4-2/ Approche analytique :
La population de Sinendé est une
société paysanne au sein de laquelle la tradition culturelle
influence les comportements et les pratiques des habitants. C'est une
société d'interconnaissance dans laquelle la création et
la consolidation des liens interfamiliaux et la solidarité
mécanique entre membres de la communauté régissent la vie
quotidienne. La fille/femme constitue la pièce maîtresse dans la
création et la consolidation de ces liens par le biais du mariage
coutumier. C'est ce qui explique la perception communautaire des
écolières comme étant prédestinées au
rôle d'épouse pour les fonctions reproduction biologique et celles
de production de biens et de services.
Le système de production en vigueur,
nécessite une nombreuse main d'oeuvre familiale. Ainsi, dans cette
logique d'économie d'autosubsistance, la société donne un
rôle central au groupe domestique à l'intérieur duquel la
fille/femme occupe d'importantes responsabilités aussi bien dans sa
famille qu'au sein de la communauté. Si le nombre des filles qui
abandonnent très tôt l'école est plus important que celui
des garçons, c'est parce qu'elles sont beaucoup plus sollicitées
dans d'autres rôles que leur a assigné la communauté. Elles
subissent des pressions social/harcèlement afin de les contraindre
à remplir la fonction de reproduction biologique incompatible à
la fréquentation de l'école. Elles sont aussi abusivement
sollicitées pour l'accomplissement de la fonction de reproduction de
biens et de services dans les ménages et au sein de la
communauté.
Cette menace du maintien des filles à
l'école est une conséquence de la perception communautaire sur
leur place et leur rôle dans la société. Leur place est
secondaire dans le foyer aux côtés des hommes où elles sont
prédestinées aux rôles d'épouse. Les pressions
sociales dans ce domaine interviennent quand la fille approche l'âge de
la puberté (entre 9 à 11ans). Dans cette tranche d'âge les
filles sont généralement entre la classe du CE1 et
celle du CM1 où les abandons sont plus prononcées.
Il faut signaler au passage que, les pratiquants
locaux de la religion musulmane, qui sont bien écoutés et
respectés par la population, participent au renforcement de cette
perception sur l'avenir de la fille. Les maîtres des enseignements
coraniques, généralement appelés "alfa", adhèrent
aux perceptions sociales de la communauté afin d'avoir en retour
l'adhésion massive des populations à l'Islam. C'est une
situation qui empêche les filles de s'occuper de leurs études
comme les garçons.
La fille baatonu dans la société
paysanne de Sinendé est assujettie à ces exigences sociales dans
le processus de socialisation qui constitue en fait son éducation. On
lui enseigne traditionnellement dans le cadre familial, tous le savoir
socioculturel, les comportements et pratiques de sa société. Tout
commence dès la naissance par les attouchements et comportements envers
le bébé selon son sexe et son clan et aussi selon beaucoup
d'autres considérations. Le processus est continu et comporte plusieurs
stades qui sont inhérents à la vie de l'individu au sein de ce
cadre de vie social.
Mais, il sera pris en compte pour le cas de cette
étude le 1er stade où l'enfant commence par jouer avec
ses semblables. Précisément entre l'âge de 18 mois environ
à 6 ans et le 2nd stade situé entre 6 et 12
ans.
Au 1er stade, chez les paysans, la
différenciation des rôles sociaux se fait déjà
sentir. Car les jeunes garçons commencent par être traités
dans les blagues et les jeux comme des "Hommes", des responsables de demain,
des courageux, des chefs de ménage. Les jouets qu'on leur offre ou qu'on
conseille sont des objets en miniature semblables à ceux qu'utilisent
les adultes-hommes (la houe, la machette, le tam-tam, la trompette, des
gourdins, des arcs, des flèches etc.). Il en est de même pour les
rôles que les enfants garçons s'attribuent dans les jeux (grand
agriculteur, griot, chef de village, éleveur, chasseur
etc.).
Ces jeux se font dans l'harmonie avec l'environnement
socioprofessionnel immédiat de l'enfant-garçon. La
communauté l'aide à s'identifier de façon progressive
à son père, à son clan et à l'homme, `'sexe fort''
de sa société.
Par contre, la fillette s'identifie à sa
mère. Elle est éduquée de façon à ce qu'elle
soit douce, aimable, coquette et surtout serviable pour l'homme, utile pour le
ménage, ainsi que pour l'entretien de la maison et toujours prête
pour la reproduction. La femme est éduquée en milieu paysan
bariba particulièrement à Sinendé, pour servir dans toutes
les activités de production. Ce qui n'est pas le cas chez les
garçons qui ne doivent pas intervenir à la cuisine, à la
corvée d'eau, à l'entretien des petits enfants et beaucoup
d'autres rôles qui sont spécifiques aux filles dans les
activités de production.
L'enfant vit plus ou moins exclusivement ce type
d'éducation jusqu'à l'âge scolarisable. C'est-à-dire
autour de 6 ans où il est récupéré par
l'école, et fait l'apprentissage d'une autre éducation
formalisée qui s'ajoute à celle donnée par les parents et
la communauté villageoise.
A l'âge de 6 ans environ l'enfant est
confronté à deux types d'éducation :
D'un part l'éducation traditionnelle avec comme
modèle ses parents et la collectivité paysanne. Et d'autre part
l'éducation moderne formelle avec comme seuls modèles les
quelques enseignants et parfois l'encadreur du Développement rural de la
localité. Car, l'ensemble de la commune est pauvre en modèle de
réussite scolaire résidant.
Le modèle paysan est donc dominant dans
l'environnement social des enfants. C'est une référence qui
détermine l'avenir des membres de la communauté et fixe les
repères pour les activités quotidiennes. C'est ce qui explique
une prédominance des abandons dans les écoles des
localités périphériques au chef lieu de la commune. Ces
localités rurales présentent un très faible niveau
d'adoption de la culture scolaire et les perceptions traditionnelles sur la
fille/femme y sont plus fortes. Cela se confirme par le contenu de l'emploi du
temps quotidien des enfants.
Tableau 1 : Emploi du temps quotidien d'un
enfant scolarisé en fonction du sexe du moment de la
journée.
Activités
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filles
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garçons
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6h à 7h45'
|
12h15 à
14h45'
|
18h15 à
21h30'
|
6h à
7h45'
|
12h15 à
14h45'
|
18h15 à
21h30'
|
Corvée d'eau
|
|
|
|
0
|
0
|
0
|
Balayage
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0
|
0
|
0
|
Vaisselle
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|
|
|
0
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0
|
0
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Lavage du linge
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Tous les jours de repos
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0
|
0
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0
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Transformation
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|
0
|
0
|
0
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Cuisine
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|
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|
0
|
0
|
0
|
Marchandise
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|
0
|
0
|
0
|
Corvée de bois
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Tous les jours de repos
|
0
|
0
|
0
|
champêtres
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Tous les jours de repos
|
Tous les jours de repos
|
- Source : Enquête de terrain
(décembre 2003)
- Légende :
exécute l'activité
0 n'exécute pas l'activité
L'analyse des données de ce tableau donne un
aperçu de la nature de la division sexuelle du travail dans le milieu
d'enquête ainsi que le rôle joué par une fille /
écolière dans les activités de production au sein d'une
famille baatonu.
En effet la fillette dès l'âge de cinq
ans participe aux travaux ménagers en aidant sa mère ou
l'épouse du chef de ménage dans ses activités. Dans le
même temps un garçon de cet âge apprend à jouer avec
ses semblables. L'aide d'une fillette pour la ménagère prend de
l'importance avec son âge. Cette aide que la fille apporte à la
femme adulte, prime sur toutes les autres activités de sa vie. Car la
société perçoit ce travail de la fille comme un
apprentissage à leur fonction de reproduction biologique. Cette
situation est de nature à compromettre l'évolution normale des
filles à l'école ainsi que le réel développement de
la commune.
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