2- COMMENTAIRE
Ces chiffres et graphiques dévoilent l'aspect
genre de la déscolarisation et confirment le caractère
géographique du phénomène. Il ressort que ces abandons
sont plus importants chez les filles, particulièrement chez celles des
localités rurales. Pour ces dernières, le taux d'abandon scolaire
est élevé, avec une prépondérance dans certaines
classes du cycle scolaire (CE2 et CM1). Rappelons que les
filles qui parviennent en classe de CE2, de part leur âge
(généralement entre 9 et10 voire 11ans) sont fortement
sollicitées dans les activités de production des ménages
(corvée d'eau, cuisine, travaux champêtres, entretien des petits
enfants, vente de marchandises, etc.). Aussi, c'est surtout à cet
âge qu'elles sont victimes des convoitises des garçons pour le
"kuro kanabu" (demande de main). La communauté les perçoit
déjà comme de futures épouses et les parents, en ce moment
là, commencent à penser à leur vie conjugale. C'est ce qui
explique l'accroissement de la déscolarisation des filles au
CE2 et CM2.
D'une façon générale, la
déscolarisation des filles avant la fin du cycle varie de façon
croissante, non seulement d'un milieu urbain à un milieu rural, mais
aussi d'une ethnie plus ouverte à la culture occidentale à une
ethnie plus conservatrice des valeurs socioculturelles locales. Lors des
enquêtes il a été relevé que l'école est
perçue en milieu rural comme une innovation culturelle qui provient des
centres urbains supposés être à un niveau plus
élevé d'adoption de cette culture. Les bariba étant de
très loin majoritaire dans les chefs lieux d'arrondissement par rapport
aux peulhs, ils apparaissent alors mieux adaptés à cette culture.
C'est ce qui explique les écarts observés plus haut sur plan
ethnique.
Il faut aussi signaler que lors des différentes
réunions de groupe, les communautés locales ne se sont jamais
plaintes du phénomène de la déscolarisation des filles. Ce
sont les partenaires au développement de ces localités (agents de
projets, ONG, etc....) qui attirent leur attention sur le
problème.
L'identification et l'analyse quelques facteurs
déterminants du phénomène permettront une meilleure
compréhension de la déperdition scolaire des filles. Il s'agit
des facteurs locaux inhérents au système de vie communautaire qui
ont un impacte certains sur l'école en général et
particulièrement sur l'évolution de la fille au primaire.
2-1- Les facteurs liés aux pesanteurs
socioculturelles
2.1.1- Les représentations sociales :
MOSCOVICI (1963), cité par Aimé GNIMADI
(Rapport 2001/Recherche-action sur la scolarisation des filles à
Sinendé.) a défini la représentation sociale comme
l'élaboration d'un objet social par une communauté avec
l'objectif d'agir et de communiquer. De façon plus explicite,
Elejabarrieta (1996) indique que « une représentation
sociale est l'activité collective d'interprétation et de
construction produisant une connaissance dont les contenus cognitifs, affectifs
et symboliques jouent un rôle primordial dans la façon quotidienne
de penser et d'agir des personnes constituant un groupe social ».
C'est, la connaissance de sens commun. Pour être fonctionnelle et
pratique, permettre une compréhension de la réalité et
orienter les comportements quotidiens, la connaissance apportée par les
représentations sociales doit être publique, circuler
collectivement et s'inscrire dans le discours quotidien des personnes. Il sera
évoqué ici, dans le cadre de la présente étude,
deux types de représentations sociales à
savoir :
2.1.1.1- Les représentations sociales sur le
rôle et l'avenir des filles en milieu paysan.
Dans les milieux paysans baatonu, la fille, à
l'image de ses consoeurs d'ailleurs, dès sa naissance est
prédestinée à un certain nombre de rôles sociaux que
lui assigne la communauté dans un esprit collectif de servitude à
l'égard de l'homme, (le sexe masculin). Elle a donc le devoir non
seulement d'assurer son rôle primordial et biologique de reproduction,
mais aussi et en même temps d'assurer celui de production à
travers les travaux champêtres, les activités
ménagères telles que, la cuisine, l'entretien de la maison, des
enfants (grands comme petits) et de son mari. Tout cela, dans le respect des
moeurs et coutumes traditionnelles des `'baatombu''. Partout et dans toutes les
familles le meilleur souhait qu'un paysan puisse formuler à sa fille,
même si cette dernière est écolière, se
résume généralement à cette phrase :
« Que Dieu te donne un bon mari et t'exhorte à lui rester
serviable et respectueuse avec beaucoup d'enfants ». Lorsqu'il s'agit
d'un garçon élève on lui souhaite très souvent de
devenir un haut cadre, un grand fonctionnaire qui peut à l'avenir
défendre les intérêts du village. Dans tous les cas le
paysan n'a jamais souhaité un modèle paysan à son
garçon élève. On lui prévoit
généralement un avenir radieux à l'école,
contrairement aux filles pour qui l'espoir selon eux n'est souvent pas
reluisant en raison de leur statut de future épouse et mère. Pour
la majorité des personnes que ont été
enquêtées, l'avenir pour les filles à l'école ne
promet pas grand-chose et est perturbateur des normes sociales
préétablies. Ainsi la répartition des réponses par
rapport à ce point se présente comme suit :
Seulement 16 personnes soit 08% des 200
enquêtés à ce sujet prévoient un avenir de cadre
supérieur pour les filles contre 154 personnes soit 77% en faveur des
garçons pour la même question. Cette tendance est renversée
lorsqu'il s'agit de la question liée aux avantages incertains de la
scolarisation. A ce niveau 133 soit 66,5 % des personnes interrogées se
sont prononcées pour une réussite incertaine des filles à
l'école contre 2 personnes soit 1% pour les garçons.
S'agissant de l'avenir des filles liées aux
fonctions des catégories moyennes (institutrice, agents d'encadrement du
développement rural, sage-femme, animatrice de projet, etc.)
exercées dans leur localité, 22personnes soit 11% se sont
prononcées en faveur des filles contre 20personnes soit 10% pour les
garçons.
2.1.1.2-Les représentations sociales des paysans sur
l'école en milieu rural
La communauté paysanne `'baatonu''
reconnaît à l'école sa fonction éducatrice avec pour
mission non seulement d'assurer l'émancipation et
l'épanouissement de l'individu, mais aussi de garantir le
développement de la localité. Selon les paysans, l'école
est une institution qui éclaire les esprits, qui offre l'emploi et qui
transforme l'être humain aussi bien physiquement que psychologiquement en
changeant son comportement et sa mentalité originelle. Elle lui inculque
des habitudes et pratiques du monde moderne. Cette perception de la
communauté paysanne sur l'école est dans le même temps
couplée de celle selon laquelle l'école contrarie le
système d'éducation traditionnelle déjà en place.
Cela signifie que l'école est source de rupture avec les origines et
d'abandon ou de dénaturation des moeurs et coutumes traditionnelles.
Selon ces paysans, même si l'école a une
mission sociale bienfaisante, elle participe à la perturbation d'un
ordre social pré-existant et aussi, pour ce qui est de la situation
actuelles du rapport éducation/emploi, au désoeuvrement des
jeunes. Cette position des paysans indique que l'école ne tient pas
compte des réalités socio-culturelles des apprenants.
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