2) La marque muséale : quels enjeux pour le
positionnement stratégique des musées ?
A) Cadre juridique et tendances du secteur : Pourquoi
parler de marque muséale ?
Le Rapport de la Commission sur l'Economie de
l'immatériel mentionné plus haut, incite les acteurs publics,
parmi lesquels les musées, à mettre en place des
stratégies de valorisation et d'exploitation de leur image de marque.
L'objectif est de moderniser ces acteurs et de contribuer à leur
rayonnement national et international. Le dépôt de marque
présente entre autres, l'avantage pour le musée de mener des
actions de valorisation de son identité comme cela a été
le cas avec la marque « Louvre Abou Dabi ». Dans le cadre d'un
contrat de licence, la marque Louvre a ainsi été valorisée
à 400 millions d'euros pour une durée de 30 ans afin d'être
louée au musée d'Abou Dabi (Anger, 2012). La marque est
également un outil de visibilité auprès des
différents publics et de cohésion interne pour les agents dont
les missions sont ainsi reclarifiées par la promesse de marque du
musée (APIE, 2011).
D'un point de vue légal, les musées sont tout
à fait en droit de déposer leur marque. Le fait qu'il s'agisse
d'établissements publics à but non lucratif n'y change rien, la
seule condition requise par le droit de la propriété industrielle
pour déposer une marque étant de disposer d'une
personnalité juridique (Anger, 2012). Les acteurs publics pionniers dans
ce domaine sont les collectivités territoriales, qui pratiquent depuis
des décennies le « marketing territorial ». Les
musées s'inscrivent également dans une logique de valorisation du
territoire et en cela, une stratégie de marque est un atout-clé.
La stratégie peut également relever de partenariats avec des
grands acteurs du privé pour bénéficier de leur image,
comme l'illustre l'opération « Escales Culture », partenariat
entre le Ministère de la Culture et de la Communication et Air France,
qui engage la compagnie aérienne à valoriser la richesse
patrimoniale française sur ses réseaux de communication pour
associer chaque destination à un musée (« Escales Culture -
Ministère de la Culture et de la Communication », 2015). L'Etat
lui-même est donc un catalyseur du rapprochement entre les organisations
publiques et privées, conscient de son désengagement progressif
et de la nécessité pour les musées de diversifier leurs
ressources pour limiter les risques de dépendance financière.
On le constate aussi avec le rapport de la Commission sur
l'Economie de l'immatériel rendu par le Ministère de l'Economie
et des Finances en 2006. La tendance est bien à la marchandisation
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croissante de l'activité des musées, et les
institutions gagneraient à accompagner cette logique de valorisation de
marque : « les produits dérivés ont été
multipliés ; la location d'espace s'est développée avec
des tarifs intégrant la valeur de la marque, soit pour des
événements privés, soit pour des tournages de films qui
ont pu dans certains cas asseoir la réputation du site dans le monde
entier (Da Vinci Code ou Belphégor au Louvre, Marie-Antoinette à
Versailles) ; les espaces marchands ont été renforcés ;
les publications scientifiques et grand public se sont imposées comme
l'un des vecteurs de la connaissance des artistes et de leurs oeuvres. Dans la
très grande majorité des grands musées, le panier d'achat
moyen du visiteur, la valorisation du m2 d'espace commercial ou le nombre de
visiteurs qui achètent un produit dérivé sont devenus des
indicateurs de gestion classique. » (Maurice Lévy &
Jean-Pierre Jouyet, 2006). Cette description de l'évolution du secteur
illustre la diversification de l'offre proposée par les musées.
Ces derniers ne se cantonnent plus à leur coeur de métier,
à savoir les services de conservation et d'exposition d'oeuvres. Les
musées proposent non seulement de nouveaux services (location d'espace,
organisation d'événements, etc.) mais également des
produits dérivés vendus en ligne et/ou dans le magasin du
musée. D'où l'intérêt de rassembler toutes ces
déclinaisons de l'offre muséale sous une même marque
identifiable afin de gagner en visibilité et de diversifier les sources
de revenus. Selon Lorraine Dauchez, fondatrice d'Arteum qui conçoit et
vend des produits dérivés d'expositions : « Les
musées ont une vraie identité de marque, un contenu avec leurs
oeuvres d'artistes et un potentiel d'exploitation commerciale. Or le grand
public recherche des produits qui racontent des histoires, et qui soient
labellisés par une institution (Capucine Cousin, 2014).
Les musées se caractérisent historiquement par
la rareté de leurs ressources, difficilement reproductibles, qu'il
s'agisse des oeuvres uniques qui y sont conservées et exposées ou
des savoir-faire de ses acteurs (conservateurs, muséographes,
scénographes, etc.). Or, les nouvelles activités commerciales
développées par ces institutions ne risquent-elles pas de
banaliser l'image des musées et des oeuvres qu'ils abritent ? Comment ne
pas dévoyer l'identité d'un musée en en faisant une marque
?
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