B) Les spécificités stratégiques du
positionnement d'un musée
a) Un positionnement fait de valeurs
La question du positionnement stratégique des
musées recoupe des réalités très diverses. Des
variables comme le statut juridique, la taille ou encore le degré
d'internationalisation d'un musée impactent les orientations
stratégiques choisies. La segmentation des publics et le ciblage des
publics visés entraîneront des positionnements différents.
Le Palais de Tokyo, par exemple, a affiché, dès sa
création en 2002, la volonté de se positionner comme une marque
prônant les valeurs de modernité, d'accessibilité et de
transdisciplinarité (Delcayre, 2012). D'autres musées mettent en
avant des valeurs davantage reliées aux missions historiques des
musées telles que définies par l'ICOM. Ainsi le Musée de
l'Homme, rattaché au Muséum national d'Histoire naturelle et qui
dépend donc, lui aussi, à
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la fois du Ministère de la Culture et de celui de
l'Enseignement Supérieur et de la Recherche, affiche le positionnement
suivant sur son site web : « Inauguré en juin 1938, le
Musée de l'Homme présente l'évolution de l'Homme et des
sociétés, en croisant les approches biologiques, sociales, et
culturelles selon la pensée de Paul Rivet : « L'Humanité est
un tout indivisible, non seulement dans l'espace, mais aussi dans le temps.
» Situé dans l'aile Passy du Palais de Chaillot (Paris
16ème) dans un bâtiment construit à l'occasion
de l'Exposition Universelle de 1937, il rouvre en 2015 après plus de 5
ans de fermeture en réaffirmant le concept de musée-laboratoire
voulu par son fondateur. » Le Musée de l'Homme fournit ainsi
un bel exemple d'un positionnement stratégique pensé sur le long
terme. La réouverture du musée n'a pas ébranlé le
positionnement humaniste d'origine. Il a au contraire été
l'occasion de le réaffirmer. D'autres musées encore revendiquent
un ancrage local comme le Musée de la mode et de la dentelle de Calais
qui ciblait en priorité les Calaisiens avant de faire évoluer son
positionnement. Originellement le musée affichait les ambitions
suivantes : « Le musée a vocation de s'adresser en premier lieu
aux habitants de son territoire, Calais et le littoral, dont il constituera
l'un des maillons forts de la mise en valeur de son patrimoine ». Ce
ciblage allait donc de pair avec un positionnement de revalorisation du
patrimoine local pour séduire les Calaisiens en priorité : «
Dans le cadre à forte valeur patrimoniale de l'ancienne usine de
dentelle Boulart, et à partir des collections et des témoignages
qu'ils rassemble (...), l'établissement a pour objectif de faire
découvrir la dentelle manuelle et mécanique et d'abord celle de
Calais, ses usages et ses représentations, son histoire et son
présent, ses techniques et ses hommes. » (Direction des
musées de France, 2007). Aujourd'hui, le musée a pris une
envergure internationale et dynamique comme le traduit son nouveau nom : «
La Cité internationale de la dentelle et de la mode de Calais ». Le
terme de « cité », plus que celui de musée, fait du
lieu la référence absolue du domaine, comme si le lieu totalisait
à lui seul l'ensemble du sujet traité, et ceci sur le plan
international. La connotation « vieillotte » de la dentelle a
été contrebalancée par la référence plus
attractive à la « mode ». Le site du musée fait mention
de ce repositionnement : « Acquis en 1987 par la municipalité,
ce site patrimonial est aujourd'hui entièrement
réhabilité. Il a été agrandi par une extension
contemporaine aux lignes ondoyantes signée Moatti et Rivière. Sa
façade de verre sérigraphiée aux motifs des cartons
Jacquard offre une nouvelle identité aux lieux, résolument
tournés vers l'avenir. » On note ainsi le réancrage du
musée dans le paysage contemporain grâce à un
positionnement renouvelé. Il s'agit d'une belle illustration de la
volonté d'un musée de rester en lien avec les publics actuels.
b) Un positionnement qui s'adresse à des cibles
variées
Le positionnement stratégique d'un musée ne vise
pas à remporter les seules faveurs du consommateur lors de ses
arbitrages de sorties culturelles. Conformément au souci de
diversification des ressources mentionné plus haut, les
mécènes constituent un public à part entière
à prendre en compte dans la stratégie de positionnement.
Jérôme Kohler, acteur reconnu du secteur de la philanthropie et du
mécénat d'entreprise, fondateur de la société de
conseil en mécénat L'Initiative Philanthropique, souligne l'enjeu
particulier du positionnement au sein de la stratégie des musées
: « Pour attirer visiteurs et mécènes, les sites d'art
contemporain doivent adopter une stratégie de
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positionnement qui leur soit spécifique. Il faut
qu'ils aient un bon mix marketing avec un bon produit (leurs oeuvres
présentées), un bon lieu de diffusion (leur bâtiment et
leur situation géographique) et un bon service (prestations annexes)
» (Delcayre, 2012). Les entreprises qui souhaitent développer
une activité de mécénat dans le secteur culturel se
réfèrent au positionnement des institutions pour effectuer leur
choix. Dans un contexte de surabondance de l'offre culturelle, notamment dans
les grandes villes qui concentrent activités économiques et
culturelles, les musées qui se définissent par des valeurs fortes
et concordantes avec la politique de Responsabilité Sociales des
Entreprises, ont davantage de chance d'émerger.
La Fondation Total soutient les expositions du Quai Branly en
lien avec l'Afrique depuis 2009 par exemple. Ce choix s'explique par
l'implantation du groupe Total sur le continent africain où la Fondation
met en place l'itinérance de certaines expositions du Quai Branly,
conformément à son engagement social et pédagogique
auprès des publics jeunes notamment (Evin, 2013).
Pour revenir à l'exemple du Palais de Tokyo, son
modèle de centre d'art public sans collection permanente et
dépendant pour moitié de ses ressources propres en a fait un des
musées pionniers dans la recherche de mécènes, notamment
sous l'impulsion de son directeur actuel Jean de Loisy. Le centre d'art a
même fait appel à une agence, Carat Culture, en 2008, pour l'aider
dans sa politique de partenariats et valoriser son attractivité
auprès des marques. Mark Alizart, directeur général
adjoint du Palais de Tokyo, ne dissimule pas ses ambitions de marketing
culturel contrairement à d'autres institutions du secteur encore
frileuses à l'idée de nouer des partenariats public-privé
: « Grâce à cette collaboration, nous attendons de
rencontrer des marques en adéquation avec l'esprit du lieu et avec nos
artistes » (Carlo, 2008). Le mariage entre positionnement d'un
musée et futurs mécènes est particulièrement
intéressant pour ce type d'institutions d'art contemporain dont le
positionnement fondé sur la rareté et la qualité est
susceptible d'attirer les marques de l'industrie du luxe, en accord avec ces
valeurs et qui pourraient en bénéficier par un transfert d'image.
A ce titre, il est intéressant de constater que ces partenariats
musées-marques de luxes sont institutionnalisés. En effet,
certains grands musées français comme le Louvre ou Versailles
sont membres du Comité Colbert qui fédère les industries
du luxe français pour mieux les faire rayonner à l'international
(Anfruns, 2012).
Les spécificités du positionnement des
musées peuvent ainsi rejoindre celles des grandes marques de luxe
à certains égards, notamment pour ce qui est de la symbolique de
l'image de marque véhiculée et du caractère exceptionnel
et difficilement reproductibles des ressources mobilisées par ces
acteurs (unicité de l'offre, capital humain important, etc.)
Conclusion 1) Le capital immatériel ne
deviendrait-il pas un critère plus pertinent que la traditionnelle
fréquentation pour évaluer la performance des musées
?
Comme nous l'avons vu plus haut, le positionnement peut
constituer un levier marketing décisif pour se différencier au
sein d'un environnement hautement concurrentiel et symbolique. L'avantage
concurrentiel relèverait alors davantage de l'immatériel, du
territoire de marque du musée, plus que des ressources physiques de ce
dernier. C'est une piste émise par le Rapport de 2006 sur l'Economie de
l'immatériel, remis au ministre de l'Economie et des Finances d'alors,
Thierry Breton.
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« L'économie a changé. En quelques
années, une nouvelle composante s'est imposée comme un moteur
déterminant de la croissance des économies : l'immatériel.
Aujourd'hui la véritable richesse n'est pas concrète, elle est
abstraite. Elle n'est pas matérielle, elle est immatérielle.
C'est désormais la capacité à innover, à
créer des concepts et à produire des idées qui est devenue
l'avantage compétitif essentiel. » (Maurice Lévy &
Jean-Pierre Jouyet, 2006). Le rapport invite notamment à la valorisation
du riche portefeuille de « marques culturelles » que compte
la France, parmi lesquelles celles des grands musées nationaux
mentionnés plus haut (Le Louvre, Orsay, Pompidou...). Ces mêmes
instituions qui ont su construire un positionnement solide au fil des ans, sont
également celles qui ont ouvert la voie à la gestion de la «
marque muséale » (Cécile Anger, 2012).
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