour servir dans l'administration coloniale. Le
recrutement était généralement forcé. Sauf cas
exceptionnel, on n'offrait aux blancs rien que des garçons en situation
d'adoption ou de servitude. On notait déjà une quasi absence des
filles dans le système. Les rares filles scolarisées
étaient issues de parents ayant déjà adopté
à l'époque, la culture scolaire. Les enquêtes ont
révélé que l'entrée des filles dans le
système scolaire souffrait déjà d'un retard originel par
rapport aux garçons. C'est ce qui explique l'absence de modèle
de réussite scolaire pour les femmes en milieu rural. Ensuite, avec
l'avènement de la crise des années quatre-vingt, le
chômage, la recrudescence des violences scolaires et la
délinquance juvénile ont réduit chez les parents les
quelques élans à la scolarisation et au maintien des filles dans
le système. A cela s'ajoute le coût actuel de la scolarité
qui au départ était entièrement gratuite.
On retiendra d'une façon globale que la
déperdition scolaire des filles dans la commune de Sinendé est
dû à plusieurs facteurs qui trouvent leur fondement premier dans
les traditions culturelles `'baatonu''. Cette situation se traduit dans la vie
quotidienne à travers des comportements collectifs à
l'égard des filles en apprentissage de la culture scolaire. Le
phénomène de déperdition scolaire des fille nous situe
donc dans la dynamique du changement socioculturel issu du brassage entre la
culture `'baatonu'' et la culture scolaire française visant le
développement des communautés. Or dans le contexte actuel du
développement local décentralisé, toutes les
compétences et ressources disponibles doivent être prises en
compte. Car un développement n'est jamais sectoriel ni exclusif. Un vrai
développement induit tous les domaines de la vie quotidienne avec la
participation et un véritable épanouissement de toutes les
couches et catégories socioprofessionnelles de la population qui en est
la garante.
Aussi, le niveau de développement est
très dépendant du niveau d'instruction globale des populations
dans la gestion des ressources et des compétences locales. A ce niveau
l'éducation scolaire joue un rôle de premier rang et par
conséquent universellement indispensable.
Dans cette perspective, le faible niveau d'instruction
des femmes ne peut que rendre difficile leur participation au processus de
développement. Dans le domaine de la santé par exemple, il a
été constaté que le niveau d'instruction de la mère
influe sur le taux de la mortalité infantile. « On a
ainsi constaté au Bénin, que le décès des enfants
était plus fréquent chez les mères analphabètes, en
milieu rural (autres facteurs : mères jeunes, faible poids à
la naissance). » selon UNICEF: (Laetitia BAZZI-VEIL). Les
enquêtes ont aussi révélé que les femmes
analphabètes sont plus réticentes aux prescriptions des
programmes de santé communautaire. Car elles restent attachées
aux valeurs traditionnelles qui sont leurs seules références
cognitives.
Sur plusieurs plans, les conséquences de cette
logique sociale sont préjudiciables au développement local :
-Au plan social, le très faible niveau de
scolarisation des filles précipite l'âge au premier mariage,
réduit les probabilités pour une femme d'être dans une
union monogamique. Cela entraîne une réduction de son pouvoir de
négociation et de décision au sein de son ménage.
-Sur le plan économique, la gestion de leurs
divers projets leur échappent parce qu'elles sont contraintes de
solliciter l'assistance des hommes. Et cette assistance n'est jamais ni
aisée ni désintéressée. Cette situation diminue
considérablement leurs capacités à produire des richesses
ainsi que leur nécessaire participation aux importantes prises de
décision en faveur du développement de la localité.
Enfin, et eu égard à tout ce qui a
été évoqué plus haut, il faut signaler que le non
maintien de la scolarisation des filles réduit de façon globale
leur potentialité de participation au développement local et
affecte négativement leurs conditions de vie et / ou leur statut
à cause de la non maîtrise et/ou la méconnaissance des
outils actuels de développement. Alors que l'exigence de soutenir la
participation des femmes au processus de développement a
été reconnue par l'ensemble des gouvernements africains comme un
objectif national de nature économique et social, une priorité
dans la lutte contre la pauvreté et la dégradation de
l'environnement. Elle est désormais considérée comme une
exigence majeure pour faire face à la crise socio-économique que
traverse le continent. C'est ainsi que "le Plan d'Action de Lagos de 1980,
adopté par l'ensemble des Chefs d'Etats africains et le Programme
Prioritaire pour le Redressement Economique de l'Afrique ont recommandé
la pleine intégration des femmes dans les efforts de
développement et la suppression des entraves limitant cette
participation. Par la suite, la Déclaration de Khartoum, en 1988, a
vivement préconisé qu'une attention particulière soit
accordée aux questions de genre (féminin/masculin) dans la
conception des programmes d'ajustement structurel."(OUA ? Addis-Ababa,
1980). Cela n'est possible que si l'on participe activement au rehaussement du
niveau d'instruction des femmes qui présente actuellement un tableau
alarmant.
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