5.1. Sacralisation du secret
bancaire : quel risque pour le blanchiment des capitaux ?
L'argent n'aime pas le bruit. Certains ont même pu
penser que le maniement de l'argent revêt le caractère d'un
sacrement : le garder, l'accueillir, le compter, thésauriser,
spéculer, receler, sont autant d'activités investies d'une
majesté quasi ontologique qu'aucune parole ne doit venir souiller, et,
qui s'accomplissent dans le silence et le recueillement. Quiconque commet le
péché de trop en parler le désacralise. Un tel
sacrilège est logiquement puni par la loi.
Ces mots résument en quelque
sorte la morale du banquier suisse, mais, cette morale est aussi celle en
vigueur dans bon nombre de pays, notamment ceux situés dans les paradis
fiscaux. Les Etats modernes, soucieux de leur santé politique,
économique et financière n'hésitent pas en
général à réglementer leur secret bancaire dans le
sens de son assouplissement. Cependant d'autres ont maintenu le statu quo,
sinon radicalisé leur secret bancaire. (Cf. Guillien R et Vincent J,
2003, Lexique des termes juridiques, Dalloz, 14e
édition).
Comme nous l'avons relevé tout le long de notre
étude, le banquier est le partenaire indispensable du blanchisseur. Ce
dernier, dans la plupart des temps, peut faire des montages sophistiqués
pour détourner l'attention du banquier ou pour susciter sa complaisance,
mais, paradoxalement, certains Etats proposent plutôt une
confidentialité radicale aux `'investisseurs'' afin de les attirer.
La radicalisation ou la sacralisation du secret bancaire est
l'expression d'une négligence coupable des responsables politiques et
économiques de l'Etat concerné en ce qu'ils acceptent à
travers l'instrument du secret bancaire de jouer un rôle actif au
théâtre du blanchiment d'argent. Ce choix, en
général n'est pas la fin en soi. En effet, certains paradis
fiscaux se servent ainsi du secteur bancaire et touristique pour
résorber leur problème de chômage.
On connaît bien les appétits des blanchisseurs
pour le secret bancaire, qu'ils soient criminels appartenant aux bandes
organisées, ou alors opérant presque seul comme des dictateurs,
tous affectionnent le secret bancaire.
En effet, la Suisse détient des comptes de presque tous
les dictateurs du monde, comme le note encore Jean ZIEGLER, l'argent de la
corruption et du pillage des Etats du tiers-monde par les dictateurs et les
élites autochtones est la « deuxième grande source
de la fabuleuse richesse du paradis helvétique ».
(Ziegler J, 2001, Mort programmée du secret bancaire suisse, in le
monde diplomatique, février, p.12.).
Nous nous souvenons encore à cet effet des affaires des
fortunes de SANI ABACHA ou de MOBUTU. Après la mort de ces
présidents africains, leurs fortunes sont devenues
irrécupérables. Plus que pour sa neutralité politique,
tout le monde, y compris les banquiers eux-mêmes, admet qu'environ 80% de
ces « super clients » confient leurs capitaux aux
établissements helvétiques pour des raisons de
confidentialité. Ces derniers étant rassurés que
malgré le caractère illicite de leurs fortunes, aucune
enquête ne pourrait efficacement conduire à leur rapatriement,
aucune, surtout quand on s'exerce à bien saisir le sens de cette
affirmation du ministre fédéral helvétique des
finances : « le secret bancaire n'est pas
négociable » (Ziegler J, 2001,
op.cit.).
Certains Etats sont allés jusqu'à ériger
le secret bancaire au rang de droit de la personne dont la violation
signifierait ouvrir la voie à l'Etat totalitaire. On peut donc penser
qu'ainsi, il jouirait sensiblement de la même protection que celle que
bénéficie le droit à la vie. Ainsi, comme la vie, le
secret bancaire est intouchable et sacré. Peu importe pour ces Etats
qu'il serve les intérêts du blanchiment ou d'autres crimes, leurs
solutions se trouvent ailleurs et non dans un refuge protégé par
les dieux de la banque. La lutte contre le blanchiment d'argent est presque
impossible sans un secret bancaire négociable.
La sacralisation du secret bancaire, dans les Etats qui en
font usage, passe par deux éléments majeurs, tous
justifiés par l'idée de la sphère privée -
sphère où l'individu est totalement libre de faire ce qu'il veut
-.
D'une part, il y a le droit pour le client de demeurer
discret, de ne pas déclarer sa véritable identité, de ne
pas être tenu de justifier économiquement sa fortune. Il jouit
dans l'exercice de ce droit des comptes anonymes, à numéros ou
à pseudonymes pour masquer sa vraie identité. Ainsi, un code
anonyme et confidentiel assure la communication avec sa banque.
D'autre part, il y'a l'obligation absolue pour le banquier de
garder le plus grand silence sur les opérations effectuées sur le
compte du client, la violation, comparée à un sacrilège
est sévèrement punie. Cependant, même dans des Etats qui
ont essayé de réglementer le secteur bancaire, il arrive souvent
de constater que les banques et leurs agents se laissent engluer par les
criminels avec qui ils forment souvent un syndicat soudé par une
complicité sans foi ni loi.
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